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Le visage féminin du marketing d’influence

Sous influence : incursion dans l’univers des créatrices de contenu!

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Si le terme marketing d’influence est relativement nouveau, le concept, lui, existait bien avant Instagram. (Que celui ou celle qui n’a jamais acheté un produit de beauté ou essayé un resto parce qu’une vedette en avait fait l’éloge dans un magazine ou à la télé lève la main.) Mais avec l’avènement des médias sociaux, le phénomène a pris une ampleur insoupçonnée, et ce sont les femmes qui sont à l’avant-plan de l’industrie. On fait le point.

Avec la montée en popularité des blogues, au début des années 2000, les marques ont rapidement compris que faire parler de leurs produits par monsieur et madame Tout-le-Monde dans des publications commanditées était une excellente façon de mousser leurs ventes.

En 2011, alors blogueuse et professionnelle de l’achat médias pour plusieurs agences de marketing, Aurélie Sauthier se rend compte qu’elle est assise sur une mine d’or. Elle crée donc la compagnie montréalaise Made In, qui se spécialise dans le marketing d’influence. « Les marques ont réalisé que les consommateurs et les consommatrices se fient plus au jugement de leurs pairs qu’aux publicités traditionnelles. À l’époque, pour la publicité en ligne, on utilisait principalement les bannières, peu pratiques pour mesurer les résultats. Avec les publications commanditées, c’est devenu plus facile de monétiser le contenu, autant pour les annonceurs que pour les blogueuses et blogueurs. »

« Moins de 1 % des personnes qui s’y risquent réussissent. C’est une occupation tellement prisée! Il faut trouver son créneau, travailler fort, avoir un véritable esprit d’entrepreneur·euse, être débrouillard·e, se démarquer et, surtout, savoir rester pertinent·e. »

— Aurélie Sauthier, cofondatrice et présidente de l’agence de marketing d’influence Made In

En mentionnant une marque dans l’un de leurs billets sur la maternité, la mode ou l’art de vivre, par exemple, les autrices et auteurs de blogues les plus lu·e·s au début des années 2010 pouvaient faire un peu d’argent ou recevoir des produits en cadeau.

Depuis, les règles du jeu ont bien changé. Les blogues ont laissé place aux médias sociaux, où les internautes peuvent être influencé·e·s… ou influenceurs·euses. Ce sont maintenant Instagram et YouTube qui mènent la parade, et si, en ligne, tout le monde peut recommander un bien ou un service, certain·e·s en ont fait un véritable métier.

Les femmes en tête

L’industrie de la mode et de la beauté est prépondérante sur les médias sociaux. Selon une récente étude américaine, plus de 57 % des compagnies de ces domaines utiliseraient le marketing d’influence dans leur stratégie publicitaire. Pas étonnant, alors, que les femmes soient les premières visées par ces campagnes – en particulier les jeunes femmes, généralement le groupe le plus présent et actif sur les médias sociaux. Selon un sondage réalisé en 2016 par une agence de marketing américaine, près de 86 % des femmes affirment que les médias sociaux sont l’une des ressources qu’elles consultent le plus avant d’acheter un nouveau produit ou un service. Et 81 % des répondantes disent avoir été influencées à faire un achat après avoir vu l’article en question partagé sur les réseaux sociaux.

Du côté des influenceurs·euses, ce sont aussi les femmes qui dominent. Selon une étude britannique, 68 % des influenceurs seraient en fait… des influenceuses. Elles sont nombreuses, et avec l’arrivée incessante de nouvelles joueuses, la concurrence est féroce. Ce qui mène parfois à des comportements plus ou moins éthiques, notamment l’achat d’abonné·e·s pour gonfler leurs statistiques. « Les marques sont obsédées par les chiffres et les statistiques », affirme Gabrielle Lacasse, entrepreneuse derrière le blogue Dentelle+Fleurs qui évolue dans le milieu de la mode et des médias sociaux depuis près de 10 ans. « Pourtant, l’influence n’est pas seulement une question de portée [ou reach], mais aussi de pertinence du contenu, d’authenticité et d’engagement des abonné·e·s, entre autres. »

« L’influence n’est pas seulement une question de portée, mais aussi de pertinence du contenu, d’authenticité et d’engagement des abonné·e·s, entre autres. »

— Gabrielle Lacasse, entrepreneuse et blogueuse

Une occupation sérieuse et sous-estimée

D’ailleurs, toutes les femmes influentes interviewées préfèrent qu’on les appelle « créatrices de contenu » plutôt qu’« influenceuses ». Elles s’entendent pour dire que leur influence n’est pas leur métier, mais bien une conséquence – ayant ses hauts et ses bas – de leur occupation : blogueuse mode ou beauté, autrice, photographe, relationniste, etc.

