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Les amoureuses de l’âge mûr

La sexologue et auteure Jocelyne Robert les voit « comme de “nouvelles femmes” en contrôle de leur vie, qui poursuivent leur destinée sans modèles de référence ».

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La journaliste quinquagénaire que je suis s’est beaucoup intéressée aux bouleversements amoureux des 30 dernières années. Qu’ai-je appris de neuf dans cette enquête ?

D’abord que les femmes de ma génération croient toujours à un amour partagé, mais pas nécessairement pour le vivre sous un même toit.

Que leurs aspirations affectives prennent une dimension presque philosophique. Au-delà de l’accouplement des corps – qu’elles ne dédaignent pas ! –, elles recherchent le mariage de projets amoureux durables.

Qu’elles souffrent du jeunisme ambiant et contre-attaquent comme elles peuvent.

Qu’elles sont sereines, bien plus qu’à 40 ans, malgré cette impression persistante qu’elles finiront leur vie en solo, idéalement pas loin de leurs
vieilles chums.

Qu’elles poursuivent leur histoire sans remarcher dans leurs pas.

Que les immigrantes d’âge mûr réfléchissent à leur parcours amoureux en plantant d’autres balises. Fascinant !

Faire sa vie, sans modèle

La trajectoire de ces 818 000 Québécoises de 50 à 64 ans tranche abruptement avec celle des mères, grands-mères et autres célibataires qui les ont précédées. Qu’elles soient nées ailleurs (c’est le cas de 95 000 d’entre elles) ou ici, elles ont été de puissants moteurs de changement dans notre société. Ce sont des « mutantes » qui ont vécu à la croisée de deux mondes qui les sollicitaient ardemment : ceux du foyer et du marché du travail. Autonomie et épanouissement ont été les deux versets de leur credo. Elles ont voulu changer les règles établies du jeu amoureux, conjugal et familial. Elles ont voulu tout contrôler – leur sexualité, leur maternité et leur portefeuille – et, de ce fait, sont devenues les provocatrices du grand dérangement dans les relations hommes-femmes.Leur vie sentimentale en a pris pour son rhume.

Difficile de généraliser devant cette cohorte complexe de battantes et d’amoureuses qui, soulignons-le, vivent toujours largement en duo. Pourtant,côté cœur, les 50-64 ans ne ressemblent pas beaucoup à leurs aînées, ni à celles qui les suivent.Contraintes aux règles de la performance comme les hommes de leur âge, les jeunes quinquagénaires ont
retardé leur première grossesse.Et parfois n’en ont pas eu de deuxième. Elles ont massivement contrôlé leur fécondité (contraceptifs et avortement) pour rester actives et diminuer le poids des tâches familiales. Chez celles de 50 ans, le taux de «descendance finale » est le plus faible de notre histoire, soit 1,6 enfant par femme. Les femmes de 65 ans ont été les dernières à atteindre le taux de 2,1 nécessaire au remplacement des générations. Si on les accuse d’être les responsables de la dénatalité et des problèmes démographiques à venir,on oublie souvent que les pères n’étaient pas toujours au rendez-vous, ceux-là mêmes qui, aujourd’hui, en redemandent côté paternité !

Prendre le pouls des aspirations affectives de cette cohorte singulière est affaire délicate. J’ai avancé à tâtons, gardant un œil sur les statistiques, jonglant avec les mille cas de figure de ces atypiques du cœur. En prêtant l’oreille à des experts et à plusieurs quinquas et sexas, j’ai tenté de saisir à travers ces fragments épars si, côté cœur, elles sont heureuses et confiantes en l’avenir. Elles me paraissent l’être réellement, même si elles envisagent lucidement perdre leur compagnon ou ne pas en retrouver. Plusieurs ont renoncé à chercher, se disant que si ça arrive, tant mieux, sinon tant pis. Et puis leur quotidien est encore peuplé d’amies et d’enfants, leur vie pleine de projets. Si la vie en solo fait désormais partie du quotidien d’un grand nombre, elles semblent « faire avec » sans trop d’états d’âme. Les témoignages en font foi. Fait étonnant, peu ou pas d’études se sont intéressées à elles, alors qu’elles amorcent un grand tournant de leur vie : l’âge mûr.

