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Hors de la parité, point de salut?

Ça y est : près de la moitié du monde du travail est maintenant constituée de femmes. Les commandes, demeurent entre des mains masculines.

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Ça y est : près de la moitié du monde du travail est maintenant constituée de femmes. Les commandes, par contre, demeurent entre des mains masculines. À preuve, en 2008, seulement 30 des 500 plus grandes sociétés canadiennes étaient dirigées par une PDG. Faudra-t-il imposer la parité pour que le deuxième sexe occupe un jour la moitié des hautes sphères de la gestion?

En Norvège, seules les entreprises comptant 40% de femmes à leur conseil d’administration ont le droit d’émettre des actions à la Bourse d’Oslo. « Je ne peux attendre 20 ou 30 ans pour que des hommes dotés de suffisamment d’intelligence sélectionnent finalement des femmes », expliquait la ministre de l’Équité avant l’adoption de cette mesure, en 2003. Les C. A. de ce pays étaient alors à 94% masculins. La proportion de femmes y frôle aujourd’hui les 45%.

Depuis, le modèle norvégien de féminisation de la gouvernance par des quotas obligatoires a été adopté par l’Espagne et, avec des variantes, par le Québec. En 2006, le gouvernement Charest haussait la barre à 50%tout en limitant la mesure à 24 sociétés d’État et organismes publics. Source de malaise, les quotas? Sans l’ombre d’un doute, ont constaté Sophie Brière et Natalie Rinfret, de l’École nationale d’administration publique (ENAP), lors d’entrevues avec des administratrices en poste depuis leur instauration. Plusieurs, par contre, étaient ravies. «Dieu merci! Sans cette loi, les C. A. auraient été 100% masculins jusqu’en 2020! » s’est exclamée l’une d’elles.

En janvier dernier, l’Assemblée nationale de France a voté une loi calquée sur les règles d’Oslo pour l’ensemble des entreprises. Ses détracteurs, dont plusieurs femmes, disaient préférer qu’on y arrive grâce à l’évolution des mentalités. « Je suis favorable aux quotas, puisque l’autorégulation a failli », a indiqué Jean-Pierre Jouyet, de l’Autorité des marchés financiers.

À l’origine de cette pratique controversée, on trouve non pas une féministe radicale,mais un élu du Parti conservateur norvégien, Ansgar Gabrielsen, ex-homme d’affaires exaspéré de voir la gouvernance des entreprises dominée par un « petit cercle d’hommes qui chassent et pêchent ensemble ». Pour faire avaler la pilule des quotas, il a affirmé que « la diversité, c’est bon pour le business ».

Bon pour le business… Cette idée gagne un nombre grandissant d’adeptes dans les milieux d’affaires. La diversité prônée, dans ce cas, dépasse l’accès des femmes aux instances des organisations. Elle suppose également l’apport de gens de cultures et d’expertises diversifiées.

Nous sommes ici bien loin du droit des femmes à une représentation dans la gestion qui soit proportionnelle à leur place dans les organisations… À des années-lumière aussi du vieux rêve de voir émerger, à la faveur d’une représentation féminine accrue en gestion, de nouvelles cultures organisationnelles plus collégiales et soucieuses d’autrui. « Le mouvement actuel en faveur de la parité n’est pas teinté par le discours féministe. Les entreprises s’y intéressent d’abord parce que les femmes leur apportent une diversité qui les rapproche de leurs clients », confirme Natalie Rinfret, titulaire de la Chaire La Capitale en leadership dans le secteur public de l’ENAP.

Diversité ou ascendant féminin?

En 2007, Claude Francoeur, Réal Labelle et Bernard Sinclair-Desgagnés, de HEC Montréal, dévoilaient les résultats d’une étude confirmant les bienfaits économiques de la diversité vantés par le Norvégien Gabrielsen. Les femmes y avaient été retenues comme indice de diversité pour des raisons
pratiques, sur la base de leurs prénoms. Elles formaient ainsi un groupe à l’évidence différent, ce qui n’est pas nécessairement le cas lorsqu’on se fie au nom de famille. On peut très bien s’appeler Maurice Senghor et être né au Saguenay!

Les chercheurs ont découvert qu’à niveaux de complexité et de risque comparables, les sociétés canadiennes inscrites en Bourse qui comptaient des femmes dans leur conseil d’administration et à la haute direction ont affiché, de 2002 à 2004, une performance financière de 6%supérieure à celles qui n’en avaient pas. « L’arrivée d’éléments nouveaux dans un groupe entraîne plus de discussions. Elle amène à prendre de meilleures décisions lorsque les enjeux sont complexes », analyse Claude Francoeur, professeur au Département de sciences comptables de HEC.

