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Nikki Haley : la dissidente aux grandes ambitions

Un portrait de Nikki Haley, une républicaine ambitieuse et controversée

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Personne n’avait pressenti la nomination de Nikki Haley au prestigieux poste d’ambassadrice des États-Unis aux Nations Unies. Pourtant, et même en l’absence d’expérience préalable sur la scène internationale, elle agit comme garde-fou du gouvernement Trump en matière de politique étrangère et de relations diplomatiques.

Le 19 septembre 2017, le président américain Donald Trump prend la parole pour la première fois devant l’Assemblée générale des Nations Unies, à New York. Son allocution laisse les délégués réunis devant lui, ainsi que le monde entier, bouche bée. Il exalte la souveraineté des États-Unis sans retenue, et fait preuve d’une rare agressivité, menaçant de rayer la Corée du Nord de la carte. C’est la première crise majeure que gère Nikki Haley. Elle doit détendre l’atmosphère et protéger les liens avec les alliés des États-Unis, sans pour autant désavouer le président ni affaiblir la posture américaine. Elle navigue en eaux troubles, mais elle est habile, maintenant la ligne dure sur la Corée du Nord sans pour autant tomber en disgrâce aux yeux de ses partenaires diplomatiques.

Depuis janvier 2017, elle a dû calmer le jeu à plusieurs reprises devant l’Assemblée, n’hésitant pas à tempérer les propos du président. Lorsque celui-ci s’entêtait à nier l’ingérence de la Russie dans l’élection présidentielle, elle a reconnu sur les ondes de CNN qu’il y avait fort probablement eu des interférences orchestrées par Moscou, écorchant au passage Vladimir Poutine. Et tout juste après le premier décret antimigratoire du président, le controversé « Muslim Ban », qui interdisait aux ressortissants de certains pays de tradition musulmane d’entrer aux États-Unis, Nikki Haley, frondeuse, s’est rendue en Jordanie pour visiter des camps de réfugiés syriens. Elle en a profité pour réitérer l’intention du gouvernement américain de soutenir les populations déplacées par la guerre.

De plus en plus, la déléguée à l’ONU s’impose comme une « voix de la raison » au sein de l’administration Trump, malgré qu’elle n’ait aucune expérience tangible en relations internationales. Incarnant la posture républicaine traditionnelle, quoique résolument portée sur le néoconservatisme en matière de politique étrangère, elle réussit tant bien que mal à injecter une dose minimale de cohérence et de mesure dans la ligne de conduite de Trump, sur la scène extérieure. Plusieurs voient déjà cette femme de 45 ans, fille d’immigrants indiens, comme candidate républicaine pour la présidentielle de 2020. La rumeur courait même à Washington qu’elle aurait pu remplacer Rex Tillerson comme secrétaire d’État avant le prochain mandat [NDLR : finalement remplacé par Mike Pompeo, au moment de publier ces lignes].

De comptable à funambule de la diplomatie

Bien que Nikki Haley fasse ses premiers pas sur la scène internationale, elle est présente depuis un bon moment dans le paysage politique national. Elle a été élue pour la première fois en 2005 à la Chambre des représentants de Caroline du Sud, État dont elle est originaire. En 2010, elle a accédé au poste de gouverneure et y est demeurée jusqu’à sa nomination à l’ONU, en janvier 2017.

La comptable de formation a passé l’essentiel de sa carrière prépolitique dans l’entreprise de son père, qui œuvre dans le domaine de la confection de vêtements. Fille d’immigrants sikhs arrivés aux États-Unis dans les années 1960, Nikki Haley compte parmi ces jeunes figures républicaines farouchement conservatrices et issues de l’immigration. Elle a longtemps été associée au Tea Party, recevant même l’appui de la gouverneure de l’Alaska, Sarah Palin, lors de sa campagne pour le poste de gouverneur•e, en 2011.

