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Les Olympe de Gouges : sœurs trouvées

Respect de soi, assurance, et transmission de l’histoire des femmes : un bagage offert aux adolescentes.

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Que faire pour que les filles cultivent leur confiance en elles-mêmes, plutôt que le dénigrement de soi et des autres? Julie Sirois a répondu à cette question par la création d’une communauté originale : Les Olympe de Gouges.

C’est dans l’école secondaire où elle travaille, à Pincourt, que Julie Sirois, technicienne en éducation spécialisée depuis 23 ans, a pensé créer un groupe de soutien aux jeunes filles. Cette native d’Amqui a vu le climat des milieux scolaires (le sien, mais d’autres aussi) se dégrader, et l’intimidation s’imposer comme un mode de communication quasi quotidien.

La nouvelle bête noire

Après la mort de la jeune Gabrielle Dufresne-Élie, 17 ans, tuée par son petit ami en 2014, une onde de choc a parcouru la société québécoise et braqué le projecteur sur la violence amoureuse entre jeunes et l’intimidation.

Le monde politique s’est aussi mis de la partie et a lancé en novembre 2015 un plan d’action au titre évocateur : Ensemble contre l’intimidation, une responsabilité partagée. Plusieurs ministères, dont ceux de la Famille, de la Justice et de l’Éducation, sont concernés par ce plan d’action. L’intimidation étant définie par la Loi sur l’instruction publique, les milieux scolaires y sont sensibles.

Voilà donc une notion très large. De façon générale, elle désigne des insultes et des comportements qui humilient, blessent et diminuent autrui, et ce à répétition. Et l’adolescence est un moment de la vie où plusieurs jeunes découvrent l’intimidation, la combattent ou, malheureusement, la subissent.

Pas outillées pour prendre leur place

Mais, croit Julie Sirois, on n’est pas obligé de s’y résigner. Cette maman de deux garçons s’indigne du climat dans lequel les jeunes élèves évoluent, qu’elle juge agressif et violent. Plutôt que de se lamenter et de ressasser les mêmes complaintes, elle s’est relevé les manches. Sa fibre féministe l’a menée à poser un diagnostic à propos des élèves, en majorité des filles, qui venaient la voir en consultation, à l’école secondaire où elle travaille. « Elles arrivent abattues, et comme vaincues par le traitement qu’elles subissent; elles sont intimidées, humiliées, insultées… Je les écoute, et la plupart du temps, je constate que leur manque d’assurance est le résultat de situations familiales, amicales ou amoureuses dramatiques. » L’éducatrice s’est dit que quelque chose clochait. « Je refuse que des jeunes filles se parlent entre elles avec un langage cru et des insultes, ça n’a juste pas d’allure. »

Photographie de Julie Sirois.

« Elles arrivent abattues, et comme vaincues par le traitement qu’elles subissent; elles sont intimidées, humiliées, insultées… Je les écoute, et la plupart du temps, je constate que leur manque d’assurance est le résultat de situations familiales, amicales ou amoureuses dramatiques. »

Julie Sirois, technicienne en éducation spécialisée et instigatrice des Olympe de Gouges

Pour Julie Sirois, cette façon de communiquer, néfaste et irrespectueuse, est intimement liée au faible respect de soi des jeunes filles. « Elles ne savent pas comment faire pour prendre leur place, s’exprimer, faire le tri dans tout ce qui leur arrive. Donc elles se laissent intimider ou intimident elles-mêmes, comme s’il n’y avait pas d’impact sur leur vie. » Mais ce qui a le plus troublé l’éducatrice, c’est de voir à quel point les jeunes filles utilisent entre elles un langage sexiste. « Les entendre s’appeler “ma bitch”, “ma salope”, “ma pute” avec le sourire aux lèvres, ça me fait vraiment mal. »

