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Mary Two-Axe Earley : celle qui voit loin

Portrait d’une architecte du mouvement des femmes autochtones!

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Bandeau :Illustration : © Isabelle Gagné

Les pionnières. Déjà tant de noms me viennent à l’esprit. Des battantes, des femmes libres, des défricheuses d’un chemin envahi depuis trop longtemps par les herbes hautes. Celles qui n’ont plus voulu accepter ce qui devait être. Celles qui voyaient plus loin. Celles qui portaient sans doute la mémoire de leurs grands-mères et de toutes celles venues avant elles.

Je les appellerai, en langue kanien’kéha, sakonhentese, les leaders.

Depuis plusieurs siècles, les premiers peuples subissent les conséquences du colonialisme dans différentes facettes de leur vie. S’il y a un élément que ce colonialisme est venu bouleverser, c’est bien la vision de ce que devait être une femme. Ainsi, la femme autochtone, telle qu’elle existait depuis des temps immémoriaux, dans cet état égalitaire et de liberté, a été modulée, changée, voire interdite par des lois et des concepts portés par une société ignorante des codes en place.

Nous n’avons qu’à penser à son pouvoir politique, un pouvoir émacié par l’instauration d’un système de gouvernance étranger où elle n’a pas sa place. Rappelons qu’au Québec, les conseils de bande ont été exclusivement masculins jusqu’en .

À travers l’histoire récente, certaines se sont cependant levées pour briser les chaînes du colonialisme et s’affirmer telles qu’elles sont. Leurs luttes ont changé des lois, élargi des visions et permis à plusieurs de retrouver leur juste place comme être humain, comme femme.

Architecte d’un mouvement

Mary Two-Axe Earley est certainement une figure marquante dans l’histoire de la discrimination des femmes autochtones du Canada. Elle va en effet contester l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les Indiens, qui privait jusqu’à récemment les femmes « indiennes » inscrites de leurs droits fonciers, de leur statut et d’autres droits reliés lorsqu’elles épousaient un non-Autochtone. Ainsi déterminé par la lignée masculine, le statut d’« Indien », modelé selon des dispositions agissant comme des agents d’assimilation, marginalisera, en définitive, les femmes autochtones partout au Canada.

Mary Two-Axe Earley est née sur le territoire mohawk de Kahnawake en 1911. Enfant, elle reste auprès de sa mère, guérisseuse et infirmière oneida.

À l’âge de 18 ans, elle quitte sa communauté pour chercher du travail aux États-Unis. Elle s’installe avec d’autres familles mohawks à Brooklyn, dans un « petit Caughnawaga » qui se développe autour des industries du fer et de l’acier, en plein essor dans les années 20. Là, elle rencontrera Edward Earley, un ingénieur d’origine irlandaise, qu’elle épousera et avec qui elle aura deux enfants. Ce faisant, elle perdra son statut d’« Indienne », qu’elle ne pourra ainsi transmettre à sa progéniture.

En 1966, un événement particulier vient tracer le chemin qui sera celui de Mary pour les décennies à venir. Un soir, son amie mohawk succombe à une crise cardiaque dans ses bras. Mary a la conviction que c’est le stress qui a contribué à la mort de sa consœur. En effet, cette dernière menait une bataille constante pour la reconnaissance de ses droits de propriété dans sa communauté de Kahnawake, droits retirés en vertu de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les Indiens.

La femme autochtone, telle qu’elle existait depuis des temps immémoriaux, dans cet état égalitaire et de liberté, a été modulée, changée, voire interdite par des lois et des concepts portés par une société ignorante des codes en place.

Mary Two-Axe Earley organise alors une série de campagnes pour faire connaître les injustices et les abus que subissent les femmes autochtones ayant perdu leur statut et leurs droits à cause d’une loi discriminatoire.

En 1967, elle se joint au mouvement Indian Rights for Indian Women  (IRIW), un groupe de défense ayant pour but de résister au « colonialisme sexuel ». Cette même année, les audiences de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada ont lieu et le mouvement IRIW s’y fait entendre, sensibilisant ainsi les Canadien·ne·s aux inégalités auxquelles sont confrontées les femmes autochtones au pays.

Dans son rapport, la Commission recommande « que la Loi sur les Indiens soit modifiée de façon à ce qu’une femme indienne qui épouse un homme qui n’est pas indien puisse (a) garder son statut d’Indienne et (b) conférer le statut d’Indien à ses enfants ». Malgré cela, aucune modification ne sera adoptée par le gouvernement canadien.

Double lutte

Ironie du sort, Mary deviendra veuve 18 mois plus tard. Elle-même ne pourra plus revenir dans la communauté qui l’a vue naître. Pire, les obstacles auxquels elle fait face ne proviennent pas seulement d’un gouvernement externe, mais aussi des actions de son propre conseil de bande et des associations politiques autochtones représentatives. En effet, plusieurs chefs se montreront peu enclins à changer les choses pour les femmes autochtones.

À preuve l’appel reçu par Mary Two-Axe Earley en 1975, alors qu’elle participe avec 60 femmes de Kahnawake à la conférence de l’Année internationale de la femme à Mexico. Cet appel l’informe que son conseil de bande a envoyé un préavis d’expulsion de leur propre communauté aux femmes qui l’accompagnent, et ce, en leur absence. Battante et visionnaire, Mary profitera de l’élan et de l’écho médiatique de la conférence pour lever le voile sur la discrimination raciale et de genre que subissent les femmes autochtones du Canada.

Le conseil de bande de Kahnawake, noyé dans le tourbillon de réactions qui en découlera, n’aura d’autre choix que de retirer les ordres d’expulsion.

En 1985, Mary Two-Axe Earley et celles qui se sont battues avec elle – Jeannette Corbiere Lavell, Sandra Lovelace Nicholas, Yvonne Bédard, etc. – obtiennent enfin gain de cause. Elles pourront retrouver leur statut d’« Indienne », le projet de loi C-31 venant modifier la Loi sur les Indiens.

Leur ténacité bénéficiera sur le coup à 16 000 femmes et à 46 000 de leurs descendant·e·s de première génération ainsi qu’à toutes les femmes autochtones qui suivront et qui pourront conserver leur statut et leurs droits associés même si elles se marient avec un allochtone.

Militante des droits de la personne et défenseure des droits des enfants et des femmes autochtones, Mary Two-Axe Earley marquera l’histoire comme pionnière et architecte du mouvement des femmes autochtones du Canada. Son activisme et son implication vont contribuer à la formation d’une coalition d’alliées autochtones, voire allochtones qui n’auront pas peur de remettre en question les lois canadiennes discriminatoires, inspirant les Sharon McIvor, Cindy Blackstock, Evelyn O’Bomsawin, Michèle Audette et tant d’autres femmes autochtones de ce kanata.

Isabelle Picard est ethnomuséologue wendat. Elle tente, par ses actions professionnelles et personnelles, de mieux faire connaître les réalités des premiers peuples du Québec. Consultante depuis plus d’une décennie auprès d’organisations autochtones et allochtones, elle travaille constamment à bâtir des ponts avec les gens qu’elle rencontre, soulignant au passage les enjeux communs à toutes et à tous. En ce sens, ses écrits autant que son discours se dessinent autour de ses expériences et d’histoires qu’elle connaît bien. Isabelle Picard est aussi chargée de cours à l’Université du Québec à Montréal, conférencière et chroniqueuse à La Presse et à Radio-Canada.