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Sortir au temps du #MoiAussi

Les bars devront faire leur classe en matière d’agressions sexuelles

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Afin de devenir plus sécuritaire et accueillant pour les femmes, le milieu des bars a besoin d’un sérieux dépoussiérage. Heureusement, certains établissements s’attellent à la tâche.

Entre les tenues sexy parfois imposées aux barmaids et les « Ladies Nights » promettant à la clientèle masculine un bouquet de femmes enivrées, les bars sont le théâtre d’indécrottables coutumes stéréotypées. Et sur les planchers de danse, les avances insistantes et les contacts importuns polluent trop souvent l’atmosphère.

Dernièrement, on a vu l’intérêt pour la notion de consentement dépasser les cercles féministes. Grâce à des mouvements comme #MoiAussi et #BalanceTonPorc, nous prenons collectivement conscience que la tolérance envers les agressions sexuelles doit cesser. Les bars saisiront-ils cette occasion? Osons y croire.

Un problème de culture

« À travers la consommation d’alcool, on crée un espace où les limites du consentement n’ont plus à être respectées parce que l’on dispose d’un motif en béton pour tout excuser*. » Cette citation – d’une féministe bulgare anonyme – illustre parfaitement le lien entre alcool et culture du viol. Les données de santé publique sont claires à ce sujet : l’alcool est la substance la plus présente dans les cas d’agression sexuelle.

La campagne québécoise « Sans oui, c’est non! » vise à prévenir les violences sexuelles auprès des communautés universitaires et collégiales. Selon sa porte-parole Milène Lokrou, tout indique que certains individus profitent de l’état d’ébriété pour outrepasser le consentement. Or, rappelle-t-elle, « une personne intoxiquée à l’alcool ne peut consentir de manière libre et éclairée ». Voilà pourquoi un changement de culture s’impose dans les bars.

Tout indique que certains individus profitent de l’état d’ébriété pour outrepasser le consentement. Or, rappelle Milène Lokrou, porte-parole de la campagne « Sans oui, c’est non! », « une personne intoxiquée à l’alcool ne peut consentir de manière libre et éclairée. »

L’ambitieux projet « Commande un angelot » s’adresse spécialement aux établissements fréquentés par des étudiant•e•s. En commandant cette boisson fictive, une cliente en détresse alerte le personnel du bar. Un protocole d’intervention se met alors en marche pour lui venir en aide. On l’accompagnera en lieu sûr ou on appellera la police, si nécessaire. Les établissements participants souhaitent également que le logo « Commande un angelot », apposé sur leur porte d’entrée et dans les toilettes, dissuade les agresseurs potentiels. Implanté l’automne dernier grâce à une collaboration entre l’Alliance pour la santé étudiante au Québec et les campagnes « Ni viande ni objet » et « Sans oui, c’est non! », le projet s’inspire des campagnes « Angel Shots » aux États-Unis et « Ask for Angela » au Royaume-Uni.

Toutefois, cette croisade ne s’arrête pas là. Au-delà de l’aspect sécuritaire, elle s’attaque aux idées reçues les plus tenaces. Le personnel des bars adhérant au projet doit suivre plusieurs formations, dont « Mythes et réalités », qui bouscule les mentalités. Ayant longtemps cru que l’alcool justifiait certains comportements, plusieurs employé•e•s en ressortent quelque peu ébranlé•e•s, mais mieux outillé•e•s pour détecter les agressions potentielles.

Les bars « safer space »

En matière de consentement, le Notre-Dame-des-Quilles, un bar non officiellement queer de la Petite-Patrie, à Montréal, a depuis longtemps fait ses classes. Bibelots kitsch et allée de bowling donnent une ambiance décontractée à cet établissement de quartier. En préparant un cocktail, Tasha, la gérante, explique qu’au sein de la communauté queer, la quête d’un milieu sûr est constante. « Dans nos événements, nos centres communautaires, nos lieux de rencontre, il y a toujours une politique contre la violence et pour le consentement. » Longtemps demeurée officieuse, la ligne de conduite du bar est maintenant affichée aux murs. On y stipule qu’en plus du harcèlement physique ou verbal, on ne tolérera pas les comportements homophobes ou transphobes, le sexisme ni le racisme. Un pacte de respect de la différence qu’on ne peut balayer sous le tapis.

