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Six femmes peintres au musée

ELLES aujourd’hui, une exposition du Musée des beaux-arts de Montréal qui fait plein feu sur l’œuvre de 6 femmes peintres.

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Cet été, le Musée des beaux-arts de Montréal présente une exposition à ne pas manquer, ELLES aujourd’hui, portée par un nouveau groupe de philanthropes, le Cercle Forces Femmes. Au programme : le travail de six femmes peintres québécoises et canadiennes très actives dans leur milieu. Attention, peinture fraîche!

Réunies dans les salles d’art contemporain du Musée des beaux-arts de Montréal, les œuvres de Christine Major, Marie-Claude Bouthillier, Wanda Koop, Angèle Verret, Janet Werner et Carol Wainio irradient. L’une aborde les clichés de la représentation féminine, une autre dissimule derrière son abstraction une référence à la guerre, une autre encore renvoie à la photographie, à la façon de diversifier le réel en le fragmentant.

« L’objectif était de montrer la pluralité et la diversité des voix, de l’abstraction à la figuration, affirme Marie-Ève Beaupré, commissaire de l’art contemporain québécois et canadien au MBAM. Ç’aurait été dommage de dire : “La peinture faite par les femmes aujourd’hui, elle est comme ceci”. Nous ne voulions pas offrir de définition réduite. »

Mais comment choisir parmi toutes les femmes artistes sur la scène canadienne? Et pourquoi une sélection exclusivement féminine?

100 ans plus tard

« ELLES aujourd’hui a été conçue dans la foulée de l’exposition sur le Groupe de Beaver Hall », explique la commissaire. À l’affiche jusqu’au 31 janvier dernier au Musée, l’exposition jetait un nouvel  éclairage sur ce regroupement éphémère d’une vingtaine d’artistes (1920-1923) dont la production a donné une nouvelle impulsion à la vie artistique montréalaise, québécoise et canadienne. « Dans le groupe, il y avait presque une majorité de femmes peintres, ajoute Mme Beaupré. Pour la première fois, on les considérait comme des artistes à part entière, et à parts égales avec leurs pairs. Être femme et artiste, ce n’est pas de si vieille association, en tout cas au Québec! »

Photographie de Marie-Claude Bouthillier.

« Je n’ai pas créé cette pièce en ayant en tête des questions relatives au travail des femmes, comme c’était le cas dans mes expositions Familles, Conversation et Vœux. Cela ne veut pas dire que la question n’a pas été abordée. »

Marie-Claude Bouthillier, posant ici dans son œuvre Dans le ventre de la baleine

La commissaire souligne que le MBAM encourage le dialogue entre sa programmation d’art contemporain et ses grandes expositions. « Cent ans après Beaver Hall, qui sont ces femmes, au Québec et dans le reste du Canada, qui sont reconnues pour leur enseignement, leur pratique et leur implication dans la communauté artistique? Voilà la question que nous nous sommes posée. Tout est parti de là. »

Corriger le tir

La plupart des six artistes peintres n’avaient pas été exposées au MBAM, ni représentées dans ses collections d’art contemporain. « ELLES aujourd’hui était un beau prétexte pour travailler avec ces artistes et faire des acquisitions », dit la commissaire.

Mais faut-il toujours un prétexte pour présenter une exposition d’artistes féminines? « Au Musée, nous ne travaillons pas avec des quotas. Nous présentons les meilleures œuvres des meilleurs artistes. » Cela dit, Mme Beaupré estime que le fait que certaines femmes artistes très importantes n’avaient hélas pas eu de place sur les cimaises du Musée a pesé dans la balance.

Photographie de Christine Major.
L’artiste Christine Major, ici devant un extrait de sa frise Tittytainement sans fin, remarque que le plafond de verre est toujours présent dans le marché de l’art. Elle dit toutefois avoir confiance dans le pouvoir transformateur de l’art et l’intelligence des publics.

Lorsqu’on lui demande d’expliquer cette absence, la commissaire suggère que le domaine des arts est probablement à l’image de tous les autres domaines de la société. Les femmes artistes se heurteraient aux mêmes problèmes que celles œuvrant en politique ou en affaires. Elle cite l’exemple d’Angèle Verret, qui a eu une double carrière. « Cette peintre, chargée de cours à l’UQAM, mère de famille, véritable mentore pour plusieurs générations de peintres – on parle de 30 ans d’enseignement – n’avait jamais été exposée ici. Une aberration! avoue-t-elle en riant. Il reste du travail à faire, car de nombreux artistes canadiens fantastiques, hommes et femmes confondus, n’ont pas encore bénéficié d’un espace au Musée, dans les collections ou les expositions temporaires. Un projet comme ELLES aujourd’hui permet de corriger le tir. »

