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Attention, ta mère t’endoctrine!

L’influence féministe des mères n’est pas à sens unique

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Les mères féministes sont des emmerdeuses (enfin, c’est ce que plusieurs affirment). Imaginez : elles endoctrinent leurs filles avec des idées aussi saugrenues que l’égalité, la liberté et la justice sociale. D’où vient ce désir profond de mettre du sable dans l’engrenage bien huilé d’un système qui fonctionne pourtant merveilleusement bien? C’est probablement la faute de leurs mères.

Ma mère n’était pas féministe. Elle ne comprenait pas leurs colères ni leurs indignations. Les miennes non plus, d’ailleurs. « Ma grande, t’exagères pas un peu, là? » me disait-elle. Née en 1949 et décédée en 2010, elle a soutenu pendant 60 ans que nous vivions dans une société égalitaire. C’est vous dire…

Comme plusieurs femmes de sa génération, ma mère ne m’a donc jamais parlé de féminisme. Tout comme mes professeurs qui ont aussi omis de me passer le mot. Il faut dire que dans le Québec des années 1980, les enseignants s’attardaient peu à la contribution des femmes dans l’histoire. C’est encore le cas aujourd’hui, d’ailleurs. C’est dans les années 1990, sur les bancs du cégep, que j’ai découvert l’existence de la bête. Je connaissais le sentiment d’injustice, certes, mais pas ses racines.

Cela dit, quand je repense à ma mère, je revois une femme seule qui bûche pour éduquer tant bien que mal deux adolescentes quelque part dans le fin fond de Montréal-Nord. Une femme pour qui l’indépendance financière – perdre ton mari à 39 ans, ça laisse des traces! –, l’autonomie et l’éducation étaient des valeurs centrales. Une femme qui a travaillé fort, qui a économisé et qui a terminé son cégep pendant que je séchais mes cours à l’école secondaire. Une femme déterminée.

Si ma mère n’était pas l’une de ces femmes qui « parlent féministe », elle incarnait tout de même des valeurs propres à une certaine frange du féminisme. Les circonstances de sa trajectoire ont un peu forcé les choses, mais n’en déplaise à la principale intéressée, ce sont SES valeurs qui sont devenues les ancrages de mon féminisme.

Ma fille, tu seras féministe… ou pas!

Je serai franche avec vous, je n’ai jamais dit : « Ma fille, tu seras féministe. » Par ailleurs, même si je ne suis pas la seule à participer à son éducation, je ne sous-estime pas non plus mon rapport d’influence comme mère. Je sais que j’ai grandement contribué à son état de « petite féministe » – expression que j’emprunte à la professeure et autrice Martine Delvaux – en lui parlant des inégalités entre les hommes et les femmes, et entre les femmes; en l’encourageant à poser des questions, à réfléchir et à développer son sens critique (il y a des jours où je paye pour cela!); et en glissant entre ses mains des livres écrits par des femmes et par des féministes. J’ignore ce qu’elle fera de cet héritage. Parce que le féminisme, le mien en tout cas, a aussi tout à voir avec la liberté et l’indépendance.

Je reviens à ma mère un instant. Durant sa seule et unique séance de chimiothérapie, je ne sais plus comment ni pourquoi j’en suis arrivée à lui lire à voix haute le passage d’un livre écrit par une féministe. Pensive, elle m’a dit : « À recommencer, je ferais ma vie un peu autrement. [Silence.] Je ferais d’autres choix. [Silence.] Je ferais plus ce que je veux, ce que j’aime. » J’ai compris entre les lignes que ses obligations professionnelles et parentales avaient un peu étouffé sa capacité d’être et de dire, des qualités qu’elle me reconnaissait.

En repensant à cette conversation, il m’est apparu que la transmission du féminisme n’est pas que descendante, de mère en fille. Elle est aussi ascendante, de fille en mère. Il ne suffit donc pas de passer le témoin à la plus jeune en la regardant s’essouffler, en arracher à parcourir sa distance, son bout du chemin. C’est plutôt un processus dynamique qui mobilise plusieurs générations de femmes, de filles et de mères, en même temps. C’est cette alliance qui nous permet d’atteindre le « second souffle » qui transforme, au quotidien, la société.

Comme mère, comme féministe, je me redéfinis sans cesse. Je ne suis plus tout à fait la même mère féministe qu’il y a 14 ans, et ma mère, dans ses derniers jours, n’était plus tout à fait la même non plus. Le féminisme que l’on porte est, comme toute autre chose, en constante évolution.

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Parlant de femmes avides de liberté et d’indépendance, je ne saurais trop vous recommander la lecture des bandes dessinées Culottées. Des femmes qui ne font que ce qu’elles veulent (tomes 1 et 2) de Pénélope Bagieu. Dans le tome 2, par exemple, les portraits de la collectionneuse Peggy Guggenheim, de la journaliste Nellie Bly, de l’astronaute Mae Jemison et de la volcanologue Katia Krafft ont de quoi inspirer. Des livres à laisser traîner sur la table à café… ou à emprunter à votre bibliothèque publique préférée.