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DOSSIER – Comment les Québécoises sont elles logées?

Plutôt mal pour bon nombre d’entre elles. Pourquoi? Parce que les logements coûtent cher, qu’il grugent souvent une part trop importante du budget et qu’ils ne sont pas faciles à dénicher.

Date de publication :

Auteur路e :  et 

Gazette des femmes, Vol. 12, no 1, mai-juin 1990, p. 13-21.

Plutôt mal pour bon nombre d’entre elles. Pourquoi? Parce que les logements coûtent cher, qu’ils grugent souvent une part trop importante du budget et qu’ils ne sont pas faciles à dénicher. Surtout quand la discrimination s’en mêle.

  • « Vous êtes seule?
  • Non, j’ai un enfant.
  • On ne veut pas d’enfants ici. »

C’est ainsi, le plus simplement du monde, qu’Elena Garcia s’est vu refuser un appartement. « Un peu plus tard, se souvient-elle, j’avais pris rendez-vous par téléphone pour visiter un logement. Mais le propriétaire n’est pas venu. M’a-t-il évincée à cause de mon accent ou parce que je lui avais dit que je vis seule avec une fillette? Je n’ai pas pu ni voulu, le savoir. Un autre jour, après avoir conclu une entente pour un appartement que je venais de visiter, le propriétaire me demande: « Je peux vous rapprocher d’un métro? » Comme j’étais avec le bébé, j’accepte et je monte en voiture. Mais aussitôt, il essaye de me caresser les jambes. Je suis descendue, mais l’appartement si difficilement trouvé était perdu. Je n’allais pas me jeter dans la gueule du loup! »

« Marie, une amie guadeloupéenne, était allée voir un logement affichant A louer, raconte Roberte De Gage, avocate, mais la propriétaire a refusé de le lui faire visiter, sous prétexte qu’il venait d’être retenu. Quand Marie m’a raconté ça, je me suis dit: « C’est parce qu’elle est noire. » J’ai donc pris le téléphone et de mon accent le plus pointu, le moins guadeloupéen, j’ai demandé si l’appartement en question était encore libre. Il l’était. « Comment se fait-il, alors, madame, qu’il y a une heure à peine, vous l’ayez refusé à une amie? Est-ce parce qu’elle est noire? Savez-vous que c’est de la discrimination, que je suis avocate et que cela peut vous coûter cher? » La femme s’est troublée: « Ce n’est pas moi, ce sont mes autres locataires qui ne veulent pas de Noirs ici! » J’ai raccroché. Mais Marie avait laissé un numéro de téléphone – le mien – et à peine avais-je raccroché que la propriétaire l’appelait, non pour lui offrir l’appartement, mais pour vociférer: « Vous devriez avoir honte de vouloir me causer des problèmes en me dénonçant à une avocate! » Elle criait tellement fort que j’ai pris le téléphone pour lui dire que cela s’appelait de l’intimidation et qu’elle aggravait son cas. Marie, malheureusement, n’a pas voulu porter plainte et l’affaire en est restée là. »

La discrimination en matière de logement est une réalité bien vivante au Québec et ce sont les femmes qui en sont les principales victimes. Les chiffres compilés par la Commission des droits de la personne le montrent bien: les trois quarts des demandes d’intervention en matière de logement auprès de la Commission sont effectuées par des femmes. Les motifs de discrimination qui reviennent le plus souvent sont le fait d’avoir des enfants et celui d’être bénéficiaire de l’aide sociale. Un autre motif occupe la troisième place: la race et l’origine ethnique.

L’enquête Femmes et logement menée en 1986 par le Comité Logement Rosemont dans trois quartiers montréalais arrivait sensiblement aux mêmes conclusions. « Suite à cette enquête, nous avons été voir ce qui se passe dans les autres régions du Québec, explique Ruth Pilote de Information-Ressources Femmes et Logement. Bon nombre de Québécoises sont locataires et beaucoup d’entre elles partagent les mêmes problèmes: difficulté à trouver à se loger à cause des enfants, trop large proportion du revenu consacré au loyer (30 % et plus) et, dans certains cas, harcèlement de la part du propriétaire. »

Trouver le logement idéal

La chercheuse Anne Roberge a chiffré le phénomène. Alors que plus de six hommes sur dix sont propriétaires, chez les femmes la proportion est inversée: sept femmes sur dix sont locataires. De plus, en 1985, 55 % de ces femmes locataires gagnaient moins de 15,000 $ par an. Parmi les femmes aux prises avec un problème de logement, beaucoup sont responsables d’une famille monoparentale . D’autres sont des femmes âgées ou encore des femmes d’âge moyen qui se retrouvent seules après le départ des enfants.

