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Regards sur la maternité pour autrui

Des pour et des contre : les enjeux de la maternité pour autrui.

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Pour ou contre la maternité pour autrui? La Gazette des femmes pose la question (et d’autres!) à Maria De Koninck et Isabel Côté, un mois après la publication de l’avis Mères porteuses : réflexions sur des enjeux actuels par le Conseil du statut de la femme. Rappelons que le Conseil est totalement contre la pratique commerciale de la maternité pour autrui et qu’il a de sérieuses réserves lorsque celle-ci se pratique gratuitement. Cette position est très proche de celle qu’il a toujours défendue. Cependant, puisqu’il existe des mères porteuses et des enfants qui naissent de cette pratique au Québec, le Conseil estime que la loi doit les protéger, ce qui n’est pas le cas actuellement. Maria De Koninck est professeure émérite au Département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval. Isabel Côté est professeure agrégée au Département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais.

Gazette des femmes : Quelle est votre position sur la question de la maternité pour autrui?

Maria De Koninck : J’estime que quelle que soit sa forme, ce recours n’est pas légitime. Découlant d’un découpage de l’expérience de la maternité, rendu possible par des développements techniques, il représente un net recul pour les femmes en donnant accès à leur potentiel de reproduction (un fantasme millénaire). Il transforme une expérience humainement très significative en transaction, qu’elle soit commerciale ou non. Ajoutons que les enfants ne doivent jamais, en tant qu’êtres humains, faire l’objet d’un échange de quelque nature que ce soit.
Photographie de Maria De Koninck.
© Marc Robitaille
« Il faut dénoncer les pratiques qui visent à découper la maternité en morceaux et qui, ce faisant, transforment des femmes en productrices d’enfants et ces derniers en êtres humains que l’on peut se procurer. »
Maria De Koninck, professeure émérite au Département de médecine sociale et préventive à l’Université Laval
Isabel Côté : Un grand pan du débat portant sur la gestation pour autrui porte sur les risques d’exploitation et la marchandisation du corps des femmes qui seraient d’autant plus prégnants si les gestatrices * étaient rétribuées. On craint alors que ce soient des femmes défavorisées ou ayant besoin d’argent qui s’offrent pour porter l’enfant d’autrui. Or, les recherches démontrent – et le Conseil du statut de la femme (CSF) le souligne – que l’aspect financier n’est pas le principal motif évoqué pour s’engager dans une telle pratique. Cela dit, en quoi le fait d’offrir une rémunération serait-il nécessairement répréhensible? Ne s’agit-il pas là d’une autre manifestation de l’obligation du don de soi qu’on impose aux femmes? Si on ne veut pas associer la gestation pour autrui (GPA) à une forme de rémunération, c’est parce que cela contrevient à une certaine représentation de l’imago maternelle qui serait avilie s’il y avait un échange financier. Cette question de l’échange d’argent en contrepartie d’une gestation pour autrui est également comprise comme l’« achat » d’un enfant chosifié en bien de consommation. Pourtant, d’autres situations d’entrée en parentalité favorisent la circulation d’argent; pensons notamment à l’adoption internationale.
Photographie d'Isabel Côté.
© Mélanie Brunet
« Ces femmes doivent rester les uniques responsables des décisions prises à l’égard de leur corps et de leur santé. Elles ne doivent être ni restreintes, ni contraintes de quelque façon que ce soit durant leur grossesse. »
Isabel Côté, professeure agrégée au Département de travail social à l’Université du Québec en Outaouais

Selon vous, la pratique de la maternité pour autrui comporte-t-elle des risques, qu’elle soit gratuite ou commerciale?

M. D. K. : Oui, et ces risques sont d’abord humains et sociaux. La procréation humaine se distingue de la procréation animale par le sens que lui donnent ses actrices et acteurs. En la transformant pour permettre à des personnes de se procurer un enfant, on met en cause ce sens. Les revendications féministes pour l’humanisation des soins à la naissance étayent les raisons pour lesquelles la grossesse et l’enfantement ne doivent en aucun cas être commandés, et encore moins marchandés. L’enjeu réel pour les femmes est ici celui de la légitimité sociale du recours à une mère porteuse, car il transforme l’expérience de la grossesse et de l’enfantement en simples étapes à franchir, à l’aide d’une bénévole ou d’une femme en manque d’argent, pour se procurer un enfant. I. C. : Il faut distinguer la GPA relationnelle de la GPA commerciale. L’aspect problématique de la GPA commerciale est le fait que plusieurs intermédiaires interviennent dans le processus. Ces intermédiaires ont leurs propres intérêts à défendre, il ne faut pas l’oublier. Lorsque des couples font affaire avec des agences, ils paient souvent le gros prix, mais la majeure partie de cet argent est distribuée aux intermédiaires – propriétaires d’agence, avocats, personnel médical, agents d’assurances, etc. – et non à la femme qui portera l’enfant. Par contre, la GPA relationnelle implique une relation entre les parents d’intention et la gestatrice, relation fortement valorisée par cette dernière. Une position éthique et féministe sur la question implique de prendre en compte le point de vue des principales concernées et non pas de les infantiliser en niant leur agentivité [NDLR : capacité à agir, à décider pour elles-mêmes]. Les gestatrices ne sont pas des objets instrumentalisés par des couples en mal d’enfants, elles sont des actrices capables de réflexion quant à la pratique.

