Aller directement au contenu

Sonia Sotomayor, la juge antidiscrimination

Un portrait de Sonia Sotomayor, une juge éprise de justice

Date de publication :

Auteur路e :

En 2009, l’honorable Sonia Sotomayor est devenue la première femme d’origine hispanique à siéger à la Cour suprême des États-Unis. Alors que le président Donald Trump redouble d’ardeur pour traquer les immigrants sans statut en sol américain et cumule les déclarations qui stigmatisent les populations latinos, la présence au plus haut tribunal du pays de cette fille de ressortissants portoricains revêt une signification particulière. Regard sur un parcours qui a déjoué toutes les statistiques.

Sonia Sotomayor naît en 1954 dans le Bronx, de parents portoricains. Son père meurt d’alcoolisme lorsqu’elle n’a que 9 ans. Sa mère, infirmière, trime dur pour élever ses enfants seule. Dans ses mémoires publiés en 2014, Sotomayor confie avoir souffert de ses absences. Elle décrit une enfance marquée par la solitude et la précarité.

Élève assidue, elle entre en 1973 à l’Université de Princeton grâce à un programme d’accès à l’enseignement supérieur pour les minorités. Toutefois, son anglais n’est pas parfait. Elle doit mettre les bouchées doubles pour se corriger. Dans ses cours, elle est une étudiante timide et discrète. Il n’est pas commun, alors, qu’une fille du Bronx atterrisse dans une université de l’Ivy League (grande sélectivité des admissions), qui plus est cinq ans seulement après le début de l’admission des femmes. Néanmoins, Sotomayor travaille fort et décroche son diplôme avec honneurs, ce qui lui ouvre les portes de la prestigieuse faculté de droit de Yale.

Inspirée par son parcours personnel, elle défend encore aujourd’hui l’importance des programmes d’accès à l’éducation pour les minorités et les communautés pauvres.

Éprise de justice sociale

Au début de sa carrière juridique, elle est très impliquée dans la collectivité portoricaine; elle siège dans les conseils d’administration d’organismes qui promeuvent l’accès à l’éducation pour les Portoricains. Dès l’amorce de son parcours professionnel, son intérêt pour la défense du bien commun et de la justice sociale est très clair.

Elle travaille comme procureure, puis brièvement en pratique privée, avant d’être nommée juge de district dans l’État de New York en 1992, par George Bush père. Elle sera ensuite nommée à la Cour fédérale d’appel, puis à la Cour suprême, en 2009. Elle devient alors la première femme d’origine hispanique – et la troisième femme de l’histoire américaine – à occuper ce poste. Au moment de sa nomination, la seule autre femme sur le banc du plus haut tribunal du pays est la juge Ruth Bader Ginsburg.

Simple et directe

Au début du mois d’octobre 2017, la Cour suprême tient les audiences dans l’affaire Gill c. Whitford, un litige portant sur les limites du découpage partisan de la carte électorale dans l’État du Wisconsin. Les médias suivent l’affaire de près : la décision rendue par la Cour suprême pourrait chambouler le paysage électoral américain. Durant les plaidoiries, les procureurs représentant l’État du Wisconsin répondent aux questions des juges, tentant de faire valoir que le découpage partisan ne viole pas la Constitution. À l’évidence, le banc est sceptique, et c’est la juge Sonia Sotomayor, avec une question désarmante de simplicité, qui fait s’écrouler comme un château de cartes l’argumentaire des plaideurs : « Pourriez-vous m’expliquer en quoi le découpage stratégique enrichit la démocratie? En quoi cela aide-t-il notre système de gouvernement? » Les avocats se dépêtrent alors tant bien que mal, mais les failles de leur argumentaire se révèlent béantes.

Cette approche franche, témoignant d’une farouche volonté de soulever directement les questions au cœur des pourvois, est la marque distinctive de la juge Sotomayor. Sa jurisprudence est mesurée et pragmatique. Ses décisions ne perdent jamais de vue les enjeux sous-jacents des litiges, ainsi que leur portée sociale. Elle appartient à l’aile libérale de la Cour, mais jamais elle ne se lance dans de grandes digressions teintées d’opinion. Sa plume est