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La valse-hésitation des sciences au féminin

Le plus grand obstacle à la parité femmes-hommes en science? Les stéréotypes sexuels.

Date de publication :

Deux pas en avant, un pas en arrière : voilà le rythme de la marche des femmes en sciences au Québec. Elles sont plus nombreuses sur les bancs d’école qu’il y a 20 ans. Elles constituent même la majorité des étudiants en médecine. Pourtant, la part des diplômées en sciences pures et appliquées a baissé entre 2000 et 2007. Analyse.

Photographie de Liette Levasseur.
Liette Lavasseur est présidente sortante de l’Association de la francophonie à propos des femmes en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques. Elle estime qu’il faudra encore des générations avant que la question de la parité en science soit réglée.

« Dans l’histoire, l’avancée des femmes en sciences s’est toujours faite de façon cyclique. Les statistiques canadiennes révèlent un recul dans les 10 dernières années. La situation s’est stabilisée l’an passé », explique la pionnière en génie biomédical Monique Frize, professeure émérite aux universités d’Ottawa et de Carleton qui a été titulaire de la première chaire pour les femmes en génie du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), de 1989 à 2002. Quant à Liette Vasseur, présidente sortante de l’Association de la francophonie à propos des femmes en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques, elle croit qu’il faudra encore des générations avant que la question soit réglée.

De fait, des châteaux forts masculins, comme le génie électrique et mécanique, accueillent encore moins de 15 % de filles parmi leurs diplômés. Les baisses les plus marquées au cours de la période 2000-2007 ont eu lieu en mathématiques et en génie agricole, rural et forestier. Ces domaines avaient presque atteint la parité hommes-femmes chez les diplômés au tournant du millénaire.

Nadia Ghazzali, rectrice de l’Université du Québec à Trois-Rivières et titulaire pour le Québec de la Chaire de recherche du CRSNG pour les femmes en sciences et en génie, se décrit comme une optimiste et met l’accent sur les avancées réalisées. Diane Riopel fait de même. « Il y a 23 % d’étudiantes à Polytechnique Montréal présentement, et environ 13 % de femmes à l’Ordre des ingénieurs du Québec. En 1989, nous étions à peine 3,9 % », rappelle la professeure en génie industriel à Polytechnique et titulaire de la Chaire Marianne-Mareschal pour la promotion du génie auprès des femmes.

Photographie de Nadia Ghazzali.
« Plus le poste est prestigieux, moins il y a de chances qu’une femme l’obtienne. La proportion de femmes chez les professeurs titulaires, soit le plus haut rang, reste très faible »
 — Nadia Ghazzali, rectrice de l’UQTR et titulaire pour le Québec de la Chaire de recherche du CRSNG pour les femmes en sciences et en génie

Des portes à défoncer

« Un conseil pour les femmes en sciences : ayez confiance en vous! J’ai vécu longtemps avec le syndrome de l’imposteur. Même au doctorat, je me demandais tous les jours comment j’allais y arriver. Et lorsque j’ai eu du succès, je pensais que c’était par hasard ou par chance, se rappelle l’astrophysicienne Victoria Kaspi. Après mes études, le doute m’a suivie. Quand j’ai gagné une prestigieuse bourse postdoctorale, un collègue de travail m’a lancé : “C’est parce que tu es une femme!” Il ne lui était pas venu à l’idée que je puisse avoir été meilleure que lui. Et je me suis dit qu’il avait peut-être raison. Aujourd’hui, je sais bien qu’il se trompait! »

Des chercheuses de la trempe de Victoria Kaspi, il y en a une par génération. Professeure et titulaire de la Chaire Lorne-Trottier en astrophysique et cosmologie de l’Université McGill, elle étudie les étoiles à neutrons. En 2009, elle a reçu le prix Marie-Victorin, un des six Prix du Québec de la catégorie scientifique. C’est la plus haute distinction donnée aux chercheurs québécois, celle qui récompense une carrière. Un événement rare pour une femme : elles sont seulement six à faire partie du cercle restreint des quelque 125 lauréats. Et des six, quatre sont issues du domaine de la psychologie.

Photographie de Victoria Kaspi.
« Un conseil pour les femmes en sciences : ayez confiance en vous! J’ai vécu longtemps avec le syndrome de l’imposteur. »
 — Victoria Kaspi, professeure et titulaire de la Chaire Lorne-Trottier en astrophysique et cosmologie de l’Université McGill

« Les Prix du Québec… vous touchez une corde sensible, soupire Nadia Ghazzali. L’année où j’ai présidé le comité de sélection pour le prix Lionel-Boulet [NDLR : un autre des six prix scientifiques, destiné aux chercheurs qui se distinguent par leurs innovations scientifiques et technologiques], les institutions n’ont pas soumis de candidature féminine. Pas une! Pourtant, il y en a, des femmes marquantes dans cette catégorie. »

La réalité des chercheuses est à l’opposé de ce que pensait à l’époque le collègue jaloux de Victoria Kaspi. « Les résultats obtenus par notre modèle économétrique révèlent que le fait d’être une femme réduit les chances d’obtenir du financement et de publier », concluait en 2011 une étude statistique sur la progression des femmes en sciences, réalisée pour le ministère de l’Éducation du Québec. En 2007, les femmes représentaient 15,4 % des chercheurs-professeurs en sciences pures et appliquées, mais elles n’avaient droit qu’à 10,5 % du financement offert.

