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Une trilogie au féminin pluriel

En septembre, les créatrices et premières interprètes féminines de La trilogie des dragons étaient réunies pour souligner le 25e anniversaire du Théâtre Périscope,

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En , les créatrices et premières interprètes féminines de La trilogie des dragons étaient réunies pour souligner le 25e anniversaire du Théâtre Périscope, à Québec, lieu qui a vu naître cette pièce mythique de Robert Lepage. Réflexions sur la création de ce dragon sacré du répertoire théâtral québécois avec Marie Brassard, Lorraine Côté, Marie Gignac et Marie Michaud. « Robert Lepage nous a choisies parce qu’on était des femmes intéressantes ! » lance en riant la comédienne Marie Brassard, qui étudiait encore au Conservatoire de Québec au moment de s’attaquer à La trilogie des dragons. « C’est sûr qu’on était quatre têtes fortes, se remémore Marie Gignac. Les garçons étaient un peu plus discrets. Disons qu’on prenait notre place… » Marie Brassard renchérit : « On avait des idées, des opinions, des désirs, on s’obstinait beaucoup. Notre dynamique avec Robert était très vivante. Et c’est peut-être un avantage qu’on a eu de travailler avec lui à cette époque. On était sur le même pied d’égalité, on n’était pas impressionnées, on ne s’attendait pas à ce qu’il trouve toutes les solutions. » Cette époque, c’était en . Le jeune Robert Lepage désirait explorer l’univers des Chinatowns du Canada pour sa prochaine création. L’Occident envahi par l’Orient. La quasi-totalité du quartier chinois de Québec, sa ville natale, avait été rasée une dizaine d’années plus tôt pour faire place à des bretelles d’autoroute dont trois ne mèneraient nulle part, sauf dans le ventre du cap Diamant. Lepage s’entoure donc des trois Marie (Michaud, Brassard et Gignac), de Lorraine Côté et de Jean Casault, tous issus du Conservatoire d’art dramatique de Québec. Ils se connaissent peu et sont loin d’imaginer qu’ils provoqueront l’ouverture sur le monde du théâtre québécois. Si le canevas de base de la Trilogie a été proposé par Robert Lepage, les quatre filles n’ont pas tardé à imposer leur griffe créatrice à ce qui allait devenir un spectacle de six heures. « Au début, il n’y avait pas tant de personnages masculins. Dans les premières versions, Jean Casault [décédé durant la tournée] et Robert Lepage étaient les seuls interprètes masculins », souligne Marie Brassard. Ils jouaient même des personnages féminins, dont ceux des soeurs chinoises. « C’était d’abord l’histoire et le destin de deux femmes d’ici qui se mélangeaient avec ceux d’autres personnes », précise Marie Gignac. Néanmoins, l’écriture androgyne de Robert Lepage ne permet pas de définir la Trilogie comme un texte résolument féminin, selon Lorraine Côté. « Il aime jouer avec les genres, passer de l’un à l’autre. On pourrait dire qu’il a participé lui aussi à l’écriture féminine du spectacle. »

Un destin sous le signe du dragon

Les quatre comédiennes sont unanimes : leur participation à la création de la Trilogie a changé leur vie en tant qu’actrices, mais aussi en tant que femmes. « C’est comme si ma trajectoire avait dévié, confie Marie Gignac. J’avais toujours eu l’impression que j’étais faite pour jouer des textes classiques. Je n’imaginais pas que je pouvais faire de la création et en vivre, partir autour du monde pendant sept ans. Je me suis mise à essayer de me dépasser, d’explorer des zones inconnues. » Bien que les femmes aient aujourd’hui de plus en plus de possibilités en tant qu’auteures dramatiques, concilier grossesses, vie de famille et travail de création demeure difficile. Surtout lorsqu’un spectacle a du succès. « Peu de temps après la naissance de mon garçon, je suis partie en tournée pendant cinq ans, se rappelle Marie Michaud, une pointe de remords dans la voix. J’en ai perdu des bouts avec mon fils… C’est pourquoi, à mon retour, j’ai choisi d’aller plus vers l’interprétation que la création, trop prenante. » D’ailleurs, son choix de se retirer de la tournée avant la fin pour des raisons familiales a été plus ou moins bien reçu par le célèbre metteur en scène. « Ce n’était pas sa réalité du tout. Ce n’est pas pour rien que, parmi les quatre filles, je suis la seule à avoir eu des enfants. Peut-être même que je n’en aurais jamais eu si la proposition de Robert n’était pas venue alors que j’étais déjà enceinte. La culpabilité des femmes par rapport à la maternité est toujours une réalité. »