Par ailleurs, en examinant uniquement les résultats des conseils d’administration entre 2001 et 2003, le trio n’a trouvé aucune différence entre les C. A. 100% masculins et les mixtes.Ni mieux ni pire, donc. « La diversité a-t-elle permis d’éviter des catastrophes dans certaines entreprises? Peut-être, mais nous n’en avons pas la preuve », dit-il. Dans une étude plus récente, les professeurs Claude Francoeur et Réal Labelle, avec le doctorant Rim Makni Gargouri, ont comparé la culture éthique d’entreprises à gouvernance mixte et masculine. Ils ont cette fois mesuré la qualité des états financiers ainsi que la présence – ou l’absence – de malversations comptables. Encore là, les C. A. mixtes ont mieux fait. Beaucoup, même.

De nouveau, Claude Francoeur et son équipe associent ces résultats aux vertus de l’hétérogénéité, tout en se gardant de les attribuer à une propension plus grande des femmes à l’honnêteté. Leurs travaux, tiennent-ils à rappeler,portaient sur les répercussions de la diversité et non sur les qualités du deuxième sexe.

Force est toutefois de constater l’absence de prénoms féminins chez les arnaqueurs de tout acabit des dernières années.Que des Vincent, Earl, Bernard, etc. « Il y avait pourtant des femmes dans ces scandales. Elles ont même joué un rôle majeur : elles figuraient parmi ceux qui ont sonné l’alarme », note avec un clin d’oeil un Claude Francoeur sortant de sa réserve académique. «Dans ma carrière, j’ai vu des femmes se servir de leur sexe pour avancer,mais des fricoteuses de chiffres, jamais! » rapporte pour sa part Michèle Fortin, PDG de Télé-Québec.

Rien pour étonner Natalie Rinfret. « Les femmes cadres misent plus que les hommes sur le respect des normes et des procédures », a-t-elle découvert lors d’une enquête menée avec Monique Lortie-Lussier, professeure de psychologie à l’Université d’Ottawa, auprès de plus de 400 cadres des deux sexes des fonctions publiques fédérale et québécoise.

En compagnie de sa collègue de l’ENAP Sophie Brière, Mme Rinfret a aussi réalisé une série d’entrevues avec une quarantaine d’administratrices et quatre PDG de sociétés d’État et d’organismes publics québécois. Les chercheuses ont recueilli plusieurs témoignages identifiant la tendance des femmes « à poser des questions et à rechercher des détails concernant les
dossiers »
comme une contribution bénéfique à la gouvernance. L’une des personnes interrogées confiait entre autres que les femmes « ont un souci de rigueur dans la préparation des dossiers, alors que l’homme est plus big picture ».

S’appuyant sur son expérience terrain, Charles Belle Isle, associé au sein de la firme de recrutement de cadres supérieurs Belle Isle, Djandji, observe ces mêmes différences entre les dirigeants hommes et femmes. « Les C. A. et les équipes de direction ont tout avantage à rechercher la mixité. Sinon, ils vont manquer le bateau concernant les besoins des femmes », affirme-t-il.

Chasseur de têtes depuis 18 ans, M. Belle Isle estime par ailleurs que les organisations québécoises sont en route vers la parité dans leurs directions. « Elle arrivera beaucoup plus vite qu’on le croit, ne serait-ce qu’en raison de la démographie. Dans tous les secteurs, il y a maintenant des femmes bien formées, expérimentées et prêtes à gérer au plus haut niveau. » La majorité des candidates et des candidats que sa firme recommande pour des fonctions de PDG ou de vice-président ont 45 ans et plus. « À cet âge, les femmes ne sont plus coincées par les contraintes logistiques de la conciliation travail-famille. Elles considèrent aussi qu’elles maîtrisent suffisamment les contenus du boulot pour faire le saut », souligne-t-il.

