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Plus d’élues ou plus de pouvoir?

Plus de femmes en politique municipale : lentement mais sûrement?

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Depuis 1985, le nombre de femmes élues dans les conseils municipaux du Québec ne cesse de croître. Pourtant, celles-ci se cantonnent majoritairement dans les postes de conseillères. Celles qui veulent arriver aux mairies, soit aux véritables postes de pouvoir, doivent souvent inventer de nouveaux chemins.

Lorsque Suzanne Roy a commencé sa carrière politique comme conseillère municipale de Sainte-Julie, certaines discussions se poursuivaient, durant les pauses des séances, dans les toilettes des hommes. « Ils en sortaient et avaient déjà pris leur décision, raconte-t-elle. Nous n’étions que deux femmes conseillères à l’époque. Alors un jour, on s’est pointées dans les toilettes et on a dit : “On ne peut pas laisser les décisions se prendre sans nous.” »

Depuis, Suzanne Roy est devenue mairesse de Sainte-Julie, et elle est aussi présidente de l’Union des municipalités du Québec. C’est la deuxième femme à occuper ce poste dans l’histoire de l’Union. « Aujourd’hui, je remarque qu’il nous arrive, à nous aussi, de poursuivre les débats politiques dans les toilettes des femmes », dit-elle.

Elle a vu le paysage politique municipal changer depuis 1996, alors qu’elle faisait ses premiers pas comme conseillère indépendante. Elle est fière de dire que le conseil municipal de Sainte-Julie est désormais composé, si elle s’exclut, de quatre femmes et de quatre hommes. Un tableau plus équilibré que dans la majorité des municipalités, puisqu’au Québec, 83 % des maires demeurent des hommes, comme 68 % des conseillers municipaux.

La future « homme de la situation »?

Chef du parti Projet Montréal depuis 2016, Valérie Plante affrontera son adversaire, le maire Denis Coderre, aux élections municipales du 3 novembre prochain. Dans le cadre de sa campagne, elle n’a pas hésité à approuver un slogan suscitant la controverse. Sur ses pancartes électorales la présentant les bras croisés, on peut lire : L’homme de la situation. Valérie Plante. Mairesse de Montréal.

Photographie de Valérie Plante.

« Il y a toutes sortes de façon de changer le monde, et pour moi tout est valable. Je continue et je vais essayer de voir si je peux changer la machine de l’intérieur »

Valérie Plante, chef du parti Projet Montréal depuis 2016

Rencontrée un matin de septembre dans un café du Mile End, elle reconnaît que le slogan avait pour but de provoquer des réactions. Si certaines féministes ont dit être heurtées par le fait qu’on doive encore utiliser une référence au sexe mâle pour se présenter en politique, Valérie Plante voyait plutôt la boutade comme un pied de nez. « L’objectif, c’était de me faire connaître. J’ai un déficit de notoriété par rapport à mon adversaire », explique-t-elle.

La candidate a par ailleurs un long parcours d’engagement dans le mouvement féministe. Elle a entre autres fait partie du collectif Némésis, qui offrait, au début des années 2000 à Montréal, des formations sur l’impact de la mondialisation sur la condition des plus pauvres, qui sont souvent des femmes. Et elle a dirigé Filles d’action, un organisme qui soutient le développement des jeunes femmes marginalisées à travers le Canada. Elle dit s’être engagée en politique municipale parce qu’elle aime Montréal, mais aussi pour tenter d’y aplanir les inégalités, notamment entre les résidents des différents quartiers.

Anthropologue de formation et issue du milieu communautaire, elle reconnaît que la politique et ses partis sont structurés à partir des modèles dominants, donc masculins et blancs. La ville de Montréal n’a d’ailleurs jamais eu de mairesse, et Valérie Plante y est la deuxième femme chef de l’opposition, après Louise Harel, qu’elle a battue en 2013 dans le district de Sainte-Marie, dans le Centre-Sud. « Déconstruire ce modèle hiérarchique, c’est vraiment difficile », admet-elle. Elle admire le travail accompli à cet effet par le parti provincial Québec solidaire, qui nomme notamment deux cochefs, un homme et une femme (actuellement Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé).

Elle apprécie également l’effort que fait son parti pour attirer des femmes. Projet Montréal demande à ses candidats ayant des réseaux plus développés et qui arrivent à recueillir davantage de financement de mettre leur surplus dans une caisse commune pour soutenir les candidatures féminines. Valérie Plante en a elle-même bénéficié au moment de sa première élection. « Depuis, j’ai fait beaucoup de réseautage, et cette année, c’est sûr que je vais à mon tour verser un surplus », relate-t-elle.

Selon elle, les femmes issues de la diversité ethnique sont particulièrement difficiles à recruter, et il faut y voir.

Changer les partis de l’intérieur

Pour Élaine Hémond, consultante et formatrice Genre et Gouvernance *, il ne suffit toutefois pas d’obtenir la parité numérique en termes de représentation femmes-hommes. Pour mettre en valeur les politiciennes, il faut trouver une façon de faire de la politique autrement.

