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Menstruations : la levée des tabous

Elles ont fait peur, elles ont fait honte… Qu’en est-il aujourd’hui? Tour d’horizon des menstruations!

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Quand Rihanna crée l’engouement en lançant une gamme de rouges à lèvres dont l’une des nuances se nomme PMS (premenstrual syndrome), c’est signe que les menstruations n’effraient plus comme avant. Disparu, le tabou des règles? Pas tout à fait, mais on progresse. Car si on pourra bientôt se commander en ligne une « gâterie de soutien hormonal » (un brownies) de la Moon Cycle Bakery à Washington pour honorer cette période du mois, les règles n’ont pas toujours été célébrées. Au contraire.

Il est très récent d’avoir des menstruations si jeune (12 ans) et qui durent aussi longtemps (39 ans, puisque l’âge moyen de la ménopause est de 51 ans). Avant le 20e siècle, les femmes étaient enceintes très tôt, allaitaient sur une longue période, puis retombaient enceintes, et ainsi de suite. L’espérance de vie était plus courte et il n’était pas rare que la malnutrition et les efforts physiques importants créent des périodes d’aménorrhée (absence de règles). Sans compter la ménopause qui survenait plus tôt et les accouchements difficiles pendant lesquels plusieurs femmes mouraient.

Comme l’écrit sur son site l’ex-médecin et auteur Martin Winckler, « les études historiques laissent entendre que rien n’était prévu pour faire face à ce qui était probablement considéré comme un incident occasionnel, et non comme un événement de la vie courante ». Pas étonnant qu’on commence tout juste à aborder sérieusement le sujet.

Sangsues et enfants roux

L’utilité et le fonctionnement des règles ont subi leur lot d’hypothèses loufoques – et dangereuses. Parmi les idées les plus saugrenues, notons les théories du médecin Séverin Icard : vers 1830, il a élaboré une nomenclature des « psychoses menstruelles » incluant… la pyromanie et la cleptomanie!

L’utilité et le fonctionnement des règles ont subi leur lot d’hypothèses loufoques – et dangereuses. Parmi les personnes à blâmer, le père de la médecine, Hippocrate, qui a vécu en 400 avant J.-C. On lui doit la saignée (ainsi qu’à Claude Galien), une pratique née de son observation de femmes indisposées par divers maux avant leurs menstruations (le SPM), puis libérées de leurs malaises après s’être délestées du flux sanguin. Question d’époque, dira-t-on.

Pourtant, un manuel pratique de médecine datant de 1835 recommandait la pose de sangsues sur l’anus et la vulve pour « hâter l’apparition des menstrues chez la jeune fille impubère qui serait irritable, capricieuse, triste ou dépressive », lit-on dans Histoire de règles. Entre religion et médecine de Céline Audouard. Cette idée d’un sang « mauvais » fait encore partie de nos croyances : Élise Thiébaut, journaliste passionnée des règles, raconte dans son livre Ceci est mon sang que jusqu’à tout récemment, sa fille de 20 ans refusait de prendre la pilule en continu afin d’évacuer ce sang qu’elle croyait toxique.

Côté démonisation des règles, Pline l’Ancien, écrivain et naturaliste romain, fait figure de champion. Son ouvrage Histoire naturelle, paru en 77 après J.-C., a contribué à diffuser des informations scientifiquement infondées sur le corps féminin, particulièrement sur les « horreurs du sang menstruel ». On a aussi longtemps cru qu’un•e enfant roux•sse ou idiot•e naîtrait d’une relation sexuelle ayant eu lieu pendant les règles, ou que les femmes rousses étaient menstruées en permanence. Parmi les idées les plus saugrenues, notons les théories du médecin Séverin Icard : vers 1830, il a élaboré une nomenclature des « psychoses menstruelles » incluant… la pyromanie et la cleptomanie!

