Aller directement au contenu

La maternité sans papiers

Sans couverture médicale, une facture salée attend les futures mères immigrantes.

Date de publication :

Auteur路e :

Propos recueillis par Takwa Souissi

Notre article « Maternité racisée : en voir de toutes les couleurs »* révélait la discrimination dont sont victimes les femmes racisées enceintes ou venant d’accoucher. Dans celui-ci, on se penche sur les difficultés encore plus grandes que vivent les futures mères immigrantes sans couverture médicale. Entrevue avec Anne-Marie Bellemare, travailleuse sociale depuis 20 ans auprès des nouveaux arrivants et depuis 10 ans à la Maison bleue de Montréal.

Gazette des femmes : Quels sont les services offerts à la Maison bleue?

Anne-Marie Bellemare : Pour les femmes sans couverture médicale (donc sans carte d’assurance maladie ou assurance privée), la Maison bleue tente de pallier certains manquements du système, notamment en offrant exceptionnellement un suivi prénatal pour environ 10 mères par année. Par contre, tous les tests en laboratoire (tests de sang, échographies, etc.) doivent être effectués aux frais de la patiente.

Photographie de Anne-Marie Bellemare.

« On voit beaucoup d’étudiantes étrangères, par exemple, arriver avec une couverture d’assurance minimale, pour économiser de l’argent. Puis, la vie étant ce qu’elle est, elles tombent enceintes et se retrouvent dans l’embarras, car leur assurance ne couvre pas les grossesses et les accouchements. »

Anne-Marie Bellemare, travailleuse sociale à la Maison bleue de Montréal

Quels sont les principaux problèmes auxquels se heurtent les futures mères immigrantes sans couverture médicale?

Le problème principal est le coût de l’accouchement comme tel, que ce soit à l’hôpital ou dans une maison de naissance. En moyenne, une nuitée pour adulte coûte environ 3 000 $, tandis que le bébé coûtera 1 000 $ additionnels en frais d’hébergement selon les hôpitaux.

Pour un accouchement couvert, un médecin généraliste se fait payer environ 490 $ par le ministère de la Santé et des Services sociaux, et les spécialistes comme l’anesthésiste ou l’obstétricien, en cas de complications ou de césarienne, reçoivent environ 650 $. Mais comme ces femmes n’ont pas de carte d’assurance maladie, c’est à elles que revient la facture.

Or, c’est ici que le bât blesse. Beaucoup de médecins ne se contentent pas de se faire rembourser le tarif offert par le gouvernement : ils doublent ou triplent la mise. Certains vont demander jusqu’à 1 500 $ au lieu de 490 $, et encore 1 000 $ à 1 500 $ de plus pour le spécialiste. Le tout payé comptant, avec ce que ça implique comme complications (pas de facture, suivi difficile, etc.).

Quel est le profil des femmes qui accouchent sans couverture médicale au Québec?

Des femmes au statut précaire, il y en a de plus en plus. Ce qu’il faut savoir, c’est que la plupart ne viennent pas au Québec dans le but d’accoucher [NDLR : ce qu’on appelle le « tourisme de maternité »]. On voit beaucoup d’étudiantes étrangères, par exemple, arriver avec une couverture d’assurance minimale, pour économiser de l’argent. Puis, la vie étant ce qu’elle est, elles tombent enceintes et se retrouvent dans l’embarras, car leur assurance ne couvre pas les grossesses et les accouchements. Certaines institutions scolaires obligent d’ailleurs les étudiants à avoir une assurance médicale complète, ce qu’on encourage nous aussi.

Il y a aussi, évidemment, celles qui viennent uniquement pour accoucher. Souvent, ces femmes ont de l’argent, mais les hôpitaux sont tout de même réticents à les recevoir à moins qu’elles fournissent un dépôt variant de 10 000 $ à 15 000 $.

Beaucoup sont des femmes avec une demande de parrainage en cours qui n’ont pas encore de carte d’assurance maladie… Dans ce cas, les frais du bébé iront sur celle du papa québécois dont le dossier est en règle.

Comment sont-elles reçues?

Mal! On peut comprendre que ces situations frustrent le personnel médical, car elles entraînent de la désorganisation et des complications administratives. Ces femmes arrivent souvent sans avoir eu un suivi de grossesse adéquat, donc les tests sont faits dans le chaos et le stress.

Les hôpitaux ont des dettes aussi. Ils ont des frais, les services et l’équipement coûtent cher. Ajoutons à cela le fait que certaines retournent dans leur pays sans payer… Disons que ce sont toutes les femmes de bonne foi qui en font les frais, sans mauvais jeu de mots.

Avez-vous été témoin d’abus de la part du personnel hospitalier?

Il y a plusieurs types d’abus. D’abord, les prix gonflés, dont on a parlé plus tôt. À la Maison bleue, on informe les femmes des coûts raisonnables à prévoir pour la chambre, le médecin, l’anesthésiste, etc.

Par ailleurs, certaines sont victimes de négligence. J’ai été témoin du cas d’une femme qu’on a refusé d’examiner, même si elle avait un dossier de bonne payeuse. Elle avait des douleurs et on l’a renvoyée à la maison. Finalement, il s’est avéré que le bébé était en véritable détresse. Ces femmes n’osent pas porter plainte. Elles ne veulent pas nuire à leur statut au Canada ou ne font pas confiance au système. Elles sont terrorisées.

Autre exemple : un hôpital montréalais a refusé à plusieurs reprises de remettre à des mères les papiers pour la déclaration de naissance, à défaut d’être payé. C’est illégal, et on a dû faire appel à l’ombudsman. C’est du stress pour tout le monde.

Quels conseils donnez-vous aux femmes dans ces situations?

Pour celles qui sont seules, donner naissance peut être un processus intimidant et déboussolant. L’accompagnement, que ce soit par le biais d’un organisme ou d’une accompagnante à la naissance, est un soutien quasi indispensable. Souvent, ces femmes sont dans des situations de vulnérabilité multiple : jeunesse, minorité visible, handicap, etc.

Je recommande aussi aux femmes d’être bien préparées. On leur conseille d’arriver à l’hôpital avec des enveloppes contenant des montants alloués pour la chambre, le médecin, etc. Ça aide à instaurer la relation de confiance dès le départ et ça réduit le stress pour toutes les parties impliquées.

* Maternité racisée : en voir de toutes les couleurs