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Partager le congé parental, nouvelle frontière de l’égalité?

Congé parental : et si les pères se prévalaient d’une plus grande part?

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Malgré les avancées des dernières années, la révolution parentale n’a pas encore eu lieu. Si les pères québécois sont présents dans la vie familiale et utilisent en grande majorité leur congé de paternité de cinq semaines, seule une minorité d’entre eux partagent le congé parental, associé « naturellement » à la mère. L’égalité y gagnerait pourtant. Chercheur au Conseil du statut de la femme, Olivier Lamalice vient de publier un avis sur ce nouveau défi. Intitulé Pour un partage équitable du congé parental, il est notamment basé sur 27 entrevues réalisées avec des parents, et fait la synthèse des études portant sur la question. « On a vu une grosse différence statistique lors de l’instauration du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) en 2006 », explique-t-il au bout du fil. En d’autres mots, les pères se sont précipités pour bénéficier des cinq semaines qui leur sont réservées. Mais depuis, les chiffres stagnent.
Photographie d'Olivier Lamalice.
« Je me suis rendu compte à quel point le congé parental est “naturellement” le domaine des femmes dans la tête des gens. L’idée que le temps appartient à la mère est très répandue; pas celle que le congé est partageable. »
Olivier Lamalice, chercheur au Conseil du statut de la femme et responsable de l’avis Pour un partage équitable du congé parental
Sophie Beauchemin, porte-parole du Conseil de gestion de l’assurance parentale (CGAP), le confirme. En 2006, les hommes ont pris 8,6 semaines de congé en moyenne. En 2013, ils en ont pris… 8,7! Seuls 30 % des bénéficiaires masculins du RQAP utilisent une partie du congé parental.

Congé parental… très maternel

Plusieurs raisons expliquent ce statu quo, dont une conception encore stéréotypée des rôles sexuels. Celle-ci a d’ailleurs étonné M. Lamalice lors de ses entretiens. « Je me suis rendu compte à quel point le congé parental est “naturellement” le domaine des femmes dans la tête des gens. L’idée que le temps appartient à la mère est très répandue; pas celle que le congé est partageable. » « J’ai pris congé pour l’aider », « Ma femme m’a donné deux semaines de son congé » : le vocabulaire utilisé par les couples trahit l’idée que le « premier » parent reste la mère. Les pères sont d’ailleurs 83,4 % à faire coïncider leur congé avec celui de la mère. Ils sont donc rarement seuls avec l’enfant, selon un sondage mené l’an dernier auprès de pères par le Conseil de gestion de l’assurance parentale. Le tiers des répondants (33,9 %) ont indiqué que la volonté « d’aider leur conjointe » avait déterminé leur choix.

De parent d’appoint à parent tout court

Les jeunes couples claironnent pourtant haut et fort la fin du modèle pourvoyeur-ménagère. « Ils se comparent beaucoup à la génération des baby-boomers, et c’est vrai qu’on a fait du chemin », souligne Marie-Ève Surprenant, auteure de Jeunes couples en quête d’égalité (Sisyphe, 2009) et coordonnatrice de la Table de concertation de Laval en condition féminine.
Photographie de Marie-Ève Surprenant.
« Il existe une tension entre une volonté d’égalité et la stabilité familiale et conjugale. On se demande jusqu’où on peut aller pour revendiquer plus d’égalité sans troubler sa famille. »
Marie-Ève Surprenant, auteur du livre Jeunes couples en quête d’égalité et coordonnatrice de la Table de concertation de Laval en condition féminine
Très peu de couples clament ouvertement être inégalitaires. Pourtant, lorsque Olivier Lamalice a soumis une liste de tâches aux parents en leur demandant d’indiquer qui faisait quoi à la maison, le fossé entre discours et mise en pratique est apparu clairement. Ainsi, les femmes effectueraient encore 70 % des tâches ménagères. « En dépit du désir d’établir des relations égalitaires, l’expérience des couples est souvent la même : la mère planifie, prépare, délègue et exécute, alors que le père agit comme soutien. Les rôles demeurent envisagés sous l’angle de la complémentarité », expose le chercheur. Les besognes plus répétitives, récurrentes et invisibles incombent aux femmes. Et les hommes demeurent cantonnés aux « 4 P » : pelouse, peinture, pelletage et poubelles, c’est-à-dire des corvées intensives sur de courtes périodes de temps. Chacun exécute des tâches dans lequel il croit être bon, « complémentaires » mais réparties inégalement. Oui, le nouveau papa émerge. « Il demeure toutefois un aidant. Il y a encore une assignation tacite des femmes à la sphère domestique », renchérit Mme Surprenant. Le mot tacite est ici utilisé à dessein, puisque l’égalité ne fait pas partie des enjeux explicites. « Il existe une tension entre une volonté d’égalité et la stabilité familiale et conjugale, décrit-elle avec justesse. On se demande jusqu’où on peut aller pour revendiquer plus d’égalité sans troubler sa famille. » Dans le sondage du CGAP, le partage du congé est néanmoins présenté par 95 % des pères comme le fruit d’une décision commune du couple, rapporte Sophie Beauchemin. Olivier Lamalice a poussé la question plus loin, pour constater que « les couples n’en discutent tout simplement pas ». Ce qui renforce la thèse d’une certaine « naturalisation » du rôle de mère, sans qu’elle soit énoncée de cette manière. Pourtant, changer des couches n’est pas inné.