Mme Beaupré confie que la sélection des artistes et des œuvres a été difficile. « Le champ des possibles est tellement grand! »

Des voix plurielles

L’équipe du Musée souhaitait réunir des œuvres récentes et diversifiées, des artistes engagées et reconnues dans leur communauté. Était-ce essentiel qu’elles abordent la question du genre? « Ce n’était pas un a priori. Je ne voulais pas qu’on pense que la peinture actuelle faite par des femmes parle exclusivement des femmes. Certaines œuvres se penchent sur cette question, d’autres pas. »

Elle est cependant bien présente dans la série Tittytainement sans fin, une frise de Christine Major qui illustre des femmes sur un taureau mécanique, costumées en majorettes, ou jouant au roller derby. « Dans cette œuvre, je dénonce de manière assez directe une forme d’endoctrinement liée à la propagation de certains stéréotypes féminins, où le sexe est synonyme de divertissement », explique Mme Major. L’artiste se dit ravie de faire partie de l’exposition. « La directrice du MBAM, Nathalie Bondil, n’a pas peur de prendre des risques. » Si l’artiste souligne que le plafond de verre est toujours présent dans le marché de l’art, elle a confiance dans le pouvoir transformateur de l’art et l’intelligence des publics. L’enseignante à l’UQAM et mentore travaille d’ailleurs sur un projet collectif d’exposition avec d’ex-étudiantes à la maîtrise, Filles deboutte!, et prépare un road trip au féminin qui sera présenté au Centre d’exposition de Rouyn-Noranda.

Dans son œuvre Aging Ballerina, l’artiste Janet Werner s’intéresse clairement aux clichés de la représentation. « Sa ballerine est un peu comme un autoportrait; ses années de carrière sont comptées, explique Marie-Ève Beaupré. Les artistes visuels ont parfois l’impression qu’ils se font remplacer rapidement par une autre génération. »

Photographie de Marie-Ève Beaupré.

« Cent ans après Beaver Hall, qui sont ces femmes, au Québec et dans le reste du Canada, qui sont reconnues pour leur enseignement, leur pratique et leur implication dans la communauté artistique? Voilà la question que nous nous sommes posée. Tout est parti de là. »

Marie-Ève Beaupré, commissaire de l’art contemporain québécois et canadien au MBAM

Une petite salle est consacrée en entier à l’installation Dans le ventre de la baleine, de Marie-Claude Bouthillier, sorte d’antre dans lequel le spectateur est invité à pénétrer. « Je n’ai pas créé cette pièce en ayant en tête des questions relatives au travail des femmes, comme c’était le cas dans mes expositions Familles (Musée McCord, 2013), Conversation et Vœux (2013 et 2016, galerie Circa), affirme l’artiste, interrogée sur ses intentions. Cela ne veut pas dire que la question n’a pas été abordée, mais disons que ma préoccupation première était de proposer un espace qui soit totalement pictural et littéraire. »

Lorsqu’on demande à la commissaire de nous suggérer d’autres noms de femmes artistes à surveiller qui ne font pas partie de l’exposition, toutes techniques confondues, elle hésite. « Il y en a tant! Mais je pense à Célia Perrin Sidarous, Julie Favreau, Nadia Myre, Raphaëlle de Groot, Valérie Blass, Dominique Pétrin… pour ne nommer que celles-là! »

L’exposition ELLES aujourd’hui est présentée jusqu’au 7 août au Musée des beaux-arts de Montréal.

Un cercle de femmes fortes

L’exposition ELLES aujourd’hui a bénéficié du soutien financier d’un nouveau groupe constitué pour l’heure d’une vingtaine de philanthropes, le Cercle Forces Femmes (CFF). « C’est la Fondation du Musée des beaux-arts qui a eu l’idée de rassembler dans une entité philanthropique des femmes influentes, à l’image des femmes artistes de Beaver Hall et d’ELLES aujourd’hui », explique la commissaire Marie-Ève Beaupré. Le mandat du CFF est de mettre en lumière le travail de femmes artistes qui ont un impact sur la société, sur le plan culturel, social ou économique, et de permettre la création d’un fonds d’acquisition d’art québécois et canadien après 1945, fait par des femmes. « Je crois que les membres du CFF apprécient la personnalité visionnaire, élégante et originale du Musée, ainsi que son côté humaniste. Les femmes du Cercle sont solidaires, et souhaitent soutenir en commun “leur” musée », relate Danielle Champagne, directrice de la Fondation. Des intéressées?