« Aujourd’hui, les chanteuses, les actrices, les mannequins et les animatrices sont aussi des influenceuses en raison de leur notoriété. Pourtant, on ne les définit pas comme telles », rappelle Gabrielle Lacasse. Au Québec, on peut penser à des femmes comme Abeille Gélinas, Vanessa Pilon ou Maripier Morin, qui monétisent leur portée sur les réseaux sociaux. « Pour moi, être influenceuse est simplement un effet secondaire d’un travail ou d’une passion », ajoute Ève Martel, du blogue Tellement Swell et de la chaîne YouTube Ève Martel.

« La quantité de travail nécessaire pour réaliser assez de contenu pertinent pour gagner un salaire décent est immense. La valeur de notre labeur est grandement sous-estimée. À preuve, on nous demande souvent de travailler en échange de produits non sollicités »

— Ève Martel, du blogue Tellement Swell et de la chaîne YouTube Ève Martel

Selon Josiane Stratis, cofondatrice des populaires blogues Ton Petit Look et TPL Moms, les hommes sont moins spontanément étiquetés comme influenceurs. « Je remarque que, pour les désigner, on nomme d’abord leur métier : sportif de haut niveau, photographe, mannequin, artiste… Le fait qu’ils ont une influence est mentionné après, et ça leur donne une légitimité dont les femmes dans le domaine profitent moins. »

Aurélie Sauthier souligne également qu’en général, les hommes influents sont mieux rémunérés que les femmes. « C’est une question de rareté, d’offre et de demande; il y a moins de créateurs de contenu que de créatrices, notamment dans le domaine de la mode et de la beauté. Ils sont plus convoités, et reçoivent donc de plus gros cachets. »

Le terme influenceuse revêt aujourd’hui une connotation plutôt négative, confirment les interviewées. « On associe le mot à des filles actives sur Instagram qui publient des photos de leurs cafés et d’elles-mêmes sur des plages des Bahamas. Mais, bien qu’il y en ait à qui ce modèle réussit, c’est habituellement beaucoup plus que ça. Les créatrices de contenu sont des entrepreneuses qui portent une panoplie de chapeaux : artistes, photographes, stylistes, comptables, maquilleuses, coiffeuses, recherchistes, rédactrices, gérantes… » dit Gabrielle Lacasse.

« La quantité de travail nécessaire pour réaliser assez de contenu pertinent pour gagner un salaire décent est immense. La valeur de notre labeur est grandement sous-estimée. À preuve, on nous demande souvent de travailler en échange de produits non sollicités », déplore Ève Martel.

« Je ne peux malheureusement pas payer mon loyer avec des tubes de rouge à lèvres », ricane Ely Lemieux, fondatrice du blogue éponyme et maintenant présidente de l’agence de communication du même nom.

« Je remarque que, pour désigner [les hommes], on nomme d’abord leur métier : sportif de haut niveau, photographe, mannequin, artiste… Le fait qu’ils ont une influence est mentionné après, et ça leur donne une légitimité dont les femmes dans le domaine profitent moins »

— Josiane Stratis, autrice et cofondatrice des blogues Ton Petit Look et TPL Moms

La clé : se diversifier

Alors qu’auparavant les adolescentes aspiraient à ressembler à Véronique Cloutier ou Mitsou, plusieurs souhaitent maintenant être la prochaine Élisabeth Rioux, la fondatrice de Hoaka Swimwear qui compte plus de 1,8 million d’abonné·e·s sur Instagram. Mais attention : ne devient pas influenceuse·eur qui veut!

