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Je suis allée voir Hillary Clinton et je suis frustrée; voici pourquoi

Autour du passage d’Hillary Clinton au Québec

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J’ai essayé de lire son livre. Il a fini par me tomber des mains à force de détails peu intéressants qui alourdissent inutilement le texte. Malgré tout, et surtout après l’avoir entendue au Palais des congrès de Montréal, le 23 octobre dernier, j’ai l’impression de mieux connaître Hillary Clinton.

Il faut dire que j’ai une affection particulière pour les femmes de cette génération, qui me rappellent ma mère. Elles ont été aux premières loges du mouvement de libération des femmes dans les années 1960. Elles ont milité pour obtenir des garderies, marché pour l’accès à l’avortement. On leur doit une fière chandelle.

Mais je ne dois pas me leurrer pour autant. Hillary Clinton n’est pas ma mère. L’ex-secrétaire d’État est née avec une cuillère d’argent dans la bouche1. Elle fait partie de la classe des privilégiés et a d’ailleurs défendu au fil des ans un féminisme plutôt blanc et libéral, assez dépassé de nos jours. Cela lui vaudrait même, selon plusieurs, de ne pas mériter le titre de féministe.

Je n’irais pas jusque-là. Je crois à la diversité des voix et des points de vue. L’ensemble de l’œuvre n’est pas à jeter à la poubelle parce que ce n’est pas exactement comme on le voudrait.

Après tout, Hillary Clinton, c’est aussi celle qui a fait cette déclaration-choc en 1995, lors de la Conférence mondiale sur les femmes de l’ONU, à Pékin : « Women’s rights are human rights » (« Les droits des femmes sont des droits de la personne »). Il faut se replacer à l’époque, c’était immense comme affirmation.

L’argent, toujours l’argent…

Cela dit, heureusement que j’avais en poche une accréditation média pour aller l’entendre au Palais des congrès, car les billets pour les conférences de Mme Clinton sont chers, très chers, et ce n’est pas avec mes modestes gages de journaliste pigiste que j’aurais pu entrer là.

On dirait bien que Mme Clinton a choisi de suivre les traces de son mari Bill. Ce dernier s’est enrichi depuis qu’il a quitté la présidence grâce aux tarifs élevés qu’il réclame pour prononcer des conférences. Pour votre gouverne, leur patrimoine est estimé à plus de 55 millions de dollars américains2.

Voilà qui nous ramène à la fameuse notion de privilège et au fait qu’il faut avoir de l’argent pour faire de la politique aux États-Unis, et que la politique y est une activité hautement lucrative. Il y a clairement quelque chose qui cloche. Je laisse aux observateurs aguerris le soin de revenir sur cet important enjeu démocratique.

Seulement, on a beaucoup reproché sa fortune à Mme Clinton, mais le politicien chouchou qu’est Barack Obama n’est pas exactement un « tout nu dans la rue », lui qui, avec sa femme, pèserait plus de 40 millions de dollars américains3.

Mais, allez savoir pourquoi, les accusations de grande bourgeoisie sont principalement adressées à Mme Clinton. Je plaisante, bien sûr. Il s’agit d’une énième manifestation du sexisme ordinaire, du fameux deux poids, deux mesures. D’ailleurs, c’est pareil au Québec. François Legault est un millionnaire qui s’est lancé en politique, mais c’est Pauline Marois qu’on a blâmée pour sa richesse.

Sexisme ordinaire

Ainsi vont nos sociétés qu’on se plaît à dire exemptes de sexisme et qui ne le sont pas du tout. Et c’est beaucoup ce qui a retenu mon attention à la fois dans le livre et dans l’allocution de Mme Clinton.

J’ai dit que le bouquin m’est tombé des mains, c’est vrai. J’ai eu l’impression de lire un journal intime sans réel travail d’édition. Sauf, et notez bien le sauf, pour le chapitre intitulé « Être une femme en politique ». Il fait 34 pages et c’est un vrai régal.