« La conséquence de la discrimination, explique l’urbaniste Françoise Mondor, c’est qu’à force de chercher un logement et d’être éconduites, les femmes finissent par accepter un logement en moins bon état, moins grand ou trop cher par rapport à leurs moyens. Le mot « froid » revient comme une obsession dans les entrevues que j’ai menées auprès de mères chefs de famille monoparentale qui m’ont raconté leurs difficultés. Même si le mot «faim» était prononcé moins souvent, une étude de la Corporation des diététistes du Québec démontre que la hausse de loyer a un effet direct sur la malnutrition des femmes enceintes, allaitantes et des nourrissons. »

Jusqu’à très récemment, les personnes victimes de discrimination dans le logement ne savaient trop où s’adresser. « Il existe quelques associations de locataires, explique Ruth Pilote. Mais elles sont souvent débordées et n’ont pas toujours les ressources humaines nécessaires pour accompagner une femme à la recherche d’un logement (et lui servir de témoin en cas de discrimination) ou pour prendre contact avec un propriétaire qui rend la vie impossible à sa locataire dans le but de provoquer son départ. »

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Se défendre

Au téléphone, on refuse de vous donner un rendez-vous et vous croyez que c’est à cause de votre « accent repérable ». Demandez alors à une personne qui parle sans cet « accent » de téléphoner à son tour. Si cette personne obtient le rendez-vous qui vous a été refusé, téléphonez immédiatement à la Commission des droits de la personne.

Lors de la visite, si vous croyez que vous risquez d’être victime de discrimination, faites-vous accompagner par une personne de votre connaissance; elle vous servira de témoin si vous devez porter plainte.

Source: Feuille de route de la Commission des droits de la personne.

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Devant l’ampleur des problèmes, une nouvelle association s’est formée en 1986. Il s’agit de Information-Ressources Femmes et Logement, un organisme provincial qui travaille à promouvoir les droits des femmes locataires et à faire pression sur les instances concernées dans le but de trouver des solutions collectives. L’association a beaucoup fait parler d’elle au mois d’octobre 1987 en organisant un colloque qui a donné lieu à des échanges passionnants sur la problématique des femmes et du logement.

La Commission des droits de la personne a dû, quant à elle relever un défi de taille: trouver le moyen de mieux répondre aux plaintes qu’elle reçoit. En 1987, elle s’est donné un véritable plan de bataille comportant trois objectifs: prévention auprès du public, dissuasion auprès des propriétaires et amélioration des recours dont disposent les personnes victimes de discrimination.

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Déjouer la discrimination

La discrimination peut être ouverte et directe: « On ne veut pas d’enfants ici » ou « On ne veut pas de Noirs ». Mais elle peut aussi se manifester plus subtilement. Pour se débarrasser d’une personne jugée par lui indésirable, un propriétaire (ou son représentant) alléguera une liste d’attente, la nécessité de procéder à une enquête de crédit ou le fait que le logement est déjà « promis » à quelqu’un d’autre.

Pour aider à déjouer la discrimination, la Commission des droits de la personne du Québec a rédigé une Feuille de route que l’on peut se procurer auprès de l’organisme. Ce document fait la liste des références dont il faut se munir avant de commencer à chercher un logement. Ces références peuvent parfois empêcher les propriétaires de demander des informations indiscrètes sur la vie privée de la future locataire, telles que les coordonnées de son compte en banque ou son numéro d’assurance sociale. La Feuille de route sert également d’aide-mémoire en indiquant les renseignements à recueillir lorsqu’on téléphone au sujet d’un logement ou lorsqu’on le visite. Voici un résumé des principaux conseils offerts par la Feuille de route:

