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13 Reasons Why : la série qui déconstruit la culture du viol

Une série sur le suicide? Non. Sur la façon dont on traite souvent les filles.

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Beaucoup plus qu’une série sur l’intimidation, 13 Reasons Why parle surtout de la manière dont on traite les filles – et les femmes, par extension. Tentons de regarder plus loin que le débat qui a embrasé 2017…

Fraîchement débarquée à l’école secondaire Liberty High, Hannah Baker hérite de l’étiquette de fille facile après la propagation d’une rumeur sur sa relation avec le populaire Justin. Victime d’un effet boule de neige, l’adolescente décide de se suicider, laissant derrière elle sept cassettes audio destinées aux personnes qu’elle juge responsables de sa mort.

Voici l’intrigue de 13 Reasons Why (Treize raisons), série américaine produite par Selena Gomez et figurant parmi les plus controversées pour son traitement du suicide, montré dans son intégralité dans le dernier des 13 épisodes de la première saison, lancée le 31 mars 2017.

Parmi les tabous soulevés par ce produit Netflix adapté du roman éponyme de Jay Asher, celui des traumatismes qui émaillent la vie d’une femme, entre harcèlement sexuel et slut-shaming.

Selon Martine Delvaux, essayiste féministe et professeure de littérature à l’UQAM, « le procès fait à cette série est une manière d’éviter d’entendre ce qui y est raconté. Ce n’est pas juste une série sur l’intimidation, ça porte sur la façon dont on traite les filles ».

Photographie de Martine Delvaux.

« Les commissions scolaires, les écoles, les parents, tout le monde est responsable [de la façon dont sont traitées les filles] : c’est exactement ce que la série dit. »

Martine Delvaux, écrivaine et professeure au Département d’Études littéraires de l’UQAM

Montrer pour dénoncer

On assiste ainsi à plusieurs scènes où le consentement d’Hannah est mis à mal, que ce soit par la diffusion d’une photo compromettante sur les réseaux sociaux ou par une main aux fesses dans un dépanneur.

Pour Stéfany Boisvert, chercheuse postdoctorale sur les identités de genre dans les nouvelles formes de sérialité à l’Université McGill, c’est une façon de révéler la mise en place d’une culture insidieuse allant au-delà des violences physiques. « Dans la série, les garçons s’amusent à objectifier les jeunes femmes sur le campus en créant une liste [de celles possédant les plus beaux attributs] où Hannah est décrite comme ayant le plus beau derrière. [Elle s’offusque d’apparaître sur cette liste], mais les autres filles ne comprennent pas sa réaction, puisque les hommes ont validé son apparence. Ce manque de solidarité féminine est une représentation complexe des inégalités de genre et d’une culture qui ne laisse pas place à la compréhension des blessures psychologiques des femmes. Elles ne se sentent pas reconnues comme individus mais comme corps qui se conforment à ce que les hommes recherchent. »

Pour Mme Boisvert, « la série creuse la question de la reproduction de formes de masculinités toxiques. Elle met en scène des jeunes qui reproduiront cette culture du viol pour prouver qu’ils sont des hommes selon la définition dominante de la masculinité hétérosexuelle : entreprenants dans les relations sexuelles, gratifiés socialement par le fait d’avoir plusieurs conquêtes ».

À plusieurs reprises, Hannah est qualifiée de drama queen (« reine du drame »). Une appellation reprise sur Twitter, où 8 millions de tweets avaient déjà été consacrés à la série entre mars et avril 2017. Désormais ancré dans la culture populaire, le mot-clic #WelcomeToYourTape (« Bienvenue dans ta cassette ») fait référence aux réactions d’une personne qualifiée d’excessive par rapport à un faux pas du quotidien.

« Ce mouvement se réapproprie la rhétorique d’une série qui montre que la culture du viol, c’est responsabiliser la femme face aux violences dont elle est victime, mais aussi les banaliser, explique Stéfany Boisvert. C’est précisément ce que la série a voulu critiquer en montrant qu’Hannah ne s’en remettrait pas. »

Masculinité complice

Bien que son contenu n’ait pas été épargné par les spécialistes en santé mentale, la forme de 13 Reasons Why est largement remise en question à cause de ses nombreuses scènes explicites, dont deux qui présentent le viol crûment. Une esthétique également adoptée pour la scène du suicide, remarque Stéfany Boisvert, qui regrette le choix d’une caméra omnisciente – un point de vue externe qui n’adopte pas la vision d’un personnage en particulier –, récurrent lorsqu’il s’agit de représenter le viol à l’écran.

Au fil des épisodes, la série souligne la banalisation collective des agressions sexuelles, qui s’exprime à travers un réflexe de déni des élèves de Liberty High face au vécu des personnages féminins.

La focalisation du récit sur le personnage de Clay Jensen, un camarade d’Hannah par l’intermédiaire duquel seront dévoilés les fameuses cassettes et le quotidien de son amie, a également son importance. Pour Stéfany Boisvert et Martine Delvaux, ce choix narratif est tout sauf le fruit du hasard. Et selon cette dernière, le découpage temporel marqué par l’évolution de la blessure au front de Clay sert à montrer un personnage masculin blanc hétéro de bonne famille qui se déconstruit progressivement. Un avis partagé par Stéfany Boisvert, pour qui présenter un garçon exclu du boys club n’est pas anodin. « Le phénomène #MeToo sur les réseaux sociaux a montré à quel point se reconnaître comme partie intégrante de la culture du viol est plus difficile pour les garçons et les hommes que de contester certaines pratiques liées à la culture masculine donnant lieu à cette culture du viol. »

Selon la chercheuse, Clay incarne malgré lui une forme de masculinité complice. « Des hommes hétérosexuels qui ne se sentent pas dans une position de pouvoir peuvent quand même se protéger en se conformant aux normes et aux attentes sociales vis-à-vis des hommes et des femmes, par exemple en acceptant le discours de l’homme en tant que discours dominant. Dans la série, Hannah est victime de slut-shaming; le réflexe de Clay à ce sujet est de ne pas la croire et d’en rire dans les couloirs. Comme le feraient beaucoup de gens, il accorde d’abord de la crédibilité au discours de l’homme – l’agresseur –, pas à celui de son amie. »

Pour Martine Delvaux, il est important d’encadrer son ado dans le visionnement de 13 Reasons Why. « Les commissions scolaires, les écoles, les parents, tout le monde est responsable [de la façon dont sont traitées les filles] : c’est exactement ce que la série dit. » Si Netflix a ajouté des avertissements au début des épisodes, il faut quand même prendre le temps de discuter des images et des valeurs qui y sont projetées.

Chose certaine, le débat qui gravite autour de cette production n’est pas près de s’éteindre, alors qu’une deuxième saison est annoncée pour le printemps prochain.