Fait notoire, lors de l’investiture républicaine, en 2016, Haley ne soutenait pas Donald Trump. Elle appuyait plutôt le sénateur de la Floride, Marco Rubio, puis celui du Texas, Ted Cruz. Ce n’est qu’à la toute fin de l’investiture qu’elle a consenti à se ranger derrière Donald Trump. Ainsi, il est assez étonnant que le président ait retenu sa candidature pour occuper des fonctions importantes au sein de son administration, lui qui tend plutôt à récompenser ses allié•e•s et supporteurs•trices de longue date. Pourtant, lorsqu’elle est interrogée sur ses relations avec le président, Nikki Haley soutient qu’elles sont excellentes, et ce même si la déléguée à l’ONU a plusieurs fois dévié de la « ligne Trump » depuis son entrée en poste.

Nikki Haley arrive à faire ce que peu de membres de l’administration Trump ont réussi jusqu’à maintenant : elle navigue sur une fine ligne qui lui permet d’entretenir de bonnes relations avec le président tout en maintenant des liens (relativement) décents avec le reste de la diplomatie mondiale. Certains observateurs voient dans cette posture de funambule un calcul habile. En prenant régulièrement le contre-pied des orientations du président, elle garde la possibilité de s’en dissocier complètement dans le futur, s’il devient évident que le gouvernement Trump sera remplacé dès le prochain mandat. Inversement, en conservant de bonnes relations avec le président, elle pourra surfer sur la vague si le bilan de son administration s’avère positif, à l’approche de l’automne 2020.

Impulsive mais audacieuse

Bien sûr, il s’agit de spéculations. Car cette finesse stratégique ne transparaît pas dans la conduite quotidienne de Nikki Haley. Beaucoup déplorent son manque de sérieux sur Twitter, où elle partage des photos de son chien, de sa voiture ou des aléas de la vie à New York. On lui reproche aussi d’avoir manqué de professionnalisme dans sa gestion de l’escalade de la tension avec la Corée du Nord, à l’été 2017 : elle s’est plainte sur Twitter de voir ses célébrations du 4 juillet perturbées par des réunions d’urgence, utilisant le mot-clic #ThanksNorthKorea.

En coulisses, à l’ONU, on rapporte quelques incidents où la déléguée américaine serait personnellement intervenue auprès d’autres membres de l’Assemblée pour leur ordonner cavalièrement d’endosser les postures américaines. On lui reproche également d’avoir annoncé avec joie et arrogance, sur Twitter, la réduction d’un demi-milliard de dollars américains qu’a subie le budget onusien de maintien de la paix. « Ça ne fait que commencer! » a-t-elle lancé dans son gazouillis, en publiant un portrait souriant d’elle-même.

Malgré ces impairs, elle s’est montrée habile politicienne par le passé. En 2015, alors qu’elle était gouverneure, elle a finement géré la controverse entourant le retrait du drapeau confédéré de la Chambre des représentants de Caroline du Sud, s’inscrivant en faux contre son parti. L’affaire a éclaté au lendemain de la tuerie raciste perpétrée dans une église de Charleston. Des groupes de la société civile réclamaient qu’on retire le drapeau confédéré, symbole de la suprématie blanche, des bâtiments officiels et des lieux publics. Haley a alors soutenu le retrait du drapeau, rappelant qu’il s’agit certes d’un symbole historique, mais qu’il ne représente ni le présent, ni l’avenir de la Caroline du Sud. Une posture particulièrement audacieuse pour une politicienne soutenue d’abord par l’électorat conservateur, et devenue la première femme républicaine élue dans cet État.

Sur le plan économique, Nikki Haley s’identifie au courant libertarien. Elle tient un discours fortement imprégné des vertus de « l’État minimal ». Convertie au catholicisme depuis son mariage, c’est aussi une fervente militante anti-avortement. Ainsi, si certains voient en elle une lueur d’espoir pour la diplomatie américaine au temps de Donald Trump, ses positions politiques suggèrent qu’il faut craindre son éventuelle candidature à la présidentielle, dans une perspective de progrès social et de soutien étatique à l’égalité des chances sur le territoire américain.

Tout en résistant aux assauts du gouvernement Trump au cours des prochaines années, les mouvements sociaux devront donc garder Nikki Haley à l’œil.