  • Munissez-vous de références de votre propriétaire actuel ou de vos anciens propriétaires (exemple: « Je recommande Mme Unetelle… »). La recommandation d’une personne de confiance est également utile (ministre du culte, gérante de banque ou de caisse populaire…).
  • Munissez-vous de reçus de loyer d’électricité, de gaz, de chauffage, de téléphone de votre ancien logement.
  • Lorsque vous téléphonez pour un logement, notez le numéro que vous avez appelé, le nom et la fonction de la personne qui vous répond. Limitez-vous à prendre des renseignements sur le logement sans entrer en discussion avec votre interlocuteur. Vous n’avez pas à donner des renseignements sur vous au téléphone. Si on vous en demande, dites que vous avez de bonnes références et que vous allez les apporter.
  • Lors de la visite, notez le nom et la fonction de la personne qui vous fait visiter, le nom de la personne ou de la compagnie à qui appartient le logement, la date et l’heure de la visite.
  • Si le logement vous intéresse vraiment, dites que vous voulez le louer. Le propriétaire sera alors en droit de vérifier si vous payez régulièrement votre loyer et combien de personnes habiteront le logement. Pour prouver que vous pouvez payer le loyer, vous pouvez montrer vos références et vos reçus. Si le propriétaire pose des questions sur votre situation maritale, votre numéro d’assurance sociale, votre numéro de passeport, votre source de revenus, répondez si vous le désirez, mais sachez que ce sont là des renseignements d’ordre privé et que vous n’êtes pas obligée d’y répondre. Cependant, vous pouvez malgré tout décider de donner ces renseignements afin de ne pas perdre le logement convoité. Pour de plus amples renseignements, procurez-vous la Feuille de route. Pour un logement sans être victime de discrimination auprès de la Commission des droits de la personne du Québec.

Source : Feuille de route de la Commission des droits de la personne.

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Bonne nouvelle

Mais ce n’est qu’en juin 1988 qu’une décision de la Commission des droits de la personne ouvre de nouvelles perspectives. Sous la pression d’Information-Ressources Femmes et Logement, la Commission accepte dorénavant de recevoir les plaintes contre les propriétaires qui refusent de louer à cause de la présence d’enfants (le premier motif de discrimination dans le logement). Bien sûr, le Code civil (article 1665) défend explicitement cette forme de discrimination, mais… la loi n’est tout simplement pas appliquée! Bien qu’il n’existe pas d’article dans la Charte des droits et libertés de la personne qui vise spécifiquement la discrimination fondée sur la présence d’enfants, la Commission accepte à l’avenir de recevoir les plaintes en utilisant le motif « âge » qui pour sa part apparaît bel et bien dans la Charte (article 10).

Au printemps de 1989, la Commission innove à nouveau en lançant un projet pilote, le projet logement, qui permet d’engager du personnel supplémentaire affecté à la réception des plaintes durant les mois de mars, avril, mai et juin, période traditionnellement vouée aux déménagements. Dans certains cas, la Commission n’hésite pas à procéder elle-même à du testing.

Qu’est-ce que le testing? Cela consiste à envoyer auprès d’un propriétaire, à la suite d’une plainte pour discrimination, des personnes qui se disent intéressées à la location du logement. A quinze minutes d’intervalle, par exemple, une femme noire puis une blanche se présentent au propriétaire récalcitrant et demandent à visiter les lieux. Si la réaction du propriétaire confirme le contenu de la plainte reçue par la Commission, celle-ci recueille ainsi des éléments de preuve essentiels à une éventuelle poursuite.

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On vous refuse un logement?

Le logement vous convient. Vous avez produit des références (reçus de loyer de votre ancien logement, recommandations) qui prouvent votre capacité de payer. Vous êtes prête à signer le bail. Mais le propriétaire (ou son représentant) parle tout à coup d’une liste d’attente, demande un long délai pour se décider, ne répond ni oui ni non.

Vous avez nettement l’impression qu’en réalité, il cherche à vous refuser le logement parce que: vous êtes noire, asiatique ou autochtone; vous avez des enfants ou êtes enceinte; vous élevez seule vos enfants; vous êtes assistée sociale; vous êtes une personne handicapée; ou pour une autre raison (âge, religion, sexe, langue, origine ethnique, orientation sexuelle). Le propriétaire (ou son représentant) vous refuse le logement en donnant clairement l’une des raisons ci-dessus… ou il invoque de vagues prétextes (une liste d’attente, etc.). Il est alors fort probable que vous soyez victime de discrimination.

Que faire?

Vous avez pris note au préalable des renseignements concernant le logement et le propriétaire. (Voir encadré Déjouer la discrimination.) Conservez votre calme. Notez par écrit les raisons du refus telles que mentionnées (et celles que vous pouvez comprendre « entre les lignes »). Expliquez que la Charte des droits et libertés de la personne défend de refuser un logement pour de telles raisons. Dites que vous allez déposer une plainte auprès de la Commission des droits de la personne.

