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Cesser de banaliser la violence sexuelle

Quand on banalise le harcèlement et toutes les violences sexuelles faites aux femmes

Date de publication :

Pourquoi faut-il encore éduquer la population à ce sujet, me direz-vous? Parce que l’actualité nous donne tristement raison : il y a quelques jours à peine, on a condamné trois jeunes hommes pour un viol collectif, tandis qu’un réseau d’échange de photos intimes de 15 mineures (sans leur consentement) par des garçons d’une école secondaire a été démantelé. Ce qui ressort pourtant de ces faits très graves? Ceci : les jeunes filles l’ont-elles cherché?

Récemment, Cosmopolitan a lancé une série de vidéos pour la campagne #ThatsHarassment 1 (C’est du harcèlement). Elles tombaient pile : avril était le Mois de la sensibilisation aux agressions sexuelles 2. Le magazine y propose six mises en scène dans lesquelles des femmes vivent des situations de harcèlement sexuel inspirées de faits réels, avec des hommes qu’elles côtoient (collègue de travail, patron, médecin).

C’est extrêmement bien fait. Et révoltant. Parce que ça nous rappelle toutes une situation vécue, et que c’est aberrant de constater qu’en 2017, il demeure nécessaire de créer des campagnes de sensibilisation pour révéler aux gens les différents visages du harcèlement sexuel. Parce qu’on banalise et minimise son impact et que, souvent, on ne croit pas la personne qui en est victime. Parce qu’on nous a inculqué que les hommes sont des êtres sexuellement insatiables, aux pulsions difficilement contrôlables, et qu’en les côtoyant, il faut s’attendre à ce genre de comportement.

Un exemple : au secondaire, je marchais dans un corridor de l’école quand un camarade de classe m’a solidement claqué une fesse au passage. Surprise, mais surtout fâchée, je l’ai signalé à une enseignante. Sa réponse : « Voyons! Il te trouve juste de son goût. Panique pas avec ça. » Je n’avais pas paniqué : je refusais qu’on me touche de cette façon. Ce ne fut pas le seul incident du genre. J’ai donc assimilé que mon corps et ses parties plus intimes doivent être disponibles pour être « complimentés » et sexualisés. Même si je n’aime pas ça. Même si ça me rend mal à l’aise. Pire : ce serait socialement acceptable!

La sexualité à sens unique

Le problème (c’en est déjà un très gros en soi), c’est que cette assimilation s’est propagée. Plusieurs de mes collègues de classe masculins, maintenant devenus adultes, ont été élevés en se faisant encourager dans leur attitude « mâle » et harcelante. (Pas pour rien que de plus en plus d’hommes disent ne pas se retrouver dans ces codes stéréotypés.) Parce que « c’est pas du harcèlement, voyons, juste une façon de montrer son intérêt ».

J’ai trouvé une bande dessinée 3 chez
The Wireless qui explique bien l’enjeu. On peut y lire cette phrase, si juste : « Sex is not something you do TO somebody, it’s something you do WITH somebody » (« Le sexe n’est pas quelque chose que tu fais À quelqu’un, c’est quelque chose que tu fais AVEC quelqu’un »). Exactement. Il doit y avoir consentement : le corps d’une femme – et la femme, point – n’est pas un objet de satisfaction personnelle.

Normaliser la violence

Il arrive trop souvent d’ailleurs qu’on associe sexualité et défoulement. Une suite logique, quand on garde en tête l’idée qu’un homme a « besoin » de sa dose de sexe pour fonctionner. Pourtant, il en résulte des conséquences graves. On banalise non seulement le harcèlement sexuel, mais aussi le viol et toutes les violences sexuelles faites aux femmes. Et ça nous fait mélanger les choses : ce n’est pas parce qu’un homme a ce type de comportement envers une femme que c’est une démonstration maladroite de son attirance ou qu’il « l’aime mal ». Ce n’est ni du désir ni de l’amour.

On aura beau dire dans les journaux comme dans les chaumières que l’ex-copain de Daphné Boudreault 4 l’aimait et l’a tuée par amour, je n’y crois pas. Ce n’est pas de l’amour, c’est du contrôle. En psychologie, on appelle ça du coping : une mécanique installée pour pallier le stress, la colère, la frustration. C’est un système utilisé pour SE réguler, SE faire du bien, SE soulager. Rien d’altruiste là-dedans. Parler d’amour et de maladresse est vraiment une erreur qui contribue à ancrer solidement le réflexe d’excuser la personne qui agresse et de chercher la faille chez celle qui a été agressée.

