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Nos grands-mères n’étaient pas des personnes

Eh non! Nos grands-mères n’étaient pas des personnes. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il a fallu attendre 1929 pour que ce statut leur soit enfin reconnu.

Date de publication :

Auteur路e :

Gazette des femmes, Vol. 12, no 1, mai-juin 1990, p. 32-33.

Eh non! Nos grands-mères n’étaient pas des personnes 1. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il a fallu attendre 1929 pour que ce statut leur soit enfin reconnu.

Les célébrations du cinquantième anniversaire de l’obtention du droit de vote par les Québécoises suscitent la publication de plusieurs ouvrages sur cette passionnante page d’histoire. Diane Lamoureux, professeure au département de science politique de l’Université Laval, vient de publier Citoyennes? Femmes, droit de vote et démocratie. Dans la première partie de son ouvrage, elle trace un bilan historique du mouvement féministe et suffragiste au Canada et au Québec entre 1885 et 1940. Elle ne manque pas d’y rappeler l’une des péripéties les plus cocasses de l’histoire canadienne, l’affaire des « personnes » qui a connu son dénouement en 1929. Cet épisode historique mérite d’être périodiquement remis en lumière tant il témoigne du chemin parcouru. L’année 1929, après tout, c’était il y a 61 ans… l’âge de nos grands-mères ou même de nos mères!

L’affaire commence, raconte Diane Lamoureux, en 1921, alors qu’un certain nombre de femmes veulent faire nommer la juge Emily Murphy de l’Alberta au poste de sénatrice. Pour être nommé au Sénat, dit la loi, il suffit d’être une « personne » et de posséder certaines qualifications. Ces qualifications, Emily Murphy les détient sans conteste mais… est-elle bien une « personne »? Le Sénat canadien en doute fortement. Quant à la Cour suprême, elle tranche la question en affirmant que ce n’était pas l’intention des législateurs de 1867 (date de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique) de rendre les femmes admissibles au Sénat et que, par conséquent, celles-ci ne constituent pas des personnes au sens de la loi.

Emily Murphy, accompagnée de quatre femmes, décide de porter sa cause devant le Conseil privé de Londres. Tenez-vous bien: il faudra pas moins de quatre jours de délibérations à ce digne Conseil pour en arriver à la conclusion que les femmes peuvent effectivement être considérées comme des personnes. « C’est une des rares fois où le principe d’égalité entre les sexes a été reconnu au Canada et encore fallait-il que cela vienne de l’étranger », conclut Diane Lamoureux.

L’auteure fait bien ressortir dans les deux premiers chapitres de son livre les contextes historiques et idéologiques différents qui marquent l’accession des femmes au droit de vote au palier fédéral en 1918, puis au palier provincial québécois en 1940.

Une partie importante de son livre est d’autre part consacrée à une réflexion théorique sur les liens entre le féminisme et la démocratie. Il s’agit d’un ambitieux survol de l’histoire des idées politiques de Montesquieu à… l’affaire Chantal Daigle. La partie de l’ouvrage consacrée à Idola Saint-Jean est plus facile d’accès. L’auteure y met fort bien en relief la modernité de cette pionnière et le caractère innovateur de ses stratégies politiques. Il est d’ailleurs passionnant de lire en annexe du livre un discours et un historique du mouvement des femmes pour l’obtention du droit de vote rédigés par nulle autre qu’Idola elle-même. Quelle plume alerte et vivante!

De précieux outils

Maryse Darsigny, étudiante de deuxième cycle en histoire à l’Université du Québec à Montréal, vient de publier pour sa part L’épopée du suffrage féminin au Québec (1920-1940).

Il s’agit d’une petite plaquette d’une trentaine de pages qui se lit comme un roman. Tout y est clair, simple, bien raconté. A lire les deux premières pages intitulées Pertes et reconquêtes du droit de vote par les femmes, on démêle enfin les différents points tournants de cette histoire du suffrage souvent présentée de façon confuse. La structuration du mouvement des femmes pour l’obtention du droit de vote, les réactions du milieu et les actions des suffragettes sont relatées de façon tout aussi limpide. Il s’agit là d’un document de base à conserver en bonne place dans sa bibliothèque.

Une autre synthèse fort bien faite de ces événements historiques se trouve dans la préface de deux pages rédigée par Gilles Gallichan dans le livre Le droit de vote des femmes au Québec: bibliographie sélective lancé récemment par la Bibliothèque nationale du Québec. Outre cette excellente préface, l’ouvrage propose 626 notices faisant référence à des lois, à des articles de journaux et de revues ainsi qu’à des publications diverses se rapportant au sujet. Cette bibliographie, agrémentée de caricatures et de photos d’époque, a été compilée à partir des collections de la Bibliothèque nationale du Québec. On peut donc consulter les documents mentionnés dans les locaux de cette bibliothèque soit sur microfilms, soit sur supports originaux. De quoi alimenter la passion de bon nombre de chercheuses et permettre à notre histoire de rester vivante.

Citoyennes? Femmes, droit de vote et démocratie de Diane Lamoureux, Éditions du remue-ménage, Montréal, 1989, 195 p.

L’épopée du suffrage féminin au Québec (1920-1940) de Maryse Darsigny sous la direction de Lyne Kurtzman et Danielle Couillard, Protocole d’entente UQAM-Relais-femmes, Service aux collectivités, Université du Québec à Montréal, 1990, 33 p.

Le droit de vote des femmes au Québec: bibliographie sélective de Milada Vlach, Gilles Gallichan et Louise Tessier, Bibliothèque nationale du Québec, Montréal, 1990, 192p.

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Quelques jalons

  • 1791: Des femmes propriétaires, non mariées ou veuve du Bas-Canada (le Québec actuel) votent.
  • 1849: Retrait du droit de vote pour toutes les femmes.
  • 1892: Le Code municipal accorde le droit de vote aux veuves et aux célibataires.
  • 1899: La Ville de Montréal met en application le Code municipal.
  • 1916: Le droit de vote est accordé aux femmes du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta.
  • 1917: La Colombie-Britannique et l’Ontario suivent l’exemple.
  • 1918: Les Canadiennes obtiennent le droit de vote au palier fédéral. La Nouvelle-Écosse accorde également le droit de vote aux femmes.
  • 1919: Le Nouveau-Brunswick accorde le droit de vote.
  • 1922: C’est le tour de l’Ile-du-Prince-Édouard.
  • 1940: Les Québécoises obtiennent le droit de vote.
  • 1944: Les Québécoises votent pour la première fois au palier provincial.

Source: L’épopée du suffrage féminin au Québec (1920-1940) de Maryse Darsigny.

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  1. 1 Inspiré de Mother was not a person sous la direction de Margret Anderson, Black Rose Books, Montréal, 1974, 247 p.