Aller directement au contenu

Pensions alimentaires – loin de la coupe aux lèvres

La moitié des enfants nés en 2010 seront admissibles à une pension alimentaire avant leur 16e anniversaire.

Date de publication :

La moitié des enfants nés en 2010 seront admissibles à une pension alimentaire avant leur 16e anniversaire. Plusieurs ne la recevront jamais. D’autres l’obtiendront au terme de pénibles démarches juridiques entreprises par leurs mères. Triste portrait.

En 1996, on a applaudi à la réforme du régime de pensions alimentaires pour enfants. Malgré ses succès, elle a laissé des problèmes qui font tache d’huile. « Pourtant, on agit comme si toutes les questions étaient réglées », déplore Marie-Claude Jean, jeune chercheuse en santé communautaire qui signait dernièrement un mémoire dénonçant ce désintéressement. Car même si le Québec possède un des meilleurs systèmes de perception au monde, on ignore combien de parents ne se prévalent pas de la pension et
pourquoi.

Au début de sa maîtrise en analyse des politiques à l’Université Laval, Marie-Claude Jean remarque l’absence de données sur le vécu des familles avec – et surtout sans – les pensions alimentaires, hormis quelques études américaines. Elle part donc sur la route pour sonder la nébuleuse question. Elle rencontre des gens des ministères de la Justice, du Revenu et de la Solidarité sociale, interroge le Conseil du statut de la femme, l’aide juridique, le Protecteur du citoyen, les groupes communautaires… Souvent,
on lui répète que « si une femme ne demande pas de pension alimentaire, c’est parce qu’elle le veut bien». À l’exact contraire de ces préjugés, les résultats de la chercheuse mettent en lumière les nombreux obstacles qui se dressent entre les familles monoparentales et la pension alimentaire pour enfants à laquelle elles ont droit.

Combien de mères renoncent à demander une pension? Impossible de recueillir leurs témoignages. Absentes des statistiques, peu enclines à utiliser les services des groupes communautaires, elles sont pratiquement invisibles. « Et on dirait que ça n’alarme personne, s’inquiète la chercheuse. Pourtant, pas de pension, c’est l’appauvrissement! Tu n’as pas les mêmes moyens pour le logement, l’éducation. Il y a des répercussions sur tous les plans! » Sur cinq enfants élevés au sein d’une famille monoparentale, trois
vivent sous le seuil de faible revenu.

Pour comprendre, Marie-Claude Jean a entre autres cogné à la porte du Service d’entraide Passerelle, à Montréal, qui soutient les femmes en instance de séparation ou de divorce. « Si vous saviez combien ne demandent pas de pension! » s’exclame la directrice, Laurence Lagouarde. Plusieurs mères tablent sur une entente non écrite par peur des démarches ou pour préserver une bonne relation avec un ex qui, croient-elles, se sentirait attaqué par un recours. Un arrangement tacite qui, souvent, éclate.

Garde en danger?

Pour plusieurs mères, la peur de perdre la garde exclusive agit comme un puissant repoussoir au moment de demander une pension alimentaire. « Si je lui demande une pension, il va vouloir la garde partagée. » Cette crainte surgit fréquemment, constate Laurence Lagouarde. Fondée? En partie, confirment trois avocates en droit de la famille,même si pension alimentaire et garde demeurent deux dossiers distincts. « Il n’y aura pas de garde partagée du jour au lendemain. Si le père a lui aussi envie de
vivre avec l’enfant, le juge utilisera une grille pour évaluer la qualité des rencontres, qui se multiplieront si elles sont positives pour l’enfant »
, explique Me Marie-Christine Kirouack.

« Coopérer pour la pension est toujours bien vu au moment de déterminer la garde partagée », concède Me Louise Désautels, une avocate qui
travaille entre autres bénévolement au Centre des femmes de Montréal. « Les jugements sont parfois assez surprenants, note de son côté l’avocate Claudia Prémont. Des pères qui obtiennent la garde partagée après des années sans s’impliquer, ça se voit. C’est l’intérêt de l’enfant qui est en jeu, pas celui du parent. »

« Voilà pourquoi il faudrait réhabiliter le rôle du père! » s’exclame Marie- Claude Jean, qui juge impératif d’éduquer les parents à l’importance de l’engagement du père pour le bon développement de l’enfant. De toute façon, les pères n’auraient-ils pas eux aussi tout avantage à prendre pleinement leurs responsabilités parentales, plutôt que de se limiter à être de simples pourvoyeurs? Outre cette crainte de perdre la garde, la violence conjugale, la pauvreté du père et la lourdeur du système pourraient
expliquer le refus de certaines mères monoparentales de demander une pension, selon les résultats de l’étude de Mme Jean.

Le supplice de la cour

C’est un fait : plus les revenus sont faibles, moins il y a d’ententes de pensions alimentaires. La moitié des familles dont le revenu annuel est de moins de 20 000 $ n’en bénéficie pas. La proportion chute à 20%chez celles qui gagnent plus de 60 000 $ par an. La perspective de se retrouver dans une guerre juridique dissuade plusieurs mères. Car si la médiation suffit à régler la plupart des ententes, lorsqu’elle échoue, la cour reste la seule option. En moyenne, un jugement coûte 2 100 $. Souvent plus. « Le calcul
est simple : un avocat, pour une famille au bas de la classe moyenne, ça ne laisse pas beaucoup de jeu dans le budget, juge Marie- Claude Jean. Ça va prendre trois ans avant de récupérer cet argent-là pour que les enfants puissent en profiter. »
Ainsi, dans les centres d’aide, les cliniques juridiques ne dérougissent pas.