Extraits :

« L’instant où une femme s’avance pour prononcer les mots “Je suis candidate” déclenche une avalanche d’analyses : celles de son visage, de son corps, de sa voix, de son comportement, mais aussi la minimisation de sa stature, de ses idées, de ses accomplissements, de son intégrité. »

« D’après mon expérience, le numéro d’équilibriste auquel les femmes politiques doivent se livrer est une gageure à tous les niveaux de responsabilité, mais plus on monte en grade, plus ça se complique. Si on est trop dure, on est perçue comme désagréable. Si on est trop douce, on n’est pas taillée pour la cour des grands. »

« Le président Obama est aussi circonspect que moi, peut-être même plus. Il parle avec beaucoup de précaution; il prend son temps, pèse ses mots. Ce qui en général, et à juste titre, est considéré comme une preuve de sa rigueur et de sa carrure intellectuelles. Tout comme moi. Pourtant, chez moi, la même attitude est souvent perçue comme un point négatif. »

Je suis frustrée, donc

Bien honnêtement, j’estime que la candidate défaite – contre Donald Trump! – a fait l’involontaire, mais néanmoins parfaite démonstration que tous ces préjugés sexistes et le fameux deux poids deux mesures perdurent et frappent durement les femmes en politique.

Comme me l’a écrit une amie : « Elle n’était pas parfaite, Mme Clinton, mais Trump l’était encore moins. À plein d’égards! Et c’est lui qui dirige le pays. C’est absurde et sinistrement ridicule. »

D’ailleurs, Mme Clinton a rappelé pendant son allocution que les allégations de harcèlement sexuel contre Donald Trump4, en pleine campagne électorale, n’ont pas été prises au sérieux.

Répondant à une question de l’animatrice à propos de la campagne #MoiAussi (#MeToo), elle a ajouté espérer « qu’à la suite de ces révélations, grâce au courage des femmes, nous pourrons mettre fin à ces comportements de domination. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, de pouvoir et de domination ».

Petit aparté ici, comme me l’a fait remarquer la journaliste Nathalie Collard sur Twitter, mentionnons au passage que la glace était mince pour Mme Clinton sur ce sujet, son mari ayant entretenu une liaison avec une très jeune stagiaire alors qu’il dirigeait la Maison-Blanche. Je ne reviendrai pas sur les détails de « l’affaire Lewinsky », mais si ça vous intéresse, elle est savamment décortiquée ici5.

Je suis frustrée (bis)

Reste que, comme Mme Clinton l’a dit lors de sa conférence : « La seule façon dont nous allons nous débarrasser du sexisme en politique, c’est en ayant plus de femmes qui se lancent en politique. »

Je suis bien d’accord. Et c’est probablement ce qui a été le plus pénible dans le fait d’écouter cette femme expérimentée, elle qui a été une jeune fille extrêmement douée, pionnière étudiante en droit à l’Université Yale (seulement 15 % de ses camarades de classe étaient des femmes6), plus brillante que son mari, mais qui a néanmoins été forcée de le laisser se présenter, lui, à la présidence en 1992, parce que c’est ce que commandait l’époque.

D’ailleurs, cette époque serait-elle miraculeusement révolue? Permettez-moi d’en douter. Je ne suis pas convaincue qu’un parti osera de sitôt renommer une femme candidate à l’élection présidentielle… (J’espère que les démocrates me feront mentir, alors il me fera plaisir de vous voir me remettre ce texte sous le nez, je vous assure!)

Mme Clinton a terminé sa conférence du 23 octobre en rappelant les sages paroles de Françoise Giroud7, qui a dit que l’égalité sera véritablement atteinte le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente.

Pour l’instant, on baigne toujours dans le marécage inverse : une femme extrêmement qualifiée a perdu contre un ambitieux inexpérimenté.

1 www.parismatch.com/Actu/International/Hillary-Clinton-une-jeunesse-en-images-1094371

2 www.huffingtonpost.fr/2013/02/21/10-presidents-americains-plus-riches-etats-unis-international_n_2732843.html

3 www.gobankingrates.com/net-worth/barack-obamas-net-worth-54-happy-birthday-mr-president

4 www.theguardian.com/us-news/2016/oct/13/list-of-donald-trump-sexual-misconduct-allegations

5 http://blog.francetvinfo.fr/ladies-and-gentlemen/2013/03/14/il-y-a-30-ans-exactement-francoise-giroud-disait-la-femme-serait-vraiment-legale-de-lhomme-le-jour-ou.html