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Éducateurs en garderie : être homme au pays des femmes

Rencontre avec trois professionnels engagés, dans un milieu où les femmes comptent pour 98 % du personnel éducatif!

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Difficile de trouver un milieu de travail plus féminin que les garderies, où les femmes comptent pour 98 % du personnel éducatif. Quelle est la réalité des rares hommes éducateurs en services de garde? On en a discuté avec trois d’entre eux.

« J’ai toujours eu de la facilité avec les enfants », répond William Provost, 35 ans, éducateur auprès des tout-petits de 2008 à 2015, quand on lui demande ce qui l’a attiré dans la profession. D’abord embauché à temps partiel dans une halte-garderie montréalaise, il travaille ensuite dans différents centres de la petite enfance (CPE) de la Rive-Sud, où une agence veille à lui trouver des remplacements. Tout au long de son parcours d’éducateur, il s’occupe principalement d’enfants de 18 à 24 mois. « Ça peut sembler difficile, il y a les couches à changer, mais honnêtement, c’est mon groupe d’âge préféré. »

Et quel genre d’accueil reçoit un jeune homme dans les garderies? « Un accueil très positif! assure-t-il. On m’a fait plein de bons commentaires au fil des ans. On me disait : “C’est super, un gars en CPE, il n’y en a pas souvent; c’est bon pour les enfants.” Et, quand on y pense, c’est vrai. Après tout, la moitié de la population de la terre est constituée d’hommes. »

Il se souvient d’avoir été extrêmement populaire, l’agence lui dégotant plus de remplacements qu’il n’était capable d’en faire. « C’est sûr que j’ai profité du fait d’être un gars en garderie, admet-il. Ç’a favorisé mon rappel à plusieurs endroits; ç’a été plus facile pour moi de trouver du travail. »

Même son de cloche du côté de Mario Hébert, 29 ans, éducateur depuis un an dans un CPE du quartier Villeray, à Montréal. « Ça se passe à merveille avec la direction, mes collègues et les parents, indique-t-il. Je viens justement de recevoir mon évaluation et elle est excellente. »

Alors qu’il est préposé aux bénéficiaires, il a l’idée de devenir éducateur en regardant sa sœur exploiter une garderie en milieu familial. Son intuition lui dit qu’il peut apporter sa contribution en tant qu’homme. « Les éducateurs, on est moins maternants, plus dans la motricité, dans le concret, estime-t-il. Par exemple, lorsque je vais dehors avec les enfants, je participe aux jeux. En même temps, je suis très ouvert aux conseils de mes collègues féminines. On s’écoute et on s’entraide. »

Dominic Desrosiers, 64 ans, éducateur en garderie depuis 40 ans, abonde dans le même sens. Pour lui, être un homme dans ce milieu féminin constitue une expérience positive. « Ça s’est toujours bien passé, confirme-t-il. C’est sûr que j’ai connu des éducatrices qui avaient plus de difficulté avec l’idée d’avoir un collègue masculin et qui voulaient que je fasse tout exactement comme elles, mais, avec le temps, ça s’est toujours tassé. »

« Je suis convaincu que le fait d’être un homme m’a avantagé. La demande pour les éducateurs est là. Il y a beaucoup de familles monoparentales dirigées par des femmes, nous sommes des figures masculines pour ces enfants-là. »

− Dominic Desrosiers, éducateur en CPE

Issu d’une famille nombreuse – sept frères et sœurs, plus une ribambelle de neveux et de nièces –, il étudie en sports et loisirs au cégep lorsqu’il rencontre celle qui deviendra la mère de ses enfants. Elle suit une formation en technique de garde. Ensemble, ils ouvrent leur première garderie en 1979 et y travaillent tous les deux jusqu’en 2015. « On a eu la chance d’y avoir nos trois filles avec nous, raconte le vieux routier. J’ai alors compris l’importance pour les hommes de s’impliquer dans l’éducation des enfants. »

Depuis trois ans, il travaille au même CPE montréalais que Mario Hébert. « Après ma séparation, je me suis demandé : qui va embaucher un vieux croûton comme moi? » se souvient-il. Mais après avoir postulé à quelques endroits, il obtient dès la semaine suivante trois entrevues d’emploi.