« Plus le poste est prestigieux, moins il y a de chances qu’une femme l’obtienne. La proportion de femmes chez les professeurs titulaires, soit le plus haut rang, reste très faible », relate Nadia Ghazzali, en citant une étude récente du Conseil des académies canadiennes. C’est aussi vrai dans les disciplines comptant beaucoup d’étudiantes et donc investies par les femmes, comme les sciences de la vie. Ces domaines comptent un bassin important de professeures titulaires potentielles. « Pour renverser la situation, il faudra mettre en place des objectifs quantifiables. Demander des quotas féminins lorsqu’on attribue une chaire de recherche, par exemple. Ce n’est pas une solution populaire, car elle est vue comme radicale, mais on n’a pas le choix. »

Photographie de Diane Riopel.
« Lorsqu’on leur parle de ponts et de routes, peu de filles trouvent ça intéressant. Mais lorsqu’on leur parle de pompes cardiaques, c’est une autre histoire! »
 — Diane Riopel, professeure en génie industriel à Polytechnique et titulaire de la Chaire Marianne-Mareschal

Autre frein : après ou pendant leurs études supérieures, les jeunes scientifiques qui le souhaitent mettront des enfants au monde. « Elles travaillent moins durant ces années névralgiques. L’écart qui se creuse alors entre elles et leurs collègues masculins restera pour un bout de temps », explique Liette Vasseur. Même les superstars comme Victoria Kaspi, mère de trois enfants, font leurs choix de carrière en conséquence. « J’ai un mari qui s’implique beaucoup, et ma famille est très présente. Ça fait toute la différence pour la conciliation travail-famille. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai quitté le MIT (Institut de technologie du Massachusetts) pour revenir à Montréal, où vit ma famille, lorsque McGill a montré son intérêt pour l’astrophysique et m’a donné les ressources pour réussir ici », dit-elle.

Nadia Ghazzali croit d’ailleurs qu’il serait pertinent de mettre en place une vraie politique de conciliation travail-famille dans les entreprises privées qui engagent des scientifiques.

Comment intéresser les filles?

Il semblerait que les filles embarquent dans le train des sciences lorsqu’elles se rendent compte qu’elles peuvent aider la société. « Lorsqu’on leur parle de ponts et de routes, peu de filles trouvent ça intéressant. Mais lorsqu’on leur parle de pompes cardiaques, c’est une autre histoire! » illustre Diane Riopel.

Le secret pour faire bourgeonner leur intérêt : agir dès le début de l’école primaire. Les études montrent que les sciences ont mauvaise presse au secondaire, surtout auprès des filles. « Plus on intéresse les jeunes aux sciences tôt, plus on a de chances qu’ils ou elles conservent une meilleure vision des sciences plus tard », explique Ghislain Samson, professeur en éducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Les enseignants du primaire ne se sentent pas outillés pour bien rendre cette matière, car leur formation est insuffisante, affirme-t-il. « Dans nos écoles primaires, nous avons des spécialistes qui enseignent uniquement l’anglais, la musique ou les arts plastiques. Pourquoi n’avons-nous pas de spécialistes en sciences? » Les parents aussi ont un rôle à jouer. Au-delà des actions que peuvent mener les milieux scolaire et scientifique, une visite au musée fait parfois toute la différence, croit-il.

Plus tard, le mentorat aidera à retenir les jeunes candidates dans les métiers où les femmes se font rares. « Les milieux de travail sont rarement sexistes, mais encore aujourd’hui, les femmes en génie font des “premières”. Elles seront les premières femmes à réaliser ceci, ou à travailler à cet endroit. Et elles seront souvent les seules femmes dans leur équipe de travail. Elles doivent être préparées à cela », affirme Diane Riopel. Une professeure, une collègue de travail : les modèles efficaces sont ceux qui sont accessibles aux filles. Elles n’ont pas toutes envie d’être des Julie Payette, explique l’ingénieure.

Les garçons sont meilleurs en maths, les filles n’aiment pas l’informatique : ces mythes ne passent pas le test de la réalité. Avec une belle unanimité, les personnes interviewées plaident pour une vraie lutte contre les stéréotypes sexuels qui gangrènent l’éducation de nos jeunes. « Malgré toutes les actions mises en place — les concours du type Chapeau les filles!, les bourses, le mentorat, les activités de vulgarisation à l’école primaire et secondaire —, c’est difficile de changer les choses. Pourquoi? Parce que la culture populaire doit changer d’abord », conclut Nadia Ghazzali.