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Après 50 ans, la femme invisible

Où sont les femmes baby-boomers? Entrevue avec Geneviève St-Germain.

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Au Québec, les femmes du baby-boom, âgées de 50 à 70 ans, sont les plus nombreuses. Pourtant, c’est l’âge où elles commencent à disparaître des écrans radars, dénonce l’auteure et journaliste Geneviève St-Germain dans Mon âge est à inventer.

Faites le test. Regardez une émission politique consacrée à une course électorale, par exemple. Vous trouverez peu de femmes, sinon aucune, pour commenter le cours des choses. Pour Geneviève St-Germain (Carnets d’une désobéissante, Sœurs d’âmes), cet effacement des femmes de l’espace public et des médias est purement inacceptable en 2016. « En faisant toujours appel aux mêmes réseaux, explique-t-elle en entrevue, on finit par n’avoir que le point de vue de “privilégiés” : des hommes blancs plutôt dans la cinquantaine et dans les positions d’autorité. Résultat? L’interprétation de l’actualité politique, sociale ou culturelle est toujours faite dans des cadres habituels, par exemple le pouvoir hiérarchique, le succès à tout prix, la confrontation batailleuse. Je regrette qu’on se laisse imposer tout ça sans rien dire. »

Geneviève St-Germain n’y va pas par quatre chemins : « Une grande gang d’hommes occupe depuis toujours l’espace public et forge les idées dominantes, ce qui renforce les stéréotypes depuis des siècles. »

En langue féministe, on appelle ça le patriarcat.

Imposer son âge

Passé 50 ans, les femmes sont, elles, quasiment absentes des médias. Est-ce parce qu’elles sont trop vieilles pour être montrées à l’écran? Poser la question, c’est un peu y répondre, et il y a longtemps que les féministes dénoncent cette injustice. Quelle que soit la raison pour laquelle peu de femmes d’expérience sont invitées à agir comme expertes dans les médias, il ne faut plus attendre, croit Geneviève St-Germain. « Il est grand temps que nous nous imposions, et que nous cessions, par exemple, de cacher notre année de naissance et d’essayer coûte que coûte de paraître plus jeunes. »

Photographie de Geneviève St-Germain.

« Une grande gang d’hommes occupe depuis toujours l’espace public et forge les idées dominantes, ce qui renforce les stéréotypes depuis des siècles »

Geneviève St-Germain, auteure et journaliste

Je fais remarquer à l’auteure que les universités sont pourtant remplies de chercheuses et d’enseignantes brillantes et expérimentées qui transmettent et produisent des savoirs. Où est le problème? « On ne les écoute pas, car l’espace public ne leur est pas destiné. Mais aussi… elles se cachent. » C’est-à-dire qu’elles ne cherchent pas nécessairement l’attention.

C’est à l’effacement des femmes matures que l’écrivaine a décidé de s’attaquer en écrivant Mon âge est à inventer, qu’elle voit comme un appel à la prise de parole libre et décomplexée. « On nous a beaucoup rentré dans la tête qu’après 50 ans, nous n’avons rien à dire de pertinent pour l’intérêt général, et nous avons complètement intériorisé cette idée. La seule option pour les femmes? Être jeunes et séduisantes ou disparaître. » Pas question!

Elle écrit : « La cinquantaine est une période de bilans et de changements. […] Ce n’est pas une étape qu’il faut franchir à la hâte et encore moins occulter et nier. Ce n’est pas non plus aussi désastreux que les femmes ont été poussées à le croire. La vérité, c’est que la culture dominante ne nous prépare pas à cet âge. »

A-t-on vécu 60 ans de féminisme pour constater que les femmes quinquagénaires n’ont rien à offrir dans les débats publics et en politique? « Malgré l’âgisme particulièrement présent dans les petites sociétés et certains milieux de travail, il n’en tient qu’à nous de reconnaître l’indubitable valeur de ce moment de l’existence où nos capacités, notre genre et notre expérience devraient converger vers notre profit et celui de la collectivité », écrit-elle.

« Je trouve que nous, femmes matures, avons un devoir, poursuit Geneviève St-Germain en entrevue. Celui de tracer une voix et une voie aux femmes qui nous suivent. Elles ne sont pas obligées de supporter l’exclusion et le rejet parce qu’elles vieillissent. »

Réhabiliter le féminin

La journaliste a longtemps travaillé dans la presse féminine québécoise, où l’industrie dite « de la beauté » forge, d’une certaine façon, les images de femmes et où l’on renforce les clichés de la rivalité féminine ou de l’hypersexualisation. N’est-ce pas un lieu où elle aurait pu participer à détruire certains mythes? « Quand on doit faire sa place soi-même, c’est difficile d’avoir un sens critique. Dans ce milieu, comme dans tant d’autres, on a toutes vu des femmes se juger sur leurs émotions, ou leur vulnérabilité, tout ça parce qu’on souhaite épouser un modèle patriarcal traditionnel… C’est une grande erreur; au lieu de se soutenir, on s’affaiblit. C’est dommage. »

Si Geneviève St-Germain regrette parfois de n’avoir pas soutenu une collègue, ou si elle a souffert de ne pas l’avoir été elle-même, elle fait aujourd’hui une place à la solidarité féminine à travers ses livres. La condition féminine est au cœur de son écriture, depuis son premier ouvrage (Carnets d’une désobéissante, 2011). Dans son nouvel opus, chacun des chapitres est introduit par les propos d’auteures, comme l’essayiste féministe Germaine Greer ou les romancières Virginia Woolf, Colette ou Louise de Vilmorin. « Toute mon inspiration vient de ces écrivaines et créatrices, dit-elle dans un élan. Bien plus que les philosophes et les grands auteurs classiques, ce sont leurs livres et leurs idées qui ont fait ma véritable éducation. Je les admire, elles m’ont aidée à vivre. Je suis forgée par le monde féminin. »

Dans son essai, Geneviève St-Germain tente de réhabiliter le féminin et les thèmes qu’il englobe : l’importance de l’intimité, de la vulnérabilité, la force que procurent les soins qu’on donne aux vivants. « Des choses qui sont socialement disqualifiées, comme la vie domestique, la vie organique. Les femmes apprennent tard que ce qu’on associe traditionnellement au féminin est une force; savoir prendre soin des autres, créer de la beauté par l’attention qu’on accorde à un environnement, valoriser l’affect, les relations personnelles, tout ça donne une puissance… » Si on l’assumait plus tôt dans notre vie, assure-t-elle, on essaierait de changer un peu la société, et la nature du pouvoir.

Page couverture du livre.

Geneviève St-Germain, Mon âge est à inventer. Libres propos, Éd. La Presse, 2016, 144 p.