« Je suis convaincu que le fait d’être un homme m’a avantagé, avance-t-il. La demande pour les éducateurs est là. Il y a beaucoup de familles monoparentales dirigées par des femmes, nous sommes des figures masculines pour ces enfants-là. Nous servons aussi d’exemples pour certaines clientes, qui disent à leur conjoint : “Tu vois bien qu’un homme peut s’occuper des enfants, tu pourrais t’impliquer plus.” »

Encore des préjugés?

Bien que leur expérience se révèle globalement positive, il y a tout de même eu quelques situations particulières. À Montréal, où il a travaillé dans un milieu défavorisé, William Provost a été témoin de situations où des mères qui vivaient de la violence conjugale et toutes sortes d’abus avaient de la difficulté à lui confier leurs petits. « Certaines ne voulaient pas laisser un homme changer la couche de leur enfant, se souvient-il. Même si on ne peut accepter ce genre de préjugé, ça reste compréhensible. Cela dit, ma directrice m’a appuyé et ces situations n’ont pas eu d’impact sur ma pratique quotidienne. »

William Provost a été témoin de situations où des mères qui vivaient de la violence conjugale et toutes sortes d’abus avaient de la difficulté à lui confier leurs petits. « Certaines ne voulaient pas laisser un homme changer la couche de leur enfant, se souvient-il. Même si on ne peut accepter ce genre de préjugé, ça reste compréhensible. »

− William Provost, éducateur en CPE

De plus, plusieurs de ces enfants n’ayant pas eu la chance d’entretenir des rapports significatifs avec un homme dans leur vie, la présence de l’éducateur à la halte-garderie a été perçue comme positive par bien des spécialistes en intervention sociale du secteur.

Par la suite, dans certains des CPE où il a été embauché sur la Rive-Sud, William Provost admet en avoir vu de toutes les couleurs. « Il y a des endroits où j’arrivais pour un remplacement à la pouponnière et où je constatais le malaise dans le visage de la directrice ou des éducatrices, explique-t-il. C’est sûr que je suis un gars, j’ai une grosse barbe… »

À plusieurs reprises, on le change de groupe sous divers prétextes, même s’il a beaucoup d’expérience. « Je ne me suis pas plaint parce que c’était du remplacement et que je n’avais pas d’attaches, mais disons que le stéréotype de l’homme qui ne sait pas s’occuper des bébés est encore bien présent, déplore-t-il. C’est fou parce que les éducateurs et éducatrices mettent en application ce qu’ils et elles ont appris pendant leur formation. Et, pour tout vous dire, j’en ai vu, des éducatrices qui n’avaient pas le tour à la pouponnière. Eh oui, ça se peut. »

Un autre commentaire qu’il a beaucoup reçu et qui le met en rogne : les petites filles, ç’a peur des hommes. « J’ai entendu ça tout au long de ma carrière de la part de parents, mais aussi de collègues. Ça vient renforcer les préjugés contre les hommes dans le milieu. »

Fraîchement diplômé, Mario Hébert se souvient que certaines camarades de classe semblaient tenir pour acquis qu’il était homosexuel. « C’est bizarre, ce genre de préjugé, encore de nos jours, s’étonne-t-il. Heureusement, ce n’est jamais venu des enseignantes, qui étaient toutes très expérimentées et ouvertes d’esprit. »

Durant sa longue carrière, Dominic Desrosiers a ressenti un malaise à peine une ou deux fois, chez certains parents, un malaise qu’il attribue à un facteur culturel. « C’étaient des personnes d’autres nationalités, pour qui un homme ne doit pas s’occuper des enfants », résume-t-il, tout en constatant que les choses ont évolué depuis. « À présent, même les parents immigrants sont contents de me voir travailler. Souvent, les grands-parents ne sont pas au pays, alors je laisse les petits m’appeler “papi Dominic”. Si je peux servir à ça, ça me fait plaisir. »

Le salaire, un irritant

S’ils s’y trouvent globalement heureux, pourquoi alors y a-t-il si peu d’hommes dans le métier? « À cause du salaire, qui est très bas, lâche d’emblée Dominic Desrosiers. Je m’en suis accommodé, mais ce n’est pas tous les hommes qui sont prêts à accepter ça. »