Pour Perla Serfaty, sociologue et psychologue sociale, les femmes de cette génération se distinguent « par cette conscience aiguisée qu’elles ont d’elles-mêmes et de leur trajectoire. Elles savent qui elles sont et ce qu’elles ont conquis ». La sexologue et auteure Jocelyne Robert les voit « comme de “nouvelles femmes” en contrôle de leur vie, qui poursuivent leur destinée sans modèles de référence ».

Être bien… en amour ou non !

Sont-elles out à jamais, les « baby-boomeuses » sans compagnon avec qui tricoter leur avenir ? La cinquantaine sonne-t-elle le glas des amours prometteuses ?

Bien sûr que non, même si les rencontres sont jonchées d’embûches. Évidemment, en plus de leurs poches sous les yeux, elles ont un vécu amoureux qui pèse lourd dans leur besace. Une fois les épreuves et les ruptures décortiquées, elles savent où logent leurs zones d’inconfort et choisissent de les respecter. Beaucoup tentent l’aventure à nouveau. L’achalandage des réseaux de rencontre Internet en témoigne. Plusieurs disent vouloir un compagnon capable de conjuguer respect, humour et solidarité profonde. Mais dans une société qui carbure si fort au jeunisme, beaucoup de 50-64 ans traînent leur âge comme un boulet.

Jocelyne Robert publiera sous peu un ouvrage consacré aux « baby-boomeuses ». Elle les observe et les écoute depuis des années. « Beaucoup sont intoxiquées par le discours hypersexualisé ambiant. Elles souffrent inutilement en se culpabilisant de ne plus être assez sexy pour répondre aux critères masculins. Elles parlent des trentenaires comme “ de la compétition illégale”. Dur, dur pour l’ego. » Pour la sexologue elle-même sexagénaire, « les femmes d’âge mûr sont loin d’être hors jeu en amour, mais leur perception d’elles-mêmes est à revoir. Et leur rêve d’une belle histoire est intact ».

« Se perçoivent-elles comme des femmes désirantes, en marche vers l’autre ? Lui font-elles de la place ? Le désir va au-delà du projet érotique, elles le savent, c’est un arrimage de valeurs et de visions. Souvent, quand on est désirante, on est désirable », ajoute-t-elle.

Il y a 30 ans, on n’imaginait pas qu’une vie amoureuse puisse redémarrer à l’âge d’être grand-mère. Pourtant, des couples se forment constamment entre 50 et 64 ans. Les valeurs fondamentales sont plus claires et les chances de durabilité seraient meilleures qu’à 30 ans. Mais, hic ! Tant d’hommes du baby-boom sont devenus de nouveaux pères. Tendance lourde ? « Ce n’est plus anecdotique : plusieurs de leurs vis-à-vis masculins aspirent à recommencer leur histoire. Hommes et femmes de cette génération ne sont pas à la même place dans leur vie. Les femmes devraient élargir leur angle de vision, affirme Jocelyne Robert. Plusieurs hommes inspirants de la mi-quarantaine sont fascinés par des femmes qui ont 10 ans, 12 ans de plus qu’eux…Ils ne cherchent pas des pinup, mais des femmes assumées. Donnons-leur une chance ! » Et elle sait de quoi elle parle.

Groupes d’âgesSituation conjugaleHommesFemmes
50 à 54 ansVivant avec conjoint71,668,6
50 à 54 ansVivant sans conjoint*28,431,4
55 à 59 ansVivant avec conjoint74,266,7
55 à 59 ansVivant sans conjoint25,833,3
60 à 64 ansVivant avec conjoint75,963,9
60 à 64 ansVivant sans conjoint24,136,1

* Ne signifie pas vivant seul ou seule. Peuvent vivre avec un enfant, un parent, une colocataire, etc.

