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M.É.N.O.P.A.U.S.E.

Femme ménopausée, femme libérée

Date de publication :

J’ai parfois l’impression d’avoir tout dit sur moi. Et pourtant, je n’ai pas encore dit ce que je m’apprête à dire aujourd’hui. Je n’ai jamais dit que je suis ménopausée.

Ménopause : du grec méno, c’est-à-dire « mois, règles », mais aussi « force, fureur ». Et pause qui bien sûr signifie « cessation, interruption ».

Moi, à 47 ans, quand ma médecin m’a dit que j’étais clairement en ménopause, j’ai dit : « Amène les hormones! » La sueur qui se met à couler tout d’un coup sur les tempes, le visage qui devient rouge, l’impression de brûler de l’intérieur, la ouate qui enveloppe le cerveau, le hamster dans la tête qui refuse de dormir, la peur qui arrive sans avertir, en voiture la certitude qu’on va se faire rentrer dedans et qu’on va se retrouver à l’urgence en mille morceaux, et qui va s’occuper du chien laissé tout seul à la maison, et ma fille, comment elle va faire, et les copies à corriger, le livre à finir, tous ces mois à l’hôpital, comment je vais m’en sortir?… Tout ça en une fraction de seconde sur l’autoroute 15.

J’ai dit à ma médecin « Amène les hormones » au lieu de continuer à me doper à coups de gouttes, de tisanes et de tofu. Vlan! Dès la première prise, retour à la normale, le cerveau se remet à on, la peau cesse son jeu de papier sablé, et surtout, je recommence à écrire… Je suis maintenant toxico, il me faut l’Estrogel et le Prometrium. Je suis comme le personnage joué par Laverne Cox dans Orange is the New Black, je suis toutes ces femmes trans mises en prison et à qui on refuse leurs hormones. Je suis Samantha dans Sex and the City quand elle passe les douanes et qu’on lui enlève le cocktail de pilules qui met sa ménopause en berne.

Moi, au cordon de sécurité à Pierre-Elliott-Trudeau il y a quelques mois, je demande si la bouteille d’Estrogel, en cabine, c’est OK. « Ben oui, ma p’tite madame, me répond le garde de sécurité. Les hormones, on les laisse passer! Voyagez-vous seule? Parce que si vous étiez avec votre mari pis qu’on refusait vos hormones, imaginez, ça serait pas drôle pour lui! » C’est mon baptême de jokes de mononcles sur la ménopause. Vous êtes ben cute, monsieur le garde de sécurité, mais vous me faites chier. Vous vous faites du souci pour le bien-être d’un mari imaginaire, torturé par cette espèce dangereuse à laquelle appartiennent les femmes ménopausées, alors que moi, ça m’a pris tout mon petit change pour vous poser la question.

Parce qu’on n’en parle pas vraiment, de la ménopause. Il faut s’inscrire à des groupes privés sur Facebook ou lire un des livres offerts en librairie, sur la manière de traiter la ménopause, les hormones, les recettes, le yoga, les huiles essentielles, la ménopause gourmande, la sagesse de la ménopause, les plaisirs secrets de la ménopause… Il y a même la ménopause pour les nuls.

Peut-être que dans quelques années, Beyoncé va faire clignoter derrière elle le mot ménopause, en grandes lettres blanches, pendant qu’elle dansera malgré ses 50 ans, comme le fait toujours Madonna, et qu’elle subira à son tour un torrent de méchancetés pour oser montrer son corps, transformé pas transformé, habillé déshabillé.

Mais moi, en attendant, je pars à la recherche des femmes ménopausées.

Une épopée en forme de calvaire

Dans les cocktails, les lancements, les colloques, les couloirs de l’université, je repère les femmes qui ont autour de 50 ans et, au bout de quelques phrases au cours desquelles il a été question de choses que je reconnais, je demande : « Es-tu ménopausée? » Je le demande parce que j’ai besoin d’entendre leurs histoires. Et j’entends, dans la bouche de mon amie Marie-Hélène, que quand elle a traversé la ménopause, elle a été dans une colère noire. Comme si toute la colère accumulée au fil des années était enfin sortie, à coups de morceaux de vaisselle fracassés. J’entends, dans la bouche d’une collègue, qu’elle doit prendre des antidépresseurs pour combattre l’obscurité qui lui est tombée dessus en même temps que les hormones ont chuté. Elle dit : « Je ne veux pas me suicider, mais je n’ai plus envie de vivre. » J’entends les paroles rassurantes de ma voisine qui me dit : « Ne t’en fais pas, ça finit par passer. Un jour, on se retrouve de l’autre côté. »

De l’autre côté… La ménopause comme cette grande épopée. Comme si la dizaine d’années pendant laquelle va durer la ménopause était une sorte de parenthèse, un moment durant lequel on ne compte pas. Qu’est-ce qu’on fait, alors, de toutes ces femmes qui ont entre 45 et 55 ans et qui sont au top de leur productivité, qui sont d’une grande beauté intellectuelle et humaine? Qui maîtrisent un nombre incalculable de dossiers et qui, surtout, n’ont pas peur de parler? Ces femmes-là, qui sont des micros ouverts, elles sont le sel de la terre.

