Aller directement au contenu

Horreurs sur les campus

La culture du viol tout aussi présente dans les universités américaines.

Date de publication :

Auteur路e :

Une étudiante sur cinq subira des violences sexuelles durant son parcours universitaire, selon les chiffres avancés par le gouvernement américain. Des statistiques qui tirent la sonnette d’alarme à propos d’un problème de société inquiétant.

Aryle Butler avait 18 ans lorsqu’un de ses professeurs l’a agressée sexuellement. L’étudiante en géographie à l’Université de Californie à Berkeley avait été envoyée dans un autre État pour travailler comme assistante de recherche. C’était la première fois qu’elle quittait le nid familial. « Je ne savais pas quoi faire, donc j’en ai parlé à mon supérieur, qui m’a dit que mon professeur était simplement affectueux. Une semaine plus tard, il m’a agressée de nouveau. Il n’y avait ni hôpital ni poste de police, car nous étions dans un parc national. J’ai essayé d’oublier ce qui m’était arrivé, mais deux mois plus tard, ma colocataire s’est fait violer elle aussi. C’est là que j’ai décidé de porter plainte auprès de l’université », se souvient Aryle, qui était loin de se douter de la bataille qu’elle devrait mener.

Photographie de Aryle Butler.

« J’en ai parlé à mon supérieur, qui m’a dit que mon professeur était simplement affectueux. Une semaine plus tard, il m’a agressée de nouveau. […] J’ai essayé d’oublier ce qui m’était arrivé, mais deux mois plus tard, ma colocataire s’est fait violer elle aussi. »

Aryle Butler, étudiante à l’Université de Californie à Berkeley et militante au sein de l’organisation End Rape on Campus

« L’université m’a dit qu’elle ne pouvait rien faire et que ce n’était pas son problème, ce qui est faux. Elle était responsable! Les gens chargés d’enregistrer ma plainte me demandaient constamment si j’avais dit à mon professeur que ce qu’il faisait était mal. Je me suis dit : “Si c’est le genre de question que l’université me pose, qu’est-ce que ce sera si je décide de porter plainte auprès des autorités légales?” » raconte la jeune femme aujourd’hui âgée de 21 ans, qui milite au sein de l’organisation End Rape on Campus (Mettre fin aux viols sur les campus).

Une situation endémique

Comme Aryle, des milliers d’étudiantes se font agresser sexuellement sur les campus des États-Unis et du Canada chaque année. Selon les statistiques reprises par le gouvernement américain dans un rapport intitulé Rape and Sexual Assaults: A Renewed Call to Action, 20 % des femmes subiront des violences sexuelles durant leur parcours universitaire. Seulement 12 % d’entre elles oseraient porter plainte.

Au cours des deux dernières années, plusieurs incidents ont attiré l’attention des médias internationaux sur le problème. Comme celui de l’étudiante Emma Sulkowicz, qui a décidé de porter son matelas sur le campus de l’Université Columbia, à New York, pour protester contre l’inaction de la direction envers son agression. La jeune femme s’était également jointe à une plainte collective déposée par 23 étudiantes contre l’université pour des cas d’agression sexuelle.

Une fuite de courriels échangés par des membres d’Epsilon Iota, une fraternité officieuse de l’Université américaine de Washington, a également fait scandale au printemps 2014. Les messages révélaient entre autres les techniques de viol de la confrérie et la façon dont ses membres profitent de la naïveté des étudiantes de première année, allant jusqu’à les droguer au GHB, substance communément appelée « drogue du viol ». « On les amène dans un autre appartement lorsqu’elles sont soûles pour qu’elles se laissent faire plus facilement lorsqu’elles rencontrent des frères [NDLR : membres de la fraternité] qu’elles ne connaissent pas », expliquait l’un des courriels.

Le consentement, concept flou

Selon Erin Burrows, spécialiste en prévention pour le programme Voices Against Violence à l’Université du Texas à Austin, les campus sont des environnements propices aux violences sexuelles. « Les étudiants qui arrivent à l’université sont généralement indépendants pour la première fois. Ils commencent à explorer leur sexualité et à expérimenter avec l’alcool et la drogue », expose-t-elle.

La spécialiste croit également que le problème puise ses racines dans le rapport à la sexualité qu’entretient la société américaine. « Avant d’arriver à l’université, la plupart des étudiants n’ont jamais eu de vraie conversation à propos du consentement, une notion qui doit absolument être abordée lorsqu’on parle de santé sexuelle. Une grande partie du problème vient également de nos préjugés et des mythes qui entourent les agressions sexuelles. On tend par exemple à croire qu’il s’agit d’incidents rares et perpétrés par des étrangers. Dans la réalité, la majorité des victimes connaissaient leur agresseur et avaient même, dans certains cas, eu une relation amoureuse avec lui », dit-elle, ajoutant que l’alcool entre en jeu dans 70 % des agressions sexuelles.