En outre, d’un point de vue psychologique, l’aventure judiciaire devient souvent catastrophique.Ce qui fait dire à plusieurs que la pire entente en médiation surpasse le meilleur jugement. Même si les parents s’en défendent, l’argent est fréquemment au coeur des conflits, remarque la psychologue Marie-Josée Mercier. Celle qui évalue de nombreuses familles à titre d’experte lors de séparations épineuses ne croit pas qu’« il y aurait un conflit aussi grand si l’un des deux ne devait pas sortir de l’argent
de ses poches. Souvent, chacun essaie d’avoir le plus de jours de garde possible pour ne pas payer »
. Quand les conflits s’étirent, le parent le plus équilibré lâche habituellement prise pour éviter les contrecoups psychologiques sur les enfants. Dans les cas très conflictuels où la cour demande l’avis d’un expert, les enfants en souffrent, souligne-t-elle.

Bref, la situation est loin d’être rose, conclut Laurence Lagouarde. « Tant que les rôles familiaux ne seront pas décloisonnés, on va voir des mères dans leur rôle de mères et des pères désengagés qui prétendent se faire laver. Mais qui lave qui, selon vous? »

Nouveau calcul

1996 : le régime de pensions alimentaires pour enfants est profondément modifié. Une grille détermine dorénavant combien coûte l’éducation des enfants. Avant cette réforme, les parents qui demandaient une pension devaient fournir des preuves de ces frais. Le nouveau calcul tient compte du revenu des deux parents, du nombre d’enfants, du temps de garde et de certains frais additionnels relatifs aux besoins des enfants, s’il y a lieu. De plus, les pensions alimentaires sont maintenant prélevées à même le salaire du payeur, ce qui évite les retards et les contacts, souvent pénibles, entre anciens conjoints.

Rien pour sortir de la pauvreté

« Celles qui vivent de l’aide sociale, elles ne le trouvent pas drôle, le régime », relate Laurence Lagouarde, qui dirige le Service d’entraide Passerelle. À
l’exception de la première tranche de 100 $, une pension alimentaire ampute d’autant le chèque d’aide sociale des familles monoparentales. Idem pour les mères étudiantes, qui voient leur aide financière aux études considérablement diminuée.

« Le système est contradictoire, juge la chercheuse Marie-Claude Jean. Il lance le message que l’argent est pour la mère, alors que c’est une pension alimentaire pour enfants, dit-elle en pesant sur ces derniers mots. Et le père a l’impression de faire un chèque… au gouvernement. »

La Coalition pour l’arrêt du détournement des pensions alimentaires pour enfants lutte depuis plusieurs années en faveur d’une réforme de ce système qui « détourne des dizaines de millions de dollars […] vers les coffres de l’État ». Actuellement, un recours se poursuit devant le Tribunal administratif du Québec au nom de quatre mères assistées sociales qui dénoncent le fait que les pensions alimentaires pour enfants soient récupérées par l’État dans certains programmes gouvernementaux. En mars dernier, l’opposition officielle est revenue sur cette question à l’Assemblée nationale, exigeant du ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Sam Hamad, qu’il retire les pensions alimentaires pour enfants du calcul de plusieurs programmes gouvernementaux.

Par ailleurs, le 8 janvier dernier, la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ), appuyée par la Coalition, a déposé une demande d’autorisation pour un recours collectif contre le ministère de l’Éducation du Québec. Ce recours s’appuie sur un jugement de la Cour d’appel rendu en octobre 2009 qui a donné gain de cause à une étudiante monoparentale. Verdict : la pension alimentaire ne devrait pas être considérée comme un revenu par l’aide financière aux
études. La demande d’autorisation du recours collectif est présentement en traitement. Il faudra attendre plusieurs mois pour savoir si elle est autorisée, et de nombreux mois additionnels pour que la cause soit plaidée. Dans le cas d’une victoire, on croit que quelque neuf millions de dollars pourraient être récupérés par les personnes admissibles.

De son côté, le Conseil du statut de la femme a donné son avis au gouvernement à maintes reprises à ce sujet, soutenant chaque fois qu’il était discriminatoire envers les enfants que la pension alimentaire qui leur est destinée soit considérée comme un revenu du parent gardien.

Immigrantes isolées

Peur d’être déportées si le père de leurs enfants cesse de les parrainer, crainte de représailles, manque de connaissances sur le système québécois : les immigrantes sont probablement nombreuses à ne pas demander de pension alimentaire, croit la chercheuse Marie-Claude Jean.

« Souvent, elles ne peuvent pas divorcer, car elles n’ont pas de résidence fixe ici depuis au moins un an », explique Me Louise Désautels, avocate au Centre des femmes de Montréal, où la moitié des « clientes » sont  immigrantes. « Elles ne sont pas moins bien informées, et sont souvent très
instruites. »
Situation inverse au Service d’entraide Passerelle, où « les immigrantes viennent rarement », selon la directrice, Laurence Lagouarde, qui croit qu’elles sont « encore plus isolées ».

Même si celles qui utilisent les ressources communautaires sont manifestement très débrouillardes, Marie-Claude Jean estime qu’il faudrait offrir une aide juridique adaptée aux immigrantes en incluant, par exemple, de l’information sur la séparation et le divorce dans les cours de francisation.


Pour en savoir plus visité le site web du Ministère
de la justice
.