La ménopause, c’est un calvaire pour plusieurs d’entre nous, qu’on prenne des hormones pour suppléer ce qui est en train de disparaître ou pas. Parce que même les hormones n’enlèvent pas tout. Elles n’enlèvent pas l’impatience, le petit désespoir, la grande fatigue. Elles ne viennent pas remettre un filtre entre moi et le monde. La ménopause aura fait de moi une bitch, mais une bitch au sens où l’utilise ma fille de 14 ans, je suis la bitch de mes sœurs de ménopause et la bitch de toutes les femmes en crisse. En fait, elle et moi, on est faites pour s’entendre. Je viens de retomber en adolescence.

Je repense à Joan Allen dans The Upside of Anger quand, assise au bout de la table pendant un repas, elle fantasme de faire exploser les têtes autour d’elle tellement elle est en colère. Je pense à Claire Underwood, dans THouse of Cards, qui ouvre le frigo pour calmer une chaleur, mais dont la ménopause ne l’empêche ni de s’engager dans des relations sexuelles passionnées, ni de se battre de toutes les manières possibles pour obtenir du pouvoir. Je pense à toutes ces femmes, talentueuses, envoûtantes, séduisantes et un peu ou full ménopausées. Susan Sarandon, Isabelle Huppert, Angela Bassett, Juliette Binoche, Julia Roberts, Viola Davis, Sophie Lorain, Céline Bonnier, Charlotte Laurier… J’aime penser à ces femmes qui habitent mon imaginaire depuis toujours, et me rappeler qu’elles ont mon âge, ou qu’elles sont même un peu plus vieilles que moi, et que sans doute elles aussi, elles sont ou elles seront bientôt ménopausées. J’aime penser à Toni Morrison qui a publié son premier roman à l’âge de 39 ans et qui, à 84 ans, continue à écrire. J’aime penser à Marguerite Duras qui a publié L’amant à 70 ans.

Une fureur qui s’allume

Je ne me suis pas sentie femme quand j’ai eu mes règles ni quand j’ai mis au monde ma fille. Je ne me sens pas moins femme depuis que je n’ai plus mes règles. D’ailleurs, je ne sais pas ce que ça veut dire, être une femme. Je sais seulement qu’il faut se battre pour arrêter de subir les inégalités associées au fait qu’on vit ou qu’on est identifiée en tant que femme.

Ce que je sens, c’est mon corps, un corps qui n’a pas fini de me raconter des histoires et de m’en faire voir de toutes les couleurs. Mais c’est juste un corps. Mon identité n’est pas tributaire de ses attributs. Cela dit, je veux avoir le droit d’en faire ce que je veux, de l’hormoniser ou non, de le botoxer ou non, de l’habiller, de le déshabiller, de le maquiller, de lui faire prendre l’air, de le faire danser dans un bar, de le montrer ou de le cacher comme je veux, et surtout de l’écrire. Je ne veux pas devenir
irrelevant, comme le dit Jane Fonda dans Grace and Frankie. Je ne veux pas cesser d’importer, d’être prise en compte, je ne veux pas être encore plus invisibilisée que je ne le suis déjà en tant que femme dans cette société parce que soudainement, cette femme-là ne tache plus ses culottes. Je ne veux pas cesser d’exister parce que tout à coup, disons-le, j’existe encore moins pour vous, pour vous plaire, pour vous séduire, pour correspondre à votre désir. Parce que je ne suis plus la lentille grossissante, comme l’écrivait Virginia Woolf, qui multiplie votre taille par deux.

Pour moi, ce qui s’arrête, avec la ménopause, c’est cette obligation-là.

Si le dictionnaire nous dit que la ménopause est une interruption de la fureur, moi, je dis que c’est juste le début.

Et que si la femme ménopausée n’est pas une femme, c’est peut-être parce que, enfin, c’est une femme libérée.

Romancière, essayiste et militante féministe, Martine Delvaux est professeure de littérature des femmes à l’Université du Québec à Montréal. Parmi ses publications : Le boys club (Remue-ménage, 2019), Les filles en série : Des Barbies aux Pussy Riot (Remue-ménage, 2013 [édition revue et augmentée, 2018]), Thelma, Louise & moi (Héliotrope, 2018) et Blanc dehors (Héliotrope, 2015).