Si cela ne suffit pas, rassemblez toutes les informations dont vous avez pris note concernant le logement et le propriétaire et téléphonez le plus vite possible à la Commission des droits de la personne. De plus, entrez en contact avec un organisme qui peut vous aider, tel qu’une association de locataires, un comité logement, un organisme de communauté ethnique, un groupe de femmes.

Source: Feuille de route de la Commission des droits de la personne.

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Il est certain, cependant, que la Commission ne peut multiplier ce genre d’opération: il lui faudrait pour cela un personnel considérable dont elle ne dispose pas. Mais la technique du testing peut être utilisée par toute personne qui a de bonnes raisons de croire qu’elle est victime de discrimination. En prenant les renseignements nécessaires sur le logement et sur le propriétaire, en s’assurant de la présence d’un témoin et en réunissant des preuves (en particulier par testing, on s’assure que la plainte qu’on déposera auprès de la Commission des droits de la personne sera la plus solide possible. (Voir les conseils donnés en encadré.)

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A Rouyn

Une étudiante autochtone, alléguant s’être fait refuser un logement à cause de son origine a eu gain de cause devant la Commission des droits de la personne, non pas parce qu’elle avait subi de la discrimination raciale, mais parce que le propriétaire du logement avait candidement avoué lui avoir refusé le logement… à cause des enfants.

Voici comment les choses se sont passées. Pendant que Mme B. visitait le logement, ses trois enfants jouaient dehors et elle les a montrés au concierge. C’est au moment de signer le bail, après confirmations téléphoniques de l’accord, qu’elle s’est fait dire par la gérante qu’il y avait eu une erreur et que le logement n’était plus disponible. Soupçonnant que ce n’était là qu’un prétexte et que son origine autochtone était en cause, elle a déposé une plainte pour discrimination fondée sur la race.

Le concierge et la gérante ont témoigné que les motifs réels du refus n’étaient pas la race de la jeune femme, mais le fait qu’elle ait trois enfants. Or, selon la Commission, refuser de louer un logement à une personne ayant charge d’enfants, sans autres raisons valables, constitue une discrimination illégale en vertu de l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne. De plus, tout propriétaire devrait savoir que le Code civil interdit cette forme de discrimination à l’article 1665.

Le propriétaire a accepté de verser 1560 $ à la plaignante à titre de dommages matériels.

Source: Communication 3, bulletin de la Commission des droits de la personne du Québec.

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Réagir au harcèlement

Le fait de se voir refuser un logement n’est pas la seule forme de discrimination possible. Les préjugés font qu’une femme seule n’est pas toujours considérée comme une personne fiable. Certains propriétaires n’hésitent pas à multiplier les vexations afin de se débarrasser d’une locataire jugée indésirable. Bien des femmes finissent par baisser les bras et acceptent, de guerre lasse, de plier bagages. Francine Léonard, une Montréalaise, a eu le courage de faire face à une telle situation . Son odyssée commence au moment où son mari la quitte en lui laissant la responsabilité des enfants. A la veille de la séparation, les conjoints se rendent chez le propriétaire afin de mettre le bail au seul nom de Francine. Mécontent, le propriétaire signifie son intention d’augmenter le loyer de 25 $. « Je lui dis qu’aucune dépense n’a été faite dans le logement en trois ans et que c’est trop cher que ça vaut, raconte Francine. Toutefois, je lui offre 10 $ pour vivre en paix. Il me téléphone trois semaines plus tard, il veut 15 $. Je lui dis de s’adresser à la Régie du logement. » Un mois plus tard, Francine reçoit un avis d’éviction.

Elle consulte une avocate qui lui dit qu’elle peut obtenir en plus une réduction de loyer si elle prouve que le propriétaire est responsable du mauvais état des lieux. Elle prend des photos et les envoie à l’avocate. A partir de là, les ennuis sérieux commencent: coups de téléphone anonymes, menaces, insultes. Quelqu’un pénètre un jour sur la véranda de l’appartement, renverse un sac de déchets et lance une chaise sur les bicyclettes des enfants. Personne n’ayant été témoin du délit, la police ne peut intervenir. Toutefois, la Régie du logement donne raison à Francine sur la question de l’éviction et elle lui accorde 15 $ de diminution de loyer étant donné le manque d’entretien des lieux par le propriétaire. Malgré cet avis officiel, le harcèlement se poursuit. Francine recevra un avis de reprise de possession qui sera annulé par la Régie du logement puis, quelque temps plus tard, un avis de rénovations majeures qui l’oblige cette fois-ci à déménager. Conclusion? « Trois années de menaces, de harcèlement et d’insécurité, explique Francine. Trois années pendant lesquelles je criais au secours en demandant une place dans un HLM. Trois années où je ne pouvais compter que sur ma force mentale et physique, où je continuais à élever seule mes enfants, malgré ma fatigue, en me demandant le soir comment je réussirais à passer au travers… »