Encore aujourd’hui, on ressent les contrecoups de ces fausses croyances. En France, le mythe voulant qu’une femme menstruée ne peut réussir à monter une mayonnaise est toujours bien vivant. En Inde, le pot de marinades est tenu loin des femmes qui ont leurs règles pour l’empêcher de pourrir. En 2015, une campagne publicitaire de Procter & Gamble, Touch the Pickle, visait justement à encourager les Indiennes à briser ce tabou tenace. Au Népal, on pratique encore le chaupadi ou exil menstruel, même s’il est passible de prison : jugées impures, les femmes menstruées sont bannies du village pendant plusieurs jours.

Un poids intime, social et politique

Les menstruations ont un impact considérable sur différentes sphères de la vie. Sur le plan personnel et intime d’abord, car c’est une charge à très long terme. Et une importante responsabilité. On doit observer son cycle menstruel pour éviter une grossesse, en prévoir une ou simplement s’assurer du bon fonctionnement du corps. Ensuite, il faut gérer la douleur. Un problème ni anodin ni isolé : en mars dernier, dans le dossier « Sexe féminin » du magazine Québec Science, on apprenait que « 5 à 10 % [des filles et des femmes] manquent l’école ou le boulot chaque mois à cause de ces douleurs », ce qui fait des maux menstruels « la principale cause d’absentéisme au travail ».

Parmi les titres qui abordent le sujet des menstruations de façon intelligente et nuancée, on trouve celui d’Élise Thiébaut, une journaliste passionnée des règles : Ceci est mon sang. La petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font (2017).

Qu’on le veuille ou non, les règles passent rapidement dans les sphères sociale et politique. Plusieurs pays, dont l’Italie et la France, débattent actuellement du congé menstruel qui pourrait être offert en cas de règles douloureuses. Les dépenses liées aux menstruations constituent également une question cruciale. Selon Canadian Menstruators, « 4 133 503 Québécoises âgées de 12 à 49 ans ont dépensé 120 232 670 $ » en 2014 en produits hygiéniques, soit 29 $ par année. Ce projet derrière la campagne #NoTaxOnTampons a contribué à faire abolir la taxe tampon qui faisait des protections hygiéniques des produits de seconde nécessité ou « de luxe ». Fait intéressant : le magazine Châtelaine a refait le calcul en août 2017 et estime que la dépense se chiffrerait plutôt à 56,40 $ par année. Somme modeste pour certaines, mais importante pour les femmes itinérantes, par exemple. Reste que le coût des menstruations demeure globalement élevé – sans compter leur coût environnemental – et que plusieurs estiment que ces produits devraient être subventionnés.

Parlons menstruations

Dans les dernières années, nombre de médias et de gens ont pris la parole pour briser les tabous entourant les règles. Articles journalistiques, séries radio, blogues, médias sociaux : tous les moyens sont bons. Le mot-clic #LiveTweetYourPeriod, lancé sur Twitter en juin 2015, a permis à des centaines de femmes de témoigner de leur réalité menstruelle. La photo de la poète canadienne Rupi Kaur, sur laquelle on voit son sang menstruel, a fait le tour du monde après avoir été censurée par Instagram, démarrant un large débat sur la honte associée aux règles. Côté littérature, en plus du livre susmentionné d’Élise Thiébaut, ces quatre titres abordent le sujet de façon intelligente et nuancée : Le grand mystère des règles (2017) de Jack Parker, Les règles… quelle aventure! (2017) d’Élise Thiébaut et Mirion Malle, Sang tabou. Essai intime, social et culturel sur les règles (2017) de Camille Emmanuelle, et Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les règles sans jamais avoir osé le demander (2008) de Martin Winckler, offert gratuitement sur le Web.

Sur YouTube, ce même Martin Winckler propose quelques vidéos sur la santé sexuelle des femmes, dont deux sur les règles *, et la journaliste et animatrice Lili Boisvert revisite l’histoire des menstruations**. En baladodiffusion, LSD – La série documentaire de France Culture s’y colle dans une série fouillée en quatre épisodes***. Nommer toutes les initiatives lancées pour parler des menstruations relève de l’impossible : il y en a trop. S’il y a une résolution à prendre pour 2018, c’est bien de poursuivre le travail entamé.