Partager pour plus d’égalité

Or, « l’arrivée des enfants cristallise encore plus les rôles », avance le chercheur du Conseil. Les tâches antérieures continuent de ne pas être partagées, et de nouvelles corvées s’ajoutent. Ce que les femmes ont à faire est donc exponentiel. Un père qui reste seul avec son enfant est davantage en mesure de constater la charge de travail quotidienne. D’où l’idée que le partage plus équitable des congés parentaux amènerait une plus grande égalité conjugale par la suite. La petite enfance est également le moment d’installer une routine et de tisser des liens privilégiés. De nombreux pères confient qu’être seul avec l’enfant constitue en quelque sorte une « formation » au rôle de parent. Affronter et résoudre des problèmes de la vie quotidienne leur donne le sentiment d’être plus compétents. C’est du moins ce qu’affirmait déjà en 1999 l’État suédois dans des brochures produites pour encourager les pères à profiter du congé parental. Pionnière en la matière, la Suède offre depuis 1974 un congé parental accessible aux pères. Sur les 16 mois que compte aujourd’hui le congé, 2 sont réservés au père, 2 à la mère, et les 12 autres sont partageables. Trois ans après l’adoption de la mesure, en 1998, 90 % des nouveaux pères prenaient un congé de paternité, comparativement à 51 % en 1993, rapporte Olivier Lamalice dans son avis. « C’est cliché de dire qu’on y voit des pères partout avec des poussettes, mais c’est vrai! » rigole-t-il au téléphone. L’Islande, elle, va encore plus loin avec un congé exclusif aux pères de cinq mois, l’équivalent de celui des mères, ainsi que deux mois partageables.
Photographie de Sophie Beauchemin.
© Alain Carpentier
Sophie Beauchemin, porte-parole du Conseil de gestion de l’assurance parentale, souligne que le partage du congé parental est présenté par 95 % des pères comme le fruit d’une décision commune du couple.
S’appuyant sur ces deux exemples, M. Lamalice croit que « l’État n’a qu’un seul levier pour faire évoluer les pratiques personnelles, ce sont les politiques publiques ». C’est pourquoi le Conseil recommande au gouvernement d’instaurer un congé de paternité réservé supplémentaire de trois semaines, qui seraient retranchées du congé parental partageable. Le congé de paternité passerait donc de cinq à huit semaines.

Le poids du portefeuille

Au-delà des rôles préconçus encore fortement ancrés dans nos esprits, l’engagement moindre des pères s’expliquerait par des considérations financières, note Sophie Beauchemin. Dans le sondage du CGAP, le quart des pères qui n’ont pas pris de congé le justifient par des raisons salariales. Marie-Ève Surprenant établit un rapprochement avec l’équité salariale. « Considérant que les femmes gagnent encore seulement 75 % du salaire des hommes, quel salaire les couples vont-ils sacrifier? » Olivier Lamalice n’est pas tout à fait d’accord. « Je me demande à quel point les gens se cachent derrière cet argument », dit-il. Parmi les couples qu’il a rencontrés, ceux qui étaient décidés à partager le congé ont pris les moyens pour y arriver. Il s’empresse d’ajouter que le RQAP devrait être plus flexible, en permettant le travail à temps partiel par exemple. Et que les besoins des parents en situation de pauvreté devraient être documentés pour être mieux pris en compte. « Le RQAP est un acquis social très important, alors le Conseil demande au gouvernement de s’engager à en assurer la pérennité », dit-il. Et si les pères pouvaient se prévaloir d’une plus grande part, l’égalité s’en porterait mieux.