« Je ne suis pas quelqu’un qui calcule pour faire des comptes. Je travaille pour que les femmes aient un véritable impact démocratique, dit-elle. J’ai consacré deux décennies à l’accompagnement de femmes attirées par l’engagement démocratique, au Québec et à l’étranger. Cette expérience a ancré chez moi la certitude que les femmes souhaitent faire de la politique autrement. À la question “Quelles raisons vous incitent à briguer un poste d’élu?”, les aspirantes candidates et les candidates que j’ai accueillies avaient une double réponse semblable : “Agir pour le bien commun de ma société et influencer notre façon de vivre la démocratie”. Les mots ambition et pouvoir étaient peu présents dans leur discours. »

Elle estime que la partisanerie est un obstacle majeur au rayonnement des femmes dans la sphère politique. « C’est comme si la démocratie appartenait aux partis politiques. Or, ces partis fonctionnent selon un mode très masculin. Ils ont été créés par des hommes. Les femmes qui entrent là-dedans sont obligées de se conformer à ces règles. On ne va pas changer les choses tant que les femmes se conformeront aux règles établies par les partis. Ce n’est pas une question de nombre », affirme-t-elle.

« J’ai consacré deux décennies à l’accompagnement de femmes attirées par l’engagement démocratique, au Québec et à l’étranger. Cette expérience a ancré chez moi la certitude que les femmes souhaitent faire de la politique autrement. »

Élaine Émond, consultante et formatrice Genre et Gouvernance

Reste que les femmes qui entrent en politique se disent souvent décidées à changer cet univers de l’intérieur.

Plus d’alliances, moins de batailles

Cathy Wong a été, tout récemment, présidente du Conseil des Montréalaises. Elle vient d’annoncer qu’elle briguera un poste de conseillère municipale dans l’équipe du maire Coderre. Elle a participé à l’organisation du projet Cité Elles MTL, tenu annuellement depuis 2015 pour stimuler l’implication féminine dans la politique municipale. Et elle convient que les femmes hésitent encore beaucoup à se lancer en politique. « J’en connais beaucoup qui ont envie de le faire mais qui manquent de confiance. Elles se disent : “Je ne me vois pas là.” Elles trouvent que le système n’est pas encore assez inclusif. »

Au cours des simulations parlementaires organisées par Cité Elles MTL, Cathy Wong a constaté que les femmes craignent ce milieu marqué par la partisanerie, les chicanes, les débats. « En plus, elles se demandent si elles pourront s’occuper de leurs enfants, craignent de ne pas savoir s’exprimer en public ou de ne pas atteindre les objectifs de financement. »

La jeune trentenaire relève aussi que le vocabulaire associé à la politique renvoie souvent à la bataille, à la guerre. « On oublie qu’en politique, il y a aussi une fraternité, des échanges entre élus qui n’appartiennent pas aux mêmes partis », déplore-t-elle. Valérie Plante aime par exemple raconter comment elle s’est rapprochée de Louise Harel après l’avoir battue aux élections. « C’est devenu une amie », dit-elle, ajoutant qu’elle n’hésite pas à lui demander conseil à l’occasion.

Un impact plus direct

Cathy Wong dit s’être engagée en politique municipale pour faire avancer des choses comme l’accès au logement et aux services, l’employabilité et la gouvernance des femmes. « Les questions de pauvreté se conjuguent encore beaucoup au féminin. On le voit aussi sur le plan de l’employabilité et de l’accès aux services, qui sont plus difficiles pour les immigrantes, les femmes autochtones ou handicapées… À cet égard, le palier municipal est un milieu où on peut avoir un impact direct sur les conditions de vie. »

Photographie de Cathy Wong.

« [Je] connais beaucoup [de femmes] qui ont envie de [se lancer en politique] mais qui manquent de confiance. Elles se disent : “Je ne me vois pas là.” Elles trouvent que le système n’est pas encore assez inclusif. »

Cathy Wong, ex-présidente du Conseil des Montréalaises et candidate au poste de conseillère municipale dans l’équipe du maire Coderre

Les femmes font-elles de la politique autrement? Suzanne Roy croit que oui. « Elles gèrent différemment parce qu’elles ont des vécus différents. Elles ne sont pas moins bien ou mieux que les hommes, mais elles ont des perceptions différentes des dossiers. » Elle ajoute qu’à ses yeux, les femmes en politique ont tendance à être plus nuancées. « On ne peut pas en faire une règle, mais elles sont souvent moins radicales dans leur approche, ce qui fait qu’elles sont généralement moins colorées… »

Élaine Hémond pense que les femmes ont encore beaucoup de chemin à faire pour véritablement laisser leur empreinte en politique. « Je ne remets pas en cause la compétence des femmes élues. Mais il n’y en a que très peu qui osent manifester leur indépendance devant le système établi. »

« Il y a toutes sortes de façon de changer le monde, et pour moi tout est valable, affirme Valérie Plante. Je continue et je vais essayer de voir si je peux changer la machine de l’intérieur. »

* Élaine Hémond a fondé le Groupe Femmes, Politique et Démocratie en 1998 et l’a dirigé jusqu’en 2008 avant d’œuvrer comme professionnelle autonome.

Les élus municipaux en chiffres

Selon une compilation du Conseil du statut de la femme et de la Table de concertation des forums jeunesse régionaux du Québec, en 2013, seulement 17 % des maires des municipalités du Québec étaient des femmes; chez les conseillers municipaux, cette proportion était de 32 %. Les chiffres étaient un peu plus élevés chez les élus de 35 ans et moins : les femmes représentaient 29,6 % des maires de cette catégorie d’âge, et 43 % des conseillers municipaux.

Le nombre de femmes élues aux postes de conseillères et de mairesses augmente continuellement depuis 1980, année où il était sous la barre des 5 %, selon les données du ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire. Le nombre de candidates pour ces postes a quant à lui augmenté de 28 % entre 2005 et 2013. Une évolution lente, mais constante.