« Toutes les femmes n’ont pas la force morale et la détermination de Francine Léonard constate Ruth Pilote. Le harcèlement est une situation difficile à prouver parce qu’il s’agit d’une série d’événements qui se répètent à intervalles plus ou moins réguliers. La locataire n’a pas toujours de témoin qui puisse prouver la véracité de ses dires. »

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A Québec

Etre bien logé, ce n’est pas seulement avoir un toit sur la tête, c’est aussi vivre dans un environnement urbain adéquat. Un peu partout, des collectifs de femmes font valoir leurs idées sur l’aménagement des villes. A Québec, le groupe Femmes et Ville dépose un mémoire en avril 1987 en réponse au plan directeur d’aménagement et de développement de la Ville. Le groupe critique vivement l’idée de favoriser le développement d’un centre-ville fort où la « fonction travail » serait privilégiée. Les femmes proposent au contraire de répartir les lieux de travail dans les différents quartiers de Québec afin que chacun d’eux soit un milieu de vie complet avec sources d’emplois et services essentiels, tels que garderies, écoles, commerces, équipements récréatifs et transport en commun. Elles souhaitent que les gens puissent rester dans leur quartier d’origine malgré les changements qui surviennent au cours de la vie (divorce, vieillissement) de façon à favoriser les liens d’entraide et le sentiment d’appartenance. Femmes et Ville dénonce le fait que Québec ne fasse rien pour empêcher le départ des familles à faibles revenus des quartiers centraux et leur remplacement par une classe plus aisée, comme c’est le cas dans Saint-Jean-Baptiste, Saint-Roch et le secteur du Vieux-Port. Le groupe demande la construction de nombreux HLM de petite taille, bien intégrés à la vie urbaine. Il identifie les lieux publics « à risques » où la sécurité des femmes n’est pas assurée du fait qu’ils sont mal éclairés et déserts en soirée. Les femmes ont-elles réussi à convaincre la Ville de Québec du bien-fondé de leurs propositions? Jusqu’à présent, elles ont reçu peu d’échos de leur mémoire. Une affaire à suivre.

Source: Mémoire présenté aux audiences publiques sur le plan directeur de la Ville de Québec par le groupe de travail Femmes et Ville, avril 1987, 30p.

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Les organismes qui travaillent dans le domaine du logement ont cependant remporté une importante victoire lorsque le législateur acceptait en 1987 de mentionner expressément le harcèlement dans la loi sur le logement locatif (à l’article 112.1). Jusque-là, le mot n’y figurait pas. Toutefois, ce nouvel article ne vise que le harcèlement utilisé en vue d’évincer le locataire de son logement ou de convertir un immeuble locatif en copropriété divise. Quant au harcèlement à caractère sexuel et discriminatoire, il continue à relever de la Charte des droits et libertés de la personne.

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Quelques adresses

Collectif des femmes immigrantes du Québec
6865, rue Christophe-Colomb
Montréal (Québec) H2S 2H3
Tél.: (514) 279-4246

Commission des droits de la personne du Québec
Montréal: (514) 873-7618 ou (sans frais) 1-800-361-6477
Québec: (418) 643-4826 ou (sans frais) 1-800-463-5621
Sherbrooke: (819) 822-6925
Rouyn: (819) 797-0915
Hull: (819) 776-8113
Sept-îles: (418) 962-4405

Fédération des associations
des familles monoparentales du Québec
890, boul. René-Lévesque Est Bureau 2320
Montréal (Québec) H2L 2L4
Tél.: (514) 228-5224

Femmes et logement de Québec
301, rue Carillon
Québec (Québec) G1K 5B3
Tél.: (418) 529-6158

Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
1212, rue Panet Bureau 318
Montréal (Québec) H2L 2Y7
Tél.: (514) 522-1010