On connaît le principe du safe space, ou espace sécurisé. Il s’agit de lieux de rencontre où des groupes généralement marginalisés s’expriment sans crainte d’être jugés. Difficile de garantir un tel cadre dans un bar. C’est pourquoi le Notre-Dame-des-Quilles préfère se définir comme un safer space (« espace plus sécuritaire »). « Puisque le personnel partage des valeurs féministes, ça va de soi, affirme Tasha. On veut que tout le monde se sente bienvenu, peu importe l’identité de genre ou l’apparence. » Cet environnement égalitaire et sans préjugés représente une bouffée d’air frais pour les femmes hétérosexuelles. « Plusieurs aiment venir ici parce qu’elles n’ont pas l’impression qu’on les harcèle », poursuit la gérante.

Qu’en est-il alors des bars majoritairement fréquentés par les hétéros? Maya, une jeune femme bisexuelle qui sort parfois danser avec ses amies, confirme qu’il y a encore du ménage à faire. Selon elle, les bars LGBTQ+ sont généralement plus rassurants pour les femmes. Elle émet tout de même une mise en garde. « Ironiquement, l’abondance de femmes “straights” diminue l’attrait de ces espaces pour les femmes queer : ça devient plus difficile de flirter ou de connecter quand la majorité des clientes te rejette ou t’ignore. Les hétérosexuelles devraient pouvoir danser dans des lieux qui leur sont destinés. »

Photographie de Tasha.

« Dans nos événements, nos centres communautaires, nos lieux de rencontre, il y a toujours une politique contre la violence et pour le consentement. »

Tasha, gérante du bar Notre-Dame-des-Quilles à Montréal

Heureusement, certains bars font peau neuve. Avant de récentes rénovations, le Reggies de l’Université Concordia était glauque, sombre, sinistre. Des cas d’inconduites sexuelles y avaient d’ailleurs été rapportés. « Nous voulions réapparaître sous un nouveau jour et nous assurer de ne pas revenir aux anciennes pratiques », affirme Justin, le gérant. Le bar a donc créé son propre code, en collaboration avec le Centre de lutte contre l’oppression des genres, un organisme étudiant. « Nous souhaitons que les femmes et les personnes issues de la diversité sexuelle se sentent à l’aise d’être elles-mêmes. »

L’approche du Reggies se situe à mi-chemin entre celle du Notre-Dame-des-Quilles et de « Commande un angelot ». En affichant la politique sur la page Web et les murs du bar, on responsabilise la clientèle. Et si des dérapages ont lieu malgré tout, le personnel dûment formé saura intervenir.

Pour en finir avec les hommes des tavernes

Ces démarches sont-elles condamnées à n’intéresser que la communauté étudiante? À être l’apanage du milieu queer? À demeurer confinées à une bulle-montréalaise-coupée-du-vrai-monde? Osons répondre par la négative. Bien que marginaux, les établissements safer space émergent peu à peu aux États-Unis et au Canada. La campagne « Commande un angelot », quant à elle, est en vigueur dans neuf régions administratives du Québec. Plus encore, les Forces armées canadiennes s’y associent pour développer un projet pilote visant à prévenir les violences sexuelles dans les bars et les lieux de socialisation des bases militaires. La preuve que de telles initiatives peuvent éclore hors du terreau dit progressiste et loin des grandes villes.

Mais le gros du travail reste à faire. Pour toute avancée de la condition féminine, nous reculons souvent d’un petit pas. En novembre dernier, un bar de Trois-Rivières a été l’hôte d’un « Sex Party » célébrant la chosification de la femme par l’homme. L’organisateur de l’événement, sorte de G.O. en manteau de fourrure, prévoyait des débordements : « Avec des filles habillées de la sorte, a-t-il affirmé dans les médias, tout peut arriver, les gens peuvent perdre leur sens. » Ces propos qui sentent le renfermé bafouent avec désinvolture la notion de consentement, pourtant incontournable actuellement. Exigeons que tous les bars reflètent l’air du temps.