Aryle Butler, qui fréquente toujours l’Université de Californie à Berkeley, est du même avis. « Il y a une culture du viol. Dans notre société, on dévalue les notions de consentement et d’autonomie d’une personne par rapport à son corps. On le voit dans la façon dont les filles sont traitées dans les fêtes, et dans la gestion des plaintes par les universités. En Californie, nous n’avons pas d’éducation sexuelle avant la fin du secondaire. Les campus sont un reflet de la société, en plus d’être un lieu d’expérimentation pour les jeunes adultes. »

Pas mieux au Canada

Les universités canadiennes ne sont pas épargnées par les scandales sexuels. En 2014, l’Université
McGill s’est retrouvée dans la tourmente lorsque trois anciens joueurs des Redmen, l’équipe de football, ont été accusés d’agression sexuelle et de séquestration. La même année, plusieurs membres de l’équipe de hockey masculine de l’Université d’Ottawa ont été accusés d’agression sexuelle pendant un tournoi à l’Université Lakehead de Thunder Bay, en Ontario. Une récente enquête de la
CBC révélait quant à elle que plus de 700 agressions sexuelles ont été rapportées dans les universités et collèges canadiens entre 2009 et 2013.

« Nos statistiques montrent que 6 à 7 % des femmes sont victimes d’agressions sexuelles sur les campus canadiens. Je crois que le problème paraît plus important aux États-Unis parce que la population américaine est beaucoup plus grande que la population canadienne, mais dans les faits, le problème est le même », explique Dusty Johnstone, responsable de la Bystander Initiative to Mitigate Sexual Assault à l’Université de Windsor en Ontario, un programme de prévention et de sensibilisation aux agressions sexuelles sur les campus. « Le Canada est en général plus ouvert que les États-Unis en matière d’éducation sexuelle, mais nous avons beaucoup de chemin à faire. Un des principaux problèmes est que la coercition (mettre la pression sur quelqu’un, se sentir coupable…) est considérée comme normale dans notre société. »

Photographie de Dusty Johnstone.

« Les institutions sont inquiètes pour leur réputation, mais nier le problème ne réglera rien. Les agressions sexuelles sont le problème de toutes les universités. »

Dusty Johnstone, responsable de la Bystander Initiative to Mitigate Sexual Assaults à l’Université de Windsor en Ontario

La pointe de l’iceberg

Avec les scandales qui s’accumulent, les universités sont forcées de reconnaître l’ampleur du problème et de mettre sur pied des plans d’action. De plus en plus d’organisations sont créées pour venir en aide aux victimes et offrir des ateliers de prévention pour lutter contre les agressions sexuelles. La Maison-Blanche a même lancé, en septembre 2014, une campagne nationale de sensibilisation intitulée It’s on Us (C’est notre problème), qui vise à inciter les hommes à prendre position en soutenant les victimes d’agressions sur les campus et à dénoncer la « tolérance silencieuse ». La campagne prévoit des recommandations aux universités, des visites sur les campus et une étude des lois pour vérifier qu’elles protègent correctement les victimes d’agressions sexuelles. La Californie, elle, a promulgué l’automne dernier la loi Yes Means Yes (Oui, c’est oui), selon laquelle les partenaires doivent donner leur consentement explicite avant toute relation sexuelle afin de protéger les étudiantes du viol, notamment lorsqu’elles sont sous l’influence de drogues ou de l’alcool.

Les experts s’accordent cependant pour dire que le nombre d’agressions rapportées ne représente que la pointe de l’iceberg. « Les victimes ont très peur de ne pas être crues. C’est pourquoi nous mettons en place des protocoles pour aider les universités à gérer efficacement les plaintes et les enquêtes », relate Erin Burrows.

Photographie de Erin Burrows.

« Les victimes ont très peur de ne pas être crues. C’est pourquoi nous mettons en place des protocoles pour aider les universités à gérer efficacement les plaintes et les enquêtes. »

Erin Burrows, spécialiste en prévention pour Voices Against Violence à l’Université du Texas à Austin

Pour les victimes comme Aryle, qui n’a toujours pas obtenu justice, la bataille est loin d’être gagnée. « Les universités n’expulsent pas les agresseurs, qui bénéficient d’une sorte d’impunité, tandis que les femmes sont perçues comme des menteuses à qui on ne peut pas faire confiance. Les universités doivent être tenues responsables », dénonce-t-elle. Elle ajoute : « Je voulais que l’université ouvre une enquête sur le programme de recherche pour lequel je travaillais, ce qui n’a pas été fait. Le professeur qui m’a agressée travaille toujours pour l’université. Je suis donc obligée d’éviter certaines parties du campus pour ne pas le croiser. »

« Les institutions sont inquiètes pour leur réputation, mais nier le problème ne réglera rien. Les agressions sexuelles sont le problème de toutes les universités », conclut Dusty Johnstone.