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Punk et femme d’affaires

Rox Arcand : une fille dans le boys club de la musique, une punk en affaires.

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Figure incontournable de la scène culturelle underground de Québec, Roxann Arcand, dite Rox, y roule sa bosse depuis près de deux décennies. Autrefois membre de Machinegun Suzie, défunt et mythique groupe punk 100 % féminin, elle est aujourd’hui disquaire indépendante. Artiste et femme d’affaires, voilà une double identité qu’endosse fièrement la bientôt quarantenaire.

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En lien avec l’Agenda 21C du Québec, la Gazette des femmes propose une série d’articles mettant en valeur l’apport culturel de femmes au développement régional. Cette quatrième parution de la série nous vient de Québec.

Pour un peu, on croirait que celle qui se trouve au cœur de la scène culturelle alternative de Québec possède le don d’ubiquité : préposée à l’accueil à la salle de spectacle du Cercle, bénévole pour plusieurs événements, juge dans divers concours, programmatrice de festival, elle se produit aussi sur scène au sein d’Enfants sauvages, un groupe punk hardcore francophone, et de Cobrateens, qui fait dans le garage-power pop.

Si elle n’a pas de formation musicale et ne sait pas lire la musique, la battante est une autodidacte authentiquement passionnée. « J’ai des amis musiciens qui sont cent fois meilleurs que moi, mais comme j’aime vraiment la musique, depuis toujours, eh bien je trouve que ce que je fais dans le punk est quand même bien, même si je ne suis pas une virtuose. »

Celle dont toute la vie tourne autour de la musique, y compris deux répétitions hebdomadaires, décline ses goûts et préférences : « J’aime tout ce qui est garage, punk, même si j’ai des petites tendances new wave et post-punk. »

Survivre à l’ère numérique

Et puis, il y a Le Knock-Out qui occupe énormément de son temps. Rox Arcand est copropriétaire de ce magasin de disques indépendant et alternatif ayant pignon sur rue dans le quartier Saint-Roch.

Ouverte il y a plus de quatre ans, la boutique tient bon, contre vents et marées. Si les iTunes, Spotify et autres pourvoyeurs de fichiers musicaux numériques ont énormément modifié notre rapport collectif à l’écoute et, surtout, à l’achat de musique, il existe encore de vrais mélomanes, qui aiment se déplacer chez un disquaire pour discuter et mettre la main sur des supports bien matériels.

Pour la commerçante, plus c’est vintage, mieux c’est. « On a une section de CD de bands locaux, mais sinon, on se concentre davantage sur les vinyles et les cassettes, neufs ou d’occasion, explique-t-elle. De plus en plus de groupes font faire des cassettes. Elles ne coûtent pas cher comparativement aux vinyles, entre 5 et 10 $, et permettent donc de faire de belles découvertes. Perso, j’y suis accro! »

Est-ce possible, en 2017, de gagner sa croûte en tant que disquaire indépendante? Oui, affirme-t-elle, si on sait vivre chichement : sans télé, ordinateur ni voiture, et dans un petit appartement. « Tant que je pourrai payer mon loyer, c’est parfait. Je fais ce que j’aime et je suis mon propre patron. J’assume mes choix et je me dis qu’on ne peut pas tout avoir. »

En femme d’affaires avisée, elle s’assure néanmoins de stimuler la relève de la clientèle en organisant des spectacles familiaux à la boutique. « On ne sert pas d’alcool, donc les parents peuvent venir avec leurs enfants. C’est une autre ambiance, très agréable. »

Malgré tout, Rox Arcand se bute régulièrement aux préjugés liés à sa double identité de punk et femme d’affaires. « Chaque fois que je vais à la caisse populaire et que j’attends devant le comptoir commercial, il se trouve toujours quelqu’un – employé ou client – pour me dire que je ne suis pas dans la bonne file, comme si je n’avais pas ma place là. Je leur réponds que tout est correct, que je sais lire! »

Être une fille parmi les gars

L’entrée en scène de Rox Arcand dans l’univers musical a lieu au tournant des années 2000, grâce à une petite annonce passée dans les journaux. « Je jouais de la batterie avec une de mes amies, mais on voulait former un vrai groupe, raconte-t-elle. Et ç’a marché : deux filles se sont jointes à nous, une à la guitare, l’autre à la basse. » Molly’s Decline était né. De fil en aiguille, les membres gravitant autour d’elle ont changé et, peu à peu, Machinegun Suzie a émergé.

