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Johan Bävman, le papa suédois

La paternité revue et corrigée par de jeunes hommes

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Sept ans ensemble avec cette beauté. C’est avec ces mots que Johan Bävman soulignait récemment sur son compte Instagram le septième anniversaire de son fils, Viggo. Sur le cliché, on voyait le blondinet dévorant des gaufres en forme de cœur. Depuis la naissance de son premier enfant, le photographe de Malmö, dans le sud de la Suède, n’a cessé de réfléchir à la paternité, les deux mains dedans. Et pour pallier le manque de modèles paternels inspirants, il a décidé de documenter le quotidien de 45 Suédois pendant leur congé de paternité. Son exposition Swedish Dads est présentée à Montréal* jusqu’au 21 avril. Entretien avec un artiste qui veut bousculer les stéréotypes.

Quand vous êtes devenu père, était-ce une évidence pour votre conjointe et vous que le congé parental serait séparé également?

Nous sommes deux féministes et nous pensons que nous devons partager les tâches également dans notre couple; cette idée s’appliquait naturellement aux soins de l’enfant. Mais quand nous sommes devenus parents pour la première fois, ma femme a trouvé difficile de me passer le flambeau après ses neuf mois de congé. Nous en avons rediscuté à ce moment-là, j’ai exprimé mon envie de vivre cette expérience. J’étais terrorisé, mais je voulais le faire, je voulais passer neuf mois seul avec mon fils.

Les pères représentés dans votre exposition sont issus de différents milieux socioéconomiques, mais ont en commun d’avoir tous pris au moins six mois de congé parental. Ont-ils été difficiles à trouver?

Dans mon cercle social – classe moyenne urbaine, éduquée –, c’est la norme de souhaiter passer du temps avec ses enfants; le contraire est vu comme une absurdité. Ce sont les pères qui vivent dans les banlieues [NDRL : des quartiers majoritairement habités par des immigrant·e·s], en campagne ou qui occupent des postes de hautes responsabilités qui bousculent les attentes sociales en décidant de rester à la maison la moitié d’une année. Oui, ils ont été plus difficiles à trouver, mais je tenais à raconter leurs histoires.

Vous dites avoir eu de la difficulté à trouver des modèles paternels auxquels vous identifier. La publicité, la télé nous offrent pourtant des exemples de paternité. Pourquoi n’étiez-vous pas capable de vous reconnaître en eux?

Johan Bävman.

Ces pères – et ces mères aussi, car je ne crois pas que ce soit différent pour les femmes – que la publicité nous montre ne sont pas des modèles que nous pouvons espérer atteindre. Ils sont toujours si heureux, bien mis, tout sourire, rigolant même en changeant des couches. Ajoutons à ça les photos parfaites, publiées sur Instagram, de familles qui resplendissent de bonheur en faisant des cupcakes à la maison. Sans le vouloir, on additionne toutes ces images, qui s’agrègent en une espèce de figure de superparent inaccessible. Pour moi, ça a été difficile et compliqué de devenir parent, parce que oui, c’est un dur travail. Et avec mes photos, je voulais montrer ça : la fatigue, le fait qu’on apprend la parentalité en la vivant et en faisant des erreurs.

Quels sont les avantages quand un père décide de rester plusieurs mois à la maison?

Il y a évidemment plein d’avantages pour le partage des tâches au sein du couple, la compréhension de ce que l’autre vit ou a vécu. Et ça a des répercussions pour le reste de votre vie : la conciliation travail-famille repose alors réellement sur les deux parents. Mais à mon avis, ce sont les enfants qui en bénéficient le plus : ils et elles développent une relation privilégiée avec chacun de leurs parents. Pouvez-vous imaginer ne pas vous sentir à l’aise de prendre soin de votre propre enfant? Ne pas savoir reconnaître ses besoins? C’est une idée qui me terrorise.

Quel est le cliché qui vous dérange le plus concernant la paternité?

Les papas latté! [NDRL : L’expression latte pappas est fréquemment utilisée en Suède pour désigner les pères en congé parental, souvent jeunes et branchés, qui se réunissent avec leurs bambins dans un café troisième vague.] Je déteste cette expression, je la trouve ridicule. Comme si les pères passaient leur congé à interagir avec leurs ami·e·s plutôt qu’avec leurs enfants. On est encore dans les fausses perceptions. Dans mon cas, prendre un café au soleil avec le petit qui dort dans la poussette, ce n’était pas possible. Il commençait à marcher au début de mon congé; juste essayer de boire un café était tout un défi.

Votre exposition s’est promenée partout sur la planète. Parmi tous les commentaires que vous avez reçus, lequel vous a le plus surpris?

Au Moyen-Orient, une femme visiblement choquée par mes photos est venue m’aborder en me demandant : « Maintenant que vous avez démontré que les pères sont aussi bons que nous, qu’est-ce qu’il nous reste? » Elle vit dans une société où sa valorisation sociale vient de son rôle de mère, de première donneuse de soins. Lui enlever ça, c’est en quelque sorte ne plus reconnaître son importance dans la société. Je n’avais jamais réfléchi à ça.

Partagez-vous l’avis d’un des pères que vous avez photographiés qui affirme que « les hommes en congé de paternité reçoivent des louanges imméritées parce qu’ils sont disponibles pour leurs enfants »?

Totalement! Pourquoi trouvons-nous ces hommes si extraordinaires? Ça devrait être la norme de s’occuper de son enfant. C’est quelque chose qu’il faut changer. Je ne devrais même pas être ici, en train de vous parler. Si j’avais photographié des femmes, mon exposition n’aurait pas voyagé dans 65 pays. En fait, il n’y aurait pas eu d’exposition. Je souhaite que mes photos déclenchent ces réflexions et cette discussion. Le père, comme la mère, doit apprendre à devenir un parent. Et ce n’est pas plus extraordinaire pour lui que pour elle.

L’avis de Valérie Harvey, sociologue

« Quand il n’y a pas de congé réservé au père, peu importe le pays où on est, il y a généralement beaucoup moins d’utilisation des semaines parentales par le père. Il me semble que la Suède [qui offre la même durée de congé aux deux parents] envoie un bon message, soit que l’État reconnaît au père et à la mère une même importance de base. Au Québec, le message envoyé est que la mère est encore la principale donneuse de soins. Je sais que l’accouchement est exigeant, mais je crois qu’on devrait augmenter le congé du père pour réduire cette perception. »

Le congé parental en Suède et au Québec
QuébecSuède
Maternité (non transférable)18 semaines (126 jours)90 jours
Paternité (non transférable)5 semaines (35 jours)90 jours
Parentales (partageables)32 semaines (224 jours)300 jours
Total55 semaines (385 jours)480 jours

* À la salle d’exposition de la Place des Arts, dans le cadre du FIKA(S), entrée libre