Information-Ressources Femmes et Logement
1200, rue Laurier Est Bureau 212
Montréal (Québec) H2J 1G9
Tél.: (514) 272-9304

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Mais la preuve dans ce domaine est difficile à faire. Ginette Bergevin, de Femmes et Logement de Québec rapporte un cas type : le propriétaire arrive chez une locataire à 21 h, sans prévenir. Il dit qu’il doit absolument vérifier l’état de la toilette qui coulerait selon les dires des voisins. La locataire le laisse entrer avec réticence en lui disant que sa toilette ne coule pas et qu’il est bien tard pour venir vérifier. Le propriétaire va dans la salle de bain et ne constate aucun bris. Il regarde partout, flâne, fait des compliments sur l’appartement et sur la locataire. Chez cette dernière, la tension monte. Elle a hâte que l’homme parte. Elle est seule avec lui et n’est pas rassurée. Le propriétaire lui dit alors que si elle est gentille avec lui, ça pourrait lui coûter moins cher de loyer. Furieuse, la locataire met l’homme dehors. Ce dernier sort en lui laissant entendre qu’elle va le regretter.

Selon Ginette Bergevin, les comités de locataires et les groupes de femmes peuvent intervenir dans des cas semblables en donnant du soutien à la locataire et en l’aidant à obliger le propriétaire à annoncer ses visites 24 heures à l’avance. La locataire pourra alors demander à une personne de son entourage d’être présente lors de la visite.

L’appui du groupe

Il est des situations de harcèlement qui se règlent de façon inattendue. Tel est le cas pour une femme chef de famille monoparentale profondément exaspérée par les visites répétées d’un propriétaire qui lui tient des propos équivoques . Le groupe auquel appartient cette femme décide de l’aider en prenant le propriétaire en flagrant délit. Les femmes du groupe se relaient chez la locataire durant plusieurs jours. Un soir, le propriétaire se présente à la porte de sa locataire et commence à l’importuner. L’amie sort alors de sa cachette. Le lendemain, le groupe de femmes adresse une lettre au propriétaire pour le confronter à la situation et lui dire que… son comportement sera rapporté à sa femme s’il persiste à harceler ses locataires. La suite de l’histoire? Le harcèlement a cessé du jour au lendemain. Peu de temps après, dit-on, l’homme aurait mis en vente deux de ses immeubles.

Plus d’une femme locataire sur deux est victime de discrimination ou de diverses formes de harcèlement, rapporte le Comité Logement Rosemont qui a mené en 1986 une étude dans les trois quartiers montréalais de Saint-Henri, Rosemont et Hochelaga . Une statistique qui varie sans doute selon les régions et les villes mais qui justifie pleinement l’intérêt de plus en plus marqué de plusieurs regroupements féminins pour les conditions de logement des femmes. Les conclusions des recherches menées par l’urbaniste Françoise Mondor ouvrent des perspectives intéressantes à cet égard.

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A Montréal

Le parc Viger et le tunnel du métro Place des Arts-Kimberley seraient des lieux propices aux agressions. C’est ce que reconnaît la Ville de Montréal dans le rapport de la Commission permanente de l’aménagement, de l’habitation et des travaux publics.

Le rapport de cette Commission constate qu’à Montréal, de nombreux endroits sont dangereux: stationnements, terrains vacants, corridors souterrains. La Commission admet d’autre part que certains aménagements résidentiels récents, tels que ceux de La Petite Bourgogne ou de Saint-Sulpice, ont « oublié » les services commerciaux d’utilité courante et les garderies. La Commission souligne aussi que les poussettes n’ont pas un accès facile dans les tourniquets et les escaliers du métro. Elle analyse enfin la situation de la pauvreté qui est le lot d’un grand nombre de femmes et propose d’en tenir compte dans la construction des logements.

Cette reconnaissance des problèmes spécifiques aux femmes n’est pas le fruit du hasard. Elle s’est manifestée à la suite du dépôt en juin 1988 d’un mémoire du Collectif Femmes et Ville. Le document met de l’avant un slogan percutant: « Pas de zonage familial! » Les auteures du mémoire soulignent que la spécialisation des espaces urbains par fonctions (habitations, commerces, bureaux) contribue à compliquer la vie des femmes, en particulier de celles qui ont charge d’enfants et qui ne sont pas assez riches pour posséder une automobile. Elles demandent expressément la construction de logements familiaux situés près des lieux de travail, ces logements doivent être à prix abordables, de grande taille, insonorisés, situés au rez-de-chaussée ou au premier, dotés d’une cour arrière ou d’un balcon. Elles proposent que chaque projet de construction ou de rénovation comporte l’obligation de fournir des services de garde et des espaces de jeux. Elles citent en exemple la halte-garderie du magasin IKEA. Elles souhaitent aussi que les toilettes publiques pour femmes et pour hommes comportent des installations permettant de changer un bébé, comme cela existe déjà en Suède.