Roxann Arcand, artiste.

« Lorsque Stéphanie [bassiste pour le groupe et ayant des compétences techniques en sonorisation] donnait des indications à des techniciens de son plutôt autoproclamés, elle se faisait carrément ignorer. Il fallait qu’un autre gars leur répète la même chose. C’est comme si on devait toujours faire nos preuves, comme si on partait avec une prise au bâton. »

Roxann Arcand, artiste, membre de différents bands, dont Machinegun Suzie, défunt et mythique groupe punk 100 % féminin et disquaire indépendante

Si elle s’est toujours sentie un peu « one of the boys » et ne s’est pas trop posé de questions en se lançant dans la musique, reste que ses deux premières formations étaient composées uniquement de filles. Était-ce un geste inconscient? « Il n’y avait pas de revendications particulières de notre part, j’avais seulement le goût de fonder un groupe, relate-t-elle. Quand on est jeune, on ne voit pas les inégalités; ça arrive plus tard. Quand on a commencé à se produire sur scène, la réalité nous a rattrapées. »

Des anecdotes sexistes vécues au sein de ses bands de filles, Rox Arcand en a à la pelle. « Au lieu de nous voir seulement comme les membres d’un groupe de musique, les gens accrochaient sur le fait qu’on était des filles, et ce à un niveau presque malsain, se désole-t-elle. Juste les commentaires qu’on recevait en charriant nos instruments, c’était incroyable! On dirait que ça en impressionnait certains, alors que parfois, on était moins prises au sérieux… jusqu’à ce qu’on joue. »

Parce qu’être une femme et faire de la musique, c’est aussi se faire dire : « Ah, OK, vous êtes bonnes pour des filles », ou encore, en entrevue avec des journalistes, se faire questionner uniquement sur l’aspect féminin du groupe. « Demanderait-on à un groupe de gars pourquoi ils sont un groupe de gars? » s’interroge Rox Arcand.

La musicienne a ainsi pu observer plusieurs manifestations du deux poids deux mesures sur le terrain par le passé, et pas juste la concernant. Par exemple, tant Gabrielle Bégin, guitariste au sein de Machinegun Suzie, que Stéphanie Vézina, à la basse pour la même formation, ont toutes deux des compétences techniques en sonorisation. Malgré tout, elles ont eu de la difficulté à se faire entendre par le boys club. « Lorsque Stéphanie donnait des indications à des techniciens de son plutôt autoproclamés, elle se faisait carrément ignorer. Il fallait qu’un autre gars leur répète la même chose. C’est comme si on devait toujours faire nos preuves, comme si on partait avec une prise au bâton. »

Cela dit, Rox Arcand ne s’en est jamais laissé imposer et ce n’est pas aujourd’hui qu’elle va commencer. « Si je me mets à obséder avec ça [le sexisme dans l’industrie musicale], ça va me paralyser. Alors je fais avec », lâche-t-elle.

Et que penser de la relève musicale féminine? « Il y en a toujours eu, mais je constate que ça va en augmentant et c’est tant mieux. Peut-être qu’il y a plus de modèles, que les filles se font moins dire des choses négatives? »

Une chose est sûre, des musiciennes, il y en a eu plusieurs sur la scène du Cercle lors de la deuxième édition du Knock-Out Fest, le 11 août dernier. Parmi elles : Machinegun Suzie, qui a repris du service pour l’occasion. « C’est une soirée qu’on organise en lien avec la boutique, mais qui a lieu au Cercle. On embauche des groupes qu’on aime, tout simplement pour le plaisir de le faire. C’est vraiment DIY [do it yourself ou, en bon français, démerde-toi] comme événement, on n’a pas de subvention ou une quelconque aide financière. »

Comme on dit, punk un jour, punk toujours.