Ces chiffres incluent les couples de même sexe.
Source : Statistique Canada, recensement de 2006 (compilation de l’ISQ)

Il y a celles qui pleurent leur jeunesse envolée, et il y a les autres – la grande majorité tout de même ! Beaucoup de quinquagénaires ont choisi d’assumer leur âge et leurs kilos supplémentaires sans trop de pincements au coeur. S’aimer, c’est s’accepter, non ? Rayonnantes sous leurs rides, elles optent pour le yoga, la gym ou la piscine, histoire de s’occuper de leur corps qui n’est plus ce qu’il était. C’est un secret de Polichinelle : les 50-64 ne se sentent pas vieilles et détestent être réduites à leur peau qui flétrit.

Qu’elles soient en couple (67%) ou sans conjoint, à la retraite ou au boulot, les 50-64 ans sont des femmes occupées, organisées, engagées… et fatiguées ! Plusieurs travaillent donc fort leur lâcher-prise. « Je ne pourrai jamais vivre en marge de ma société,mais j’ai décidé de mettre un terme à cette course folle. Je veux apprendre qui je suis devenue et choisir ce que je ferai des 25 ans qui me restent », me dit Claudette Demers Godley, 63 ans, deux enfants, directrice du Y des femmes de Montréal jusqu’en août dernier. Irène Cinq-Mars, 62 ans, aux commandes d’un grand projet universitaire, est chaque semaine une mamie dévouée. L’une est amoureuse de son mari depuis 39 ans, l’autre divorcée et solitaire depuis 12 ans. Qu’ont-elles en commun ? La conscience claire que leur sérénité chèrement acquise repose sur du temps pour elles-mêmes. Et non sur l’amour qu’elles ont, ou pas, à portée de main.

Les enseignements des immigrantes

Dans cette cohorte, elles sont plus de 95 000 à avoir vécu d’abord sous d’autres latitudes. « Que cela ait été un projet de couple ou pas, quand une femme migre à 20 ou à 35 ans, elle est seule, sans réseau familial pour la soutenir », expose Mme Serfaty, auteure d’Enfin chez soi? « Néanmoins, elles
sont d’une détermination inébranlable : elles veulent réussir dans ce nouveau pays. Car elles ne peuvent échouer ! Ceux qu’elles ont laissés derrière ne comprendraient pas. De plus, la société d’accueil leur envoie le message de s’épanouir, de prendre la parole. Pour parvenir à leur but, elles rognent sur le temps consacré à la famille et aux amours. On imagine que cela augmente la tension entre conjoints. »

Où veulent-elles finir leurs jours? Sont-elles tenaillées par le retour au pays? « Elles font des allers-retours dans leur tête depuis toujours…Souvent, le mari voudra rentrer à sa retraite. Et certaines choisiront de rester. Avec leurs enfants qui ne veulent pas partir. Mais aussi parce qu’elles ont goûté ici à une liberté pleine de promesses. L’immigration est une histoire d’amour vers la terre promise. À chaque étape de l’intégration, si souvent douloureuse, on souhaite que la terre d’accueil nous redise combien elle nous aime. Cela passe par les amitiés qu’on tisse. »

Leurs aspirations amoureuses sont-elles différentes de celles des autres femmes de leur génération? « Dans beaucoup de cultures, un mari est un mari. S’il est bon, gentil, qu’on a du plaisir à le côtoyer, pourquoi ne pas vieillir avec lui ? Le seul modèle d’accomplissement amoureux n’est pas celui d’une rupture tous les 20 ans, n’est-ce pas ? Ce romantisme palpitant qu’on propose comme absolu est une autre tyrannie. Toutes n’y aspirent pas ! Dans la réalité, vous savez, les gens sont très heureux sans amour
qui brûle, natifs comme immigrants ! »

Les 50-64 ans ont beaucoup lutté pour obtenir plus d’équité, plus de réciprocité dans les sphères publique et privée. À cause de cela, certaines font peur, et sont perçues comme des guerrières avant d’être regardées comme les femmes d’expérience qu’elles sont devenues.

Sur un plan affectif plus large, on ne le répétera jamais assez, le mouvement des femmes a eu deux conséquences majeures. Il a permis aux femmes de se rencontrer et a fait naître des amitiés durables. Il a aussi servi à présenter les enfants aux hommes, qui s’en sont rapprochés et qui en redemandent aujourd’hui ! Pas mal comme bilan.