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Gudrun Schyman – La battante suédoise

Elle a cofondé le premier parti politique féministe de l’histoire, qu’elle dirige toujours. Et malgré une popularité très relative, …

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Elle a cofondé le premier parti politique féministe de l’histoire, qu’elle dirige toujours. Et malgré une popularité très relative, Gudrun Schyman ne baisse pas les bras. Car la Suède, ce soi-disant paradis en matière d’égalité, a encore besoin de solides poussées pour avancer. Entretien avec une politicienne en marge. Sur ses prospectus électoraux, elle présente ses longues jambes galbées, mises en valeur — et en évidence — par des talons hauts rouges. Elle n’a jamais fait copain-copain avec les médias, même s’ils reconnaissent tous ses qualités d’oratrice hors pair. Elle a parlé ouvertement de ses problèmes d’alcool. Sans se gêner, elle remet en question le tableau idyllique qu’on brosse de la Suède, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays des trois couronnes. Et en Suède comme au Parlement européen,Gudrun Schyman crie : « Assez de cravates, le temps des talons hauts est venu! » Pourtant, en Suède, le Parlement est quasi paritaire, des femmes ont hérité des ministères de la Défense et des Finances, l’équilibre est établi dans le marché du travail…Selon la dame, il s’agit là de l’habituelle rengaine qui laisse croire que la Suède occuperait la position de tête du palmarès de l’égalité des sexes. « Ces statistiques ne vous donnent pas le portrait complet de la situation. Les femmes représentent la moitié des travailleurs, certes, mais quand on décortique le marché du travail, on réalise qu’elles occupent les emplois précaires. » Et les chiffres concernant la violence faite aux femmes ne sont pas plus réjouissants en Suède qu’ailleurs. Ils seraient même pires.Dans un récent rapport de recherche, la Commission européenne démontrait que la Suède remporte la triste palme du plus grand nombre de viols rapportés sur son sol. « Les Suédois sont endoctrinés. “Nous sommes tellement loin devant”, qu’ils se disent, car c’est ce que nous nous faisons répéter depuis des décennies. Mais regardons les recherches, les faits, les statistiques : la Suède bat ses femmes et les paie moins pour un travail équivalent. Nous n’avons pas atteint l’égalité », observe celle qui occupe l’arène politique depuis le début des années 1990.

Le saut dans le vide

En 2004, Gudrun Schyman quitte un parti politique établi, le Parti de gauche, qu’elle a dirigé avec succès de 1993 à 2003. Sous son règne, le Parti a pris un virage féministe et le nombre de ses députés a plus que doublé. Elle laisse donc un siège au Parlement suédois (le Riksdag) et une sécurité financière; elle abandonne confort et pouvoir. Alors qu’elle aurait pu choisir d’exercer son vote de députée et son influence comme chef de parti pour faire avancer la cause des femmes, la politicienne anticonformiste préfère quitter une structure politique qu’elle considère patriarcale. Pour bousculer le système, il faut s’en dissocier, croit-elle. « Le système a été bâti sur l’idée que les femmes sont inférieures aux hommes. Les partis politiques en font partie intégrante. Il fallait dont créer un parti politique à l’extérieur de ce système. » Elle met donc sur pied, avec l’universitaire Tiina Rosenberg, l’Initiative féministe (Feministiskt Initiativ, ou FI), le tout premier parti entièrement féministe au monde. Celui-ci n’obtiendra que 0,68 % des voix lors des élections générales de septembre 2006, ce qui le laisse bien loin du seuil de 4 % nécessaire pour entrer au Riksdag.Comment expliquer cette piètre performance ? La principale intéressée braque la lumière sur les médias, qui « démonisent les féministes, les dépeignent comme des haïsseuses d’hommes ». « Dans la Suède de 2009, il faut une bonne dose de courage pour s’afficher comme féministe », note la figure de proue du mouvement féministe. Pourtant, de nombreux politiciens suédois, hommes et femmes, se sont ouvertement affichés féministes au cours des dernières années, le plus célèbre étant l’ancien premier ministre social-démocrate Göran Persson. Schyman n’y croit pas. « C’est du marketing. La preuve : quand l’économie va mal, les programmes mis en place pour promouvoir l’égalité sont les premiers coupés. » S’il est vrai que les médias suédois n’ont pas soutenu FI, certains argueront que les frasques de Gudrun Schyman — accusée d’avoir présenté des déclarations de revenus frauduleuses en 2003 — ont fait baisser dramatiquement sa cote de popularité. Au banc des accusés se trouve également Tiina Rosenberg, cofondatrice de FI, qui a dû quitter le parti quelques mois après sa création, car elle avait déclaré : « Une femme qui couche avec un homme est une traître envers les autres femmes. » Des propos surréalistes qui ont causé un tort irréparable à l’image du parti. Le 7 juin dernier, lors des élections au Parlement européen, Mme Schyman a reçu 2,2 % des voix, un score qui ne lui a pas permis de siéger à Bruxelles, mais qui lui a apporté satisfaction. « Je n’avais pas d’équipe, je menais campagne seule en m’inspirant du modèle Obama, en maximisant l’utilisation de Facebook, des blogues, etc. Je demandais à mes supporteurs de télécharger et d’imprimer mes affiches. Nous avons tout de même réussi à mobiliser 70 000 électeurs ! Pour moi, c’est une victoire. » Pour ajouter à son bonheur, la star de l’ancienne formation suédoise Abba, Benny Andersson, lui a offert son soutien moral et financier — un million de couronnes, soit 143 000 $ CA — la veille du jour du vote. Le chanteur pop a également dit de Mme Schyman qu’elle appartenait au groupe sélect des grands politiciens suédois. Quand on se regarde, on se désole, quand on se compare, on se console, dit l’adage populaire. Loin de remettre en question la nécessité d’un parti à la plateforme uniquement féministe, la leader concède « qu’il faudrait être complètement stupide pour ne pas reconnaître que la Suède a fait des avancées énormes en matière d’égalité, là où d’autres pays stagnent encore ». C’est un pas, peut-être même deux ou trois,que la Suède a fait sur la bonne voie. Mais c’est la vieille route au complet qui aurait besoin de dynamitage, ajouterait sans doute Gudrun Schyman.