« Moins de 1 % des personnes qui s’y risquent réussissent, affirme Aurélie Sauthier. C’est une occupation tellement prisée! Il faut trouver son créneau, travailler fort, avoir un véritable esprit d’entrepreneur·euse, être débrouillard·e, se démarquer et, surtout, savoir rester pertinent·e. » Et durer dans le temps, alors que les nouveaux visages et les nouvelles plateformes affluent, n’est pas chose simple.

« Je considère que l’influence est éphémère, dans la majorité des cas, dit la présidente de Made In. Je conseille à celles et ceux qui s’aventurent dans le domaine d’avoir un plan B, de diversifier leurs expériences. J’ai l’impression que ça, la première mouture de créatrices et de créateurs de contenu l’a bien compris. Mais les plus jeunes pensent moins à leur plan à long terme. »

Même son de cloche du côté de Josiane Stratis : « Ma sœur jumelle [NDLR: Carolane Stratis, cofondatrice des blogues Ton Petit Look et TPL Moms] et moi avons écrit deux livres qui sont des best-sellers, nous animons des conférences, prenons part à des panels… On sait qu’on ne doit pas mettre tous nos œufs dans le même panier pour rester pertinentes. Et qu’on doit aussi adapter notre message à ce qui se passe dans la société; on n’a pas peur de dire qu’on est politisées. »

L’importance de la transparence

Avec cette forme de marketing en croissance viennent de nouveaux problèmes éthiques. Pour éviter la publicité trompeuse ou dissimulée, les Normes de la publicité ont mis sur pied un guide de référence portant sur le marketing d’influence en ligne et sur les réseaux sociaux.

« C’est important que les internautes sachent que les personnes influentes sur le Web ont été rémunérées pour parler de tel produit ou service. Ils et elles développent souvent un fort sentiment d’attachement envers ces personnalités, deviennent un peu comme leurs ami·e·s », dit Danielle Lefrançois, directrice des communications aux Normes de la publicité.

« Je prône la confiance en soi, l’acceptation de son corps; c’est donc important pour moi de travailler avec des marques qui ont les mêmes valeurs que moi, et qui respectent mon travail. »

— Ely Lemieux, présidente de l’agence de communication du même nom et blogueuse

« Les consommatrices ne sont pas dupes, de toute façon, affirme Gabrielle Lacasse. Elles le savent, maintenant, si les créatrices de contenu dissimulent de la publicité. Et si c’est le cas, elles se sentent bernées! » Même constat lorsque celles-ci deviennent ce que la jeune entrepreneuse appelle des « panneaux publicitaires ». « Quand tu acceptes n’importe quel contrat pour faire de l’argent, tes abonné·e·s s’en rendent compte et s’en lassent. Personnellement, je n’accepte qu’environ 5 % des partenariats rémunérés qu’on me propose, parce que je considère qu’ils concordent avec ma marque personnelle. Le reste de mes publications sont entièrement éditoriales. »

« Parce que je suis en surpoids, de nombreuses compagnies de thés ou de produits amaigrissants m’approchent pour collaborer, relate Ève Martel. Je refuse systématiquement, parce que ça va à l’encontre des valeurs que j’essaie de transmettre. » Ely Lemieux abonde en ce sens. «Je prône la confiance en soi, l’acceptation de son corps; c’est donc important pour moi de travailler avec des marques qui ont les mêmes valeurs que moi, et qui respectent mon travail.» Josiane Stratis dit elle aussi décliner chaque semaine des offres de thés amaigrissants – des mots qui peuvent être alléchants pour certaines jeunes femmes bombardées d’images retouchées. « Mais ce sont simplement des thés qui font faire caca », affirme-t-elle en riant. Un produit qui n’a rien de très glam, donc. »

Malgré les dérives possibles, les plateformes employées par les créatrices de contenu sont des lieux d’échanges où circulent non seulement des informations utiles, mais aussi beaucoup de beau, de doux, de drôle. « Les marques et les consommatrices y gagnent, mais les médias sociaux, ça sert également à faire passer des messages importants », rappelle Josiane Stratis. Les termes acceptation de soi, solidarité, féminisme, authenticité, vulnérabilité, courage, écoute reviennent souvent lorsqu’on demande aux créatrices de contenu ce qu’elles souhaitent lancer dans l’univers grâce à leur influence. Et ça, contrairement à une publication commanditée, ça n’a pas de prix.