Pour quelles raisons la mère porteuse devrait-elle ou ne devrait-elle pas être reconnue comme la mère légale de l’enfant si elle le souhaite? Comment la filiation des enfants nés d’une mère porteuse devrait-elle s’établir?

M. D. K. : Votre question contient une prémisse selon laquelle la femme qui porte un enfant et le met au monde pourrait ne pas être sa mère. Une telle vision repose sur la volonté de découper l’expérience continue d’une femme (conception, grossesse et mise au monde de l’enfant) pour pouvoir la confier à une autre personne. Ce faisant, on dévalorise et instrumentalise l’expérience maternelle en la réduisant à sa stricte dimension biologique, faisant fi des autres dimensions qui en font une expérience humaine globale. Si, après sa naissance, un enfant peut avoir besoin d’être pris en charge par une personne adulte autre que sa mère, cela ne doit pas pour autant permettre de brouiller ses origines ni d’occulter la mère. I. C. : Évidemment, c’est une question qui soulève beaucoup d’émotions pour les protagonistes impliqués. On oppose souvent le bien-être des unes à celui des autres. Cette approche m’apparaît d’autant plus réductrice que dans les faits, peu de situations litigieuses concernant la remise d’enfants se retrouvent devant les tribunaux. En outre, beaucoup de gestatrices témoignent du lien de sororité les unissant à la mère d’intention. Il me semble donc important de considérer les données issues de la recherche afin de proposer un encadrement de la filiation qui tiendra compte à la fois des femmes et des parents d’intention; puisque ultimement, ce sont les enfants qui en sortiront gagnants. Il faut également éviter la défiance qu’on constate envers les couples stériles ou inféconds en délégitimant leur désir d’enfant, comme s’il était moins authentique, plus répréhensible du fait qu’il a besoin de tiers pour se concrétiser.

Puisqu’il existe des mères porteuses et des enfants qui naissent de cette pratique au Québec, comment la loi devrait-elle les protéger?

M. D. K. : S’il fallait tenter de faire des accommodements pour toutes les pratiques sociales observées simplement parce qu’elles existent, on risquerait d’en sanctionner plusieurs qui sont socialement pathogènes. Il faut adopter une perspective sociale à plus long terme pour s’assurer de ne pas donner d’espace à des pratiques délétères. Or la pratique des mères porteuses l’est. Raisonner ainsi (ça existe, alors protégeons les victimes) pose les jalons de sa prolifération et de sa normalisation. Il faut plutôt bien fermer la porte au nom du respect des femmes et des enfants. C’est la meilleure façon d’éviter leur exploitation. I. C. : Le Comité consultatif sur le droit de la famille et le CSF ont mis sur la table des propositions intéressantes permettant d’ouvrir la discussion sur la reconnaissance des enfants nés à la suite d’une GPA. Il ne faut pas que les enfants soient pénalisés par les circonstances de leur naissance. Le législateur doit se positionner sur le sujet. Par ailleurs, il m’apparaît problématique que ce soit uniquement la gestation qui soit retenue comme étant au fondement de la filiation d’un enfant né par GPA, au détriment des autres considérations que sont l’intention et la génétique. Depuis 2002, la loi est ainsi faite que c’est le projet parental qui fonde la filiation de l’enfant, et cela fonctionne bien dans les autres cas de procréation assistée.

Quelles mesures devraient être adoptées pour assurer l’autonomie, l’intégrité et la dignité des mères porteuses?

M. D. K. : Il faut dénoncer les pratiques qui visent à découper la maternité en morceaux et qui, ce faisant, transforment des femmes en productrices d’enfants et ces derniers en êtres humains que l’on peut se procurer. Il faut plutôt faire des efforts pour réduire les problèmes qui causent de l’infertilité, promouvoir le respect des dimensions humaines de la procréation et s’attaquer avec vigueur aux obstacles à l’adoption, pour que les personnes qui souhaitent devenir parents sans pouvoir procréer puissent offrir un foyer aux enfants dont les mères et les pères ne peuvent assumer l’éducation. I. C. : Il importe de respecter l’autonomie et l’intégrité des femmes durant la grossesse. Ces femmes doivent rester les uniques responsables des décisions prises à l’égard de leur corps et de leur santé. Elles ne doivent être ni restreintes, ni contraintes de quelque façon que ce soit durant leur grossesse. Les femmes doivent aussi être protégées contre le risque que les parents d’intention changent d’idée et ne souhaitent plus prendre l’enfant à leur charge, peu importe les raisons évoquées. Elles doivent également pouvoir être accompagnées par une personne neutre pendant le processus et avoir accès à un suivi post-partum si elles le souhaitent. Enfin, avant d’entreprendre le processus, il faut qu’on puisse démontrer que ces femmes consentent librement et de façon éclairée à porter l’enfant d’autrui.
  1. * Isabel Côté n’utilise jamais l’expression mère porteuse, qui lui apparaît comme un terme réducteur qui dévalue la maternité.