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Une femme de cœur à la tête du Festif!

Rencontre avec Anne-Marie Dufour, cofondatrice de l’iconique Festif! de Baie-Saint-Paul!

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Bandeau :Photo principale : © Sylvain Foster

Anne-Marie Dufour est très occupée. Cette année, en plus de composer le programme officiel des 10 ans du Festif! de Baie-Saint-Paul, il lui a fallu planifier de nombreux spectacles surprises, tenus dans toutes sortes d’endroits (parfois loufoques) de la municipalité. Un peu comme si elle était responsable du festival musical et de son pendant off en même temps…

Il faut dire que d’année en année, la cofondatrice du Festif! et son équipe ont fait de ces performances impromptues une tradition. Les attentes sont donc particulièrement élevées pour ce 10e anniversaire, qui se tiendra dans quelques jours à peine.

Mais ce n’est pas tout : la directrice de la programmation pilote également la production du festival (accueillir les artistes et prévoir leur hébergement, leurs repas, l’horaire des tests de son, etc.), en plus de porter fièrement les chapeaux de directrice du développement durable et de coordonnatrice du volet concours. Disons qu’elle ne chôme pas.

En entrevue, elle est intarissable, une véritable dynamo! On sent la fierté poindre lorsqu’elle parle des innovations qui ont fait la signature du Festif!. Parmi celles-ci, les pop-up bouffe avec chefs invités – des « performances culinaires » en mode cuisine de brousse – ou encore les feux de camp de minuit mettant en vedette des artistes dont on révèle l’identité seulement une fois sur place.

Celle qui se passionnait déjà pour la scène musicale québécoise avant la création du Festif! assiste à des dizaines de spectacles par année, au point où il lui est impossible de les compter. La jeune femme de Baie-Saint-Paul a même élu domicile à Montréal la moitié de l’année, d’octobre à mars, question de faire du repérage et de la représentation. Et puis, comme elle le dit, ce n’est pas à Baie-Saint-Paul qu’elle va « magasiner ses spectacles »…

Elle fréquente donc les petites salles de la métropole. Parce que « les gros noms, on les a déjà vus ». Elle précise : « Mon créneau, c’est vraiment l’émergence, c’est ce qui m’intéresse le plus. Je suis très à l’affût de ce qui se passe (lancements, nouveaux spectacles, nouvelles moutures de groupes…). »

Faire son chemin

À l’âge tendre de 20 ans, Anne-Marie Dufour crée l’iconique Festif! avec des amis. C’est l’été , et les célébrations du 25e anniversaire de fondation du Cirque du Soleil – venu au monde à Baie-Saint-Paul – battent leur plein dans les rues de la ville. « Il y avait de la musique et des parades partout. On s’est dit : “Mon Dieu, il nous faut ça une fois par année, pourquoi on le fait pas?”, se souvient-elle. Sauf qu’on ne savait pas dans quoi on s’embarquait… On a dû faire des dizaines de petites activités de financement pour se lancer, je ne referais jamais ça! »

Tour de force, elle et son équipe réussissent à programmer Les Cowboys Fringants dès la première édition. « On a senti que la population embarquait dans notre projet, raconte-t-elle. La troisième année, on a déménagé au centre-ville et, à partir de là, ç’a commencé à grossir et à grossir encore plus, de manière exponentielle. »

« Je ne connais pas la réalité des personnes qui ont étudié en événementiel et qui entrent ensuite sur le marché du travail, explique-t-elle. On a inventé notre emploi, c’est ce qui est arrivé. »

− Anne-Marie Dufour, cofondatrice et directrice de la programmation du Festif!

Et comment! En , le festival ne durait qu’un seul soir et l’on y présentait à peine cinq spectacles devant une « foule » de 2 000 personnes. L’an dernier, c’étaient plutôt 80 performances réparties dans une vingtaine d’endroits à travers la ville pendant quatre jours et devant près de 40 000 personnes…

Anne-Marie Dufour arrive à gagner sa vie avec Le Festif! depuis quatre ans, alors qu’auparavant, elle agissait à titre bénévole et enseignait à la formation aux adultes en même temps. S’est-elle en quelque sorte créé son boulot de rêve? « Oui, exactement. Je ne connais pas la réalité des personnes qui ont étudié en événementiel et qui entrent ensuite sur le marché du travail, explique-t-elle. On a inventé notre emploi, c’est ce qui est arrivé. Clément [Turgeon, son coprogrammateur] et moi, on est encore là. »

Même si elle exerce son métier de rêve et que ça va « vraiment bien en général », elle ne peut passer sous silence quelques irritants liés au fait d’être une femme occupant un poste de direction. « C’est arrivé, dans les 10 dernières années, surtout au début, que j’assiste à des rendez-vous avec des fournisseurs qui ne me regardaient pas du tout, déplore-t-elle. Il me semble que commander des clôtures, ce n’est pas nécessairement une job de gars… Bref, au début, c’est surtout à Clément qu’on donnait de la crédibilité. Moi, ç’a pris un petit peu plus de temps pour que je sois considérée. »

Elle ajoute que « tout ça demeure marginal » et dit se sentir estimée dans son travail, au sein de l’équipe comme par les multiples intervenant·e·s.