Mario Hébert abonde dans le même sens. « Je pense que c’est important de dire qu’on est sous-payés, comme dans toutes les professions largement féminines, dénonce-t-il. Même les techniciennes en CPE, après trois années de cégep, commencent à 19 $ de l’heure, soit le même salaire qu’un préposé aux bénéficiaires ayant suivi une formation de sept mois. »

D’ailleurs, cette situation n’est pas étrangère à la réorientation qu’il entend opérer. « J’aimerais étudier en travail social ou en éducation spécialisée et le salaire est clairement en cause dans ma décision. Nous ne sommes pas assez reconnus, c’est un travail physique, exigeant. Ça prendrait plus d’hommes. Je trouve mes collègues éducatrices vraiment courageuses ».

« Je pense que c’est important de dire qu’on est sous-payés, comme dans toutes les professions largement féminines, dénonce-t-il. Même les techniciennes en CPE, après trois années de cégep, commencent à 19 $ de l’heure, soit le même salaire qu’un préposé aux bénéficiaires ayant suivi une formation de sept mois.  »

− Mario Hébert, éducateur en CPE

En attendant de retourner sur les bancs d’école – un défi qu’a relevé William Provost, aujourd’hui enseignant en troisième année –, Mario Hébert déménagera sous peu dans la région de Lanaudière. Il vient d’être embauché dans une garderie comptant deux autres jeunes éducateurs comme lui. Un signe, à son avis, que les temps changent.

Pour sa part, Dominic Desrosiers n’est pas près de quitter la profession. « Je vais avoir 65 ans, alors c’est sûr que mes filles me demandent si j’ai hâte de prendre ma retraite, raconte-t-il. La réponse est non. Je suis encore passionné et j’ai acquis de la sagesse. Je suis un meilleur éducateur qu’à ma sortie du cégep. Le contact avec les enfants me garde jeune. Je suis encore ému par leur émerveillement. La semaine dernière, on les a emmenés voir les papillons en liberté au Jardin botanique. Ils étaient tellement heureux. Et puis, être témoin de leurs premiers pas, ça n’a pas de prix. »

Les éducateurs sont-ils mieux payés que les éducatrices?

Les CPE et les garderies (subventionnées ou non) sont des entreprises privées autonomes. Bien que le ministère de la Famille propose des échelons salariaux en fonction de l’expérience du personnel, la détermination des conditions de travail revient à chaque établissement, selon la convention collective ou la politique de rémunération en vigueur. Cela ouvre-t-il la porte à un traitement salarial différent dans les établissements non syndiqués? Voilà qui est difficile à démontrer, puisqu’on ne dispose pas de données permettant de faire une analyse différenciée selon le sexe (ADS), admet Alexandre Noël, relationniste à la Direction des communications du Ministère.

« Ascenseur de verre », vous dites?

Les hommes qui travaillent dans un milieu à forte prédominance féminine ont tendance à accéder plus souvent aux postes de cadres ou à obtenir davantage de promotions que les femmes. C’est ce qu’on appelle l’« ascenseur de verre ». Ainsi, si l’on dénombre à peine 2 % d’éducateurs en services de garde au Québec (tant dans les CPE que dans les garderies – subventionnées ou non), on observe que la proportion d’hommes augmente dans les postes de gestionnaires. Ils comptent pour environ le quart des cadres dans les services de garde subventionnés (26,8 %) et dans les garderies non subventionnées (23,8 %).

Pour en savoir plus à propos de la situation des centres de la petite enfance,des garderies et de la garde en milieu familial au Québec en 2015.

Un équilibre à atteindre

Comme pour les autres secteurs d’activité à prédominance féminine, la rémunération dans les services de garde au Québec a fait l’objet d’une démarche d’équité salariale. D’ailleurs, une étude publiée en 2017 par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) a démontré que les échelons salariaux des éducatrices qualifiées équivalent désormais à la moyenne pour les femmes possédant un diplôme d’études collégiales. Cela dit, la moyenne pour les hommes titulaires d’un tel diplôme demeure plus élevée (de près de 10 000 $).

Pour en savoir plus à propos de l’équité salariale.