Le sentiment que la gestion équitablement mixte est imminente se révèle également très fort chez les jeunes femmes, note Natalie Rinfret. « Elles ont maintenant l’impression qu’il n’y a plus de discrimination et qu’à compétences égales, elles auront leur juste place. Et comme elles sont plus nombreuses dans plusieurs facultés universitaires, celles qui en ont l’ambition ont la conviction qu’elles accéderont facilement, et dans la même proportion, à des postes de gestion. »

La progression récente de la proportion de femmes cadres au sein de la fonction publique québécoise peut, jusqu’à un certain point, leur donner raison. Entre 2003 et 2008, elle a fait un bond de huit points, pour grimper à 36,3%. Remarquable, mais encore loin de leur poids de 56%de l’effectif. La représentation proportionnelle sera-t-elle atteinte en 2014, lorsque les 40% de cadres qui auront pris leur retraite auront été remplacés? Peut-être, à condition qu’on prenne les grands moyens, et vite.

Plus ça change…

Et il faudra peut-être les prendre, ces grands moyens. C’est ce qui ressort de l’étude Pipeline’s Broken Promise dévoilée en février dernier par Catalyst, un organisme voué à la promotion de l’avancement des femmes dans le monde du travail. Ses auteurs ont suivi le parcours de plus de 4 000 diplômés des deux sexes de programmes de maîtrise en administration des affaires (MBA) de 26 écoles de gestion des États-Unis, du Canada, de l’Europe et de l’Asie. Seuls les diplômés sans enfant et ouvertement désireux de devenir PDG ont été sondés par Catalyst. Impossible, donc, d’attribuer les différences de cheminement au manque d’ambition des
femmes ou à leurs charges plus lourdes dans la famille.

Résultats? À leur premier emploi post-MBA, les hommes ont raflé des postes de cadres en pourcentage plus élevé. Chez les femmes, 60% ont d’abord travaillé sans gérer, contre 46%chez les hommes. De plus, le salaire moyen des femmes était de 4 600 $US inférieur à celui des hommes.Parmi
ceux qui,par la suite,ont bougé, 24%des hommes se sont retrouvés à la haute direction, contre 12% des femmes.

«Cessez de croire que les stéréotypes et les préjugés dans la dotation des postes ont disparu. Faites vos choix sur la base des compétences et non des présomptions », implore Catalyst en recommandant aux organisations de faire un examen approfondi de leurs pratiques de dotation. À la lecture de ce rapport, Thomas Clark, PDG de l’entreprise américaine Kimberly-Clark, a conclu qu’il fallait sérieusement envisager de réserver des postes de gestion à des femmes.

Étendre le modèle norvégien à tous les paliers des organisations? Si la perspective rebute, des voix avancent qu’il faudra peut-être s’y résigner. Car si les difficultés à concilier gestion et famille figurent clairement parmi les obstacles à la parité, elles sont loin d’arriver en tête. Les « petits cercles d’hommes qui chassent et pêchent ensemble » emportent en effet la palme des irritants, selon Julie Carignan, psychologue des organisations et associée responsable de la pratique professionnelle à la Société Pierre-Boucher, une firme spécialisée en ressources humaines, en psychologie industrielle et en développement organisationnel. « Les boys clubs existent encore et ils sont très puissants, particulièrement dans des secteurs comme la finance et l’ingénierie », souligne-t-elle.

Le phénomène des boys clubs sévit également dans la fonction publique, confirme Natalie Rinfret. « Les sous-ministres ont leur mot à dire dans le choix des cadres supérieurs… Or, malgré les concours, la tendance “naturelle” veut que l’on nomme ou recrute une personne que l’on connaît ou qui est connue des membres de son réseau », précise-t-elle.

La parité comme solution?

Dans la fonction publique, les programmes d’accès à l’égalité ont largement contribué à la hausse marquée du pourcentage de femmes cadres. La solution réside-telle dans les quotas obligatoires à tous les paliers? Ou dans les postes réservés aux femmes, y compris dans le secteur privé?

Julie Carignan croit que dans certains milieux, de telles mesures seront nécessaires pour que les femmes constituent une masse critique suffisante pour casser des cercles vicieux, pour provoquer et accélérer le changement. «Une à la fois, on n’y arrivera jamais. Et quand l’obstacle est le fait de phénomènes structurels, comme les boys clubs, ainsi que de préjugés, les lois sont la réponse », estime-t-elle.

Imposer la parité ou laisser le temps faire son oeuvre? Il y a là matière à débat dont il serait dangereux de faire…l’économie, à la veille de remplacements massifs de gestionnaires au seuil de la retraite. Dangereux aussi de faire l’économie du genre féminin dans un contexte où s’accumulent les preuves selon lesquelles les femmes – oups! la diversité –, c’est bon pour le business…