La naissance des Olympe

Julie Sirois dit porter la cause des filles avant tout. « Elles se brassent entre elles, et aussi, souvent, sont brassées par leurs chums. Elles se laissent traiter de putes, et quand je leur demande pourquoi elles acceptent de se laisser parler comme ça, elles me répondent : “Voyons Julie, c’est correct, il m’aime.” Je me suis dit : “OK, il faut faire quelque chose. Au lieu de s’haïr, on va apprendre à s’aimer et à s’entraider.” »

L’éducatrice a donc décidé de former un groupe de filles pour qu’elles s’ouvrent les unes aux autres, se confient, le tout sous sa gouverne. Son objectif : que les filles développent le réflexe de se soutenir et apprennent à se réconforter au lieu de se nuire. Les réunions et discussions sont parfois informelles, mais le groupe a commencé à s’organiser autour de prétextes, comme le visionnement de films (certaines ont vu Les suffragettes, notamment), ou encore en participant à des grands événements comme le Sommet des femmes du 4 mars. Depuis quelques mois, Julie Sirois travaille à donner forme à l’aventure. Elle a déposé une demande afin de constituer la Fondation Olympe de Gouges. Le but? Créer des groupes de soutien dans les écoles du Québec, qui auront pour mission d’éduquer au « savoir-être », à l’estime de soi, à la sexualité, et de transmettre l’histoire des femmes.

Alors qu’elle cherchait un nom pour son jeune clan majoritairement féminin (« il y a aussi des gars qui soutiennent les filles », précise-t-elle), un collègue lui a suggéré le nom des Olympe, en référence à Olympe de Gouges, cette Française née en 1748, auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et condamnée à mort en 1793 pour ses écrits. « On a voulu la forcer à se soumettre, et la faire taire. Je me suis dit que ce nom était prédestiné pour notre groupe de filles. »

Pour devenir une Olympe, l’aspirante participante doit prendre un engagement qui consiste à se respecter et à être solidaire des autres filles. Julie Sirois fait un lien entre le respect de soi et l’émancipation féminine, comme elle l’écrit sur sa page Facebook, où les Olympe (elles sont actuellement plus de 80, dont 10 jeunes hommes) sont très actives : « Nous voulons que les femmes se souviennent que plusieurs grandes femmes se sont battues pour les droits que nous avons aujourd’hui. La lutte pour l’égalité est loin d’être terminée. Nous croyons que la solidarité, le non-jugement, le respect de soi et des autres sont inévitables afin d’atteindre un véritable changement! »

Julie Sirois précise aussi que le groupe est ouvert aux femmes de tous âges. Pourquoi pas des Olympe adultes?

Témoignages

Ariane, 18 ans

« J’ai été rejetée depuis ma 1re année du primaire. J’ai toujours subi de l’intimidation, et vécu de la violence familiale. Quand j’ai découvert les Olympe, j’ai réalisé que ça faisait un changement dans la vie des autres, et j’ai voulu embarquer moi aussi, pour avoir un milieu de vie positif. Je voulais m’attacher à un groupe de filles. Ma mère n’est pas dans ma vie et les Olympe me permettent de traverser le plus difficile. Tu sais que ces filles ne te jugeront pas, elles te conseillent ou te dirigent vers une autre Olympe qui pourra t’aider. »

Christine, 15 ans

« Je viens de recevoir un diagnostic de personnalité limite, entre autres problèmes de santé mentale. J’ai trouvé une oreille chez Julie… Elle m’a encouragée à réaliser un voyage d’études qui, au départ, me faisait peur. Mais j’en suis revenue très positive, bien dans ma peau. Si Julie et les Olympe n’avaient pas été là, je n’aurais peut-être pas fait ce voyage. »

Audrey, 16 ans

« J’ai été agressée pendant cinq ans, quand j’étais toute jeune. Je n’en avais jamais parlé. Je m’isolais et me faisais intimider régulièrement. C’est avec les Olympe que j’ai parlé de mon enfance pour la première fois. Et j’ai trouvé beaucoup de force auprès de mes amies : en fait, quand l’une tombe, une autre est là pour l’aider. »