D’autres mémoires concernant l’Énoncé de politique d’habitation de la Ville de Montréal ont également été déposés, notamment par Information-Ressources Femmes et Logement, qui a eu l’appui du Collectif des femmes immigrantes du Québec, de la Fédération des associations de familles monoparentales du Québec de l’R des centres de femmes du Québec. Dans ce document, les femmes félicitent la Ville de Montréal pour la justesse de son diagnostic mais… la blâment pour la faiblesse des mesures concrètes qu’elle s’engage à réaliser. A l’aide de quatre exemples de situations vécues par des femmes, les rédactrices du mémoire soulignent que la copropriété et la propriété sont difficilement accessibles à la majorité des femmes, que les prix des loyers sont trop élevés et que les logements sociaux n’accueillent qu’une minorité de personnes étant donné la longueur imposante des listes d’attente.

Sources: Femmes et Ville: rapport de la Commission sur la problématique des femmes en milieu urbain, Commission de l’aménagement, de l’habitation et des travaux publics, Ville de Montréal 1989, 23 p. Mémoires du Collectif Femmes et Ville, présentés aux audiences publiques sur l’énoncé d’orientation pour l’aménagement de l’arrondissement Centre de Montréal, 1988, 38 p. Habiter Montréal… et y vivre!, Mémoire déposé lors des consultations publiques concernant l’énoncé de politique d’habitation de la Ville de Montréal, Information-Ressources Femmes et Logement, 1989, 21 p.

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Elle montre, dans son mémoire de maîtrise, que c’est à partir du moment où les femmes chefs de famille monoparentale trouvent enfin le logement qui leur convient et où elles se sentent en sécurité qu’elles peuvent prendre leur vie en main, participer à des activités dans leur milieu, retourner aux études ou trouver du travail. « C’est là l’une des découvertes les plus intéressantes de notre recherche. La stabilité résidentielle apparaît comme une des conditions nécessaires à une ascension socio-économique ou, à tout le moins à une possibilité de s’en sortir, d’émerger d’une situation de pauvreté, d’insécurité et d’isolement.»

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A Hull

Les Anglo-Saxons utilisent le mot gentry, qui désigne la bourgeoisie riche, pour qualifier les yuppies qui s’approprient les logements des centres-villes. On appelle maintenant ce phénomène la gentrification.

C’est cette transformation que dénonce à Hull, en octobre 1988, le Comité Femmes et Logement de l’Assemblée générale des femmes en interventions régionales(AGIR). La gentrification, expliquent les femmes, exerce une pression à la hausse sur le prix des loyers, ce qui oblige les personnes qui n’ont pas de gros moyens, et en particulier les femmes, à s’exiler en banlieue, loin des lieux de travail et à la merci de transports publics souvent inadéquats.

AGIR demande que la Ville maintienne et développe les possibilités d’habiter l’île de Hull. Les équipements (garderies, loisirs) ne devraient pas être confinés aux seuls quartiers résidentiels mais répartis dans toute la ville de façon à favoriser la vie des parents, notamment pendant les jours de congé pédagogique et les vacances. AGIR dénonce le fait que certains lieux urbains soient dangereux. Ainsi, une femme seule ne peut se promener dans le parc Jacques-Cartier sans se faire harceler. Les boulevards Montclair et Maisonneuve ainsi que la place d’Accueil sont également peu sécuritaires. Le groupe fait de nombreuses recommandations dont voici un échantillon: cerner les besoins particuliers des femmes, consulter les groupes de femmes avant l’adoption d’un plan d’urbanisme, faciliter le développement des coopératives de logement étant donné le succès remporté par cette formule, obliger les responsables des projets de construction et de rénovation à prévoir une garderie.

Source: Les femmes de Hull auront-elles une ville à leur mesure?, Mémoire présenté au Colloque populaire sur l’aménagement urbain Hullternative par le Comité femmes et logement de l’Assemblée générale des femmes en interventions régionales, octobre 1988, 10p.