Habiter Montréal plusieurs mois par année ne fait pas d’Anne-Marie Dufour « une fille de ville » pour autant, loin s’en faut. « Je reviens à Baie-Saint-Paul toutes les deux, trois semaines, sinon le blues me prend assez vite! » rigole-t-elle.

Digne représentante de sa génération, elle est très sensible aux enjeux environnementaux. Par exemple, côté nourriture, l’approvisionnement de son festival est archilocal, et ce, depuis les débuts. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu, en , un prix Grand Vivat, qui récompense les organisateurs d’événements aux pratiques responsables.

« C’est arrivé, dans les 10 dernières années, surtout au début, que j’assiste à des rendez-vous avec des fournisseurs qui ne me regardaient pas du tout. Il me semble que commander des clôtures, ce n’est pas nécessairement une job de gars… Bref, au début, c’est surtout à Clément qu’on donnait de la crédibilité. Moi, ç’a pris un petit peu plus de temps pour que je sois considérée »

− Anne-Marie Dufour

Autre tour de force, pour son 10e, Le Festif! a franchi le pas du zéro déchet. Comment on y arrive? « Tous les produits offerts aux artistes sont sans plastique et sans emballage, tout est en vrac, explique la directrice. De plus, tout est compostable dans nos camions de rue, de la vaisselle à la bouffe. Et les verres de bière sont consignés. On offre aussi des gourdes d’eau réutilisables à tous les artistes et les festivaliers. Et il y a des stations d’eau potable un peu partout sur le site, en plus des stations de récupération pour les mégots de cigarette. »

Enfin, puisque la majorité de l’assistance ne vient pas des environs et que le transport est un enjeu environnemental crucial, des services de covoiturage et de navette ont été mis en place.

Et la parité dans les festivals?

Très impliquée dans le milieu tricoté serré de la musique locale et émergente, Anne-Marie Dufour a siégé, le printemps dernier, au jury des demi-finales du concours Les Francouvertes, à Montréal. Ombre au tableau, le podium final était composé uniquement de gars.

On ose la question : y aurait-il certains biais inconscients, tant chez les femmes que chez les hommes, qui persisteraient encore aujourd’hui? « C’est sûr qu’à talent égal, personnellement, je vais peut-être donner un peu plus de points à une artiste féminine, en espérant que ça l’aide à avancer dans le concours, mais je ne suis pas responsable de ce que les autres font », expose-t-elle.

N’empêche, sa sensibilité quant à la place parfois chancelante et pas toujours mise en valeur des femmes en musique, elle assure s’en servir quand vient le temps d’élaborer la programmation de son propre festival.

Et pourtant, malgré tous ses efforts, Le Festif! n’est pas encore paritaire. « On finit toujours par avoir moins de femmes à l’affiche que ce qu’on voudrait, bien que ce soit une préoccupation constante pour nous, regrette-t-elle. Cette année, parmi les nombreuses artistes féminines que l’on a contactées, pas moins de 18 ont décliné, pour toutes sortes de raisons. »

La directrice de la programmation estime que les critiques sur la place des femmes en musique sont légitimes, « surtout lorsqu’on se retrouve face à une affiche 100 % masculine, comme cela a été le cas à certains endroits au Québec ces dernières années ». Du même souffle, elle ajoute que « c’est un peu facile de se borner à compter les noms féminins sur une affiche pour en tirer des conclusions ».

Selon elle, faire en sorte qu’une femme s’y trouve (et en haut, si possible) est une responsabilité partagée. « Ça prend une maison de disques qui signe cette artiste et qui la pousse avec de la promo; il faut aussi que le public ait été informé de son existence et qu’il se montre curieux, illustre-t-elle. Mon désir à moi ne suffit pas, puisque les diffuseurs comme nous sommes à la toute fin du processus. »

Elle insiste par ailleurs sur l’importance de considérer la place des « femmes de l’ombre » qui travaillent dans le milieu de la musique et qui sont, à ses yeux, de véritables « petites guerrières ».

« Il y a tellement de femmes derrière les gros monuments de la chanson, témoigne-t-elle. Elles sont expertes de la production, gérantes, agentes… Elles font en sorte que tout ça se puisse. Moi, je travaille avec elles à longueur de journée. »