Bref, on normalise l’agression. La raison? La fameuse culture du viol. Dans un récent article du site Aeon intitulé « Why man rape » (« Pourquoi les hommes violent »5, on cite une étude réalisée en 1990 sur un groupe d’agresseurs sexuels ayant commis des viols. On les a comparés à d’autres criminels sur les points suivants : hostilité envers les femmes, violence interpersonnelle et « masculinité compulsive » (le besoin irrépressible de démontrer sa masculinité). Les différences notées? Aucune. Les raisons évoquées pour se justifier? La femme était « facile » ou il y avait déjà eu une relation sexuelle consentante avec la victime (le consentement s’appliquait donc à toute relation subséquente). En résumé, le viol est considéré comme un « acte satisfaisant et peu risqué ».

En outre, la plupart des jeunes agresseurs sexuels n’avaient pas conscience des conséquences, et pire, ne réalisaient pas qu’ils commettaient un viol. Ce que corrobore une étude récente du National Sexual Violence Resource Center 6 : les jeunes hommes de 18 à 34 ans ont plus de difficulté à définir ce qu’est une agression sexuelle. On ne les aide certainement pas là-dedans : socialement, on ne condamne pas – du moins pas encore assez – ces gestes. On cherche toujours à les expliquer.

Toujours la faute de la femme

Pensons à cette expérience réalisée en 2016 par six étudiantes dans la ville française de Dijon 7, qui se sont exposées dans la rue, de la plus à la moins vêtue, avec des pancartes sur lesquelles était inscrit, par exemple : « Ma façon de m’habiller mérite-t-elle que je me fasse agresser? » Les passants devaient apposer un post-it sur celle qui, selon eux, était la plus « provocante ». La plus dénudée (soutien-gorge de sport et jupe un peu en haut des genoux) s’est retrouvée couverte de petits papiers. Les commentaires recueillis ensuite auprès des passants sont parlants : « Faut pas trop abuser : si elle s’habille comme ça, elle cherche », ou encore « C’est pas de sa faute, mais d’un côté, elle provoque ». Des paroles qui ne viennent pas d’agresseurs sexuels avérés ou potentiels, mais bien de monsieur et madame Tout-le-Monde. Bref, la femme est presque toujours fautive, même si elle a été agressée.

Incroyable mais vrai : nous sommes en 2017 et on fait encore de la publicité avec des femmes qu’on compare littéralement à des morceaux de viande, comme l’a fait un boucher australien pour mousser les ventes de sa boutique 8, laissant une fois de plus circuler l’idée qu’une femme, c’est de la chair à consommer.

Il faut vraiment que ça cesse. Comment peut-on y contribuer? En arrêtant de banaliser ces gestes et ces paroles. En refusant de les mettre sur le compte de l’humour, de l’amour, du désir, de l’envie, du côté supposément « charmeur » qui veut s’exprimer. En considérant le corps des femmes comme le leur et non comme un bien public. En offrant aux jeunes une vision égalitaire de la sexualité et des relations femmes-hommes. En enseignant le respect de l’autre, quel que soit son sexe. En rappelant, sans cesse, la notion de consentement. La base, quoi.

  1. Youtube.
  2. Sexual Assault Awareness Month (Site en anglais)
  3. The Wireless (Site en anglais)
  4. En mars dernier, cette jeune femme a été assassinée par son ex-copain, alors qu’elle avait signalé aux forces policières être en danger de mort. Une de ses dernières phrases est d’ailleurs tristement évocatrice : « Il va falloir qu’il me tue pour qu’ils [les policiers] fassent quelque chose. »
  5. Magazine AEON (Site en anglais)
  6. Teen Vogue (Site en anglais)
  7. Konbini
  8. Muchies

Myriam Daguzan Bernier est autrice de Tout nu! Le dictionnaire bienveillant de la sexualité (Éditions Cardinal, ), créatrice du blogue La tête dans le cul, collaboratrice à Moteur de recherche sur ICI Radio-Canada Première et journaliste indépendante. Elle est également formatrice et spécialiste Web et médias sociaux à l’INIS (Institut national de l’image et du son). Actuellement aux études à temps plein en sexologie à l’Université du Québec à Montréal, elle prévoit devenir, dans un avenir rapproché, une sexologue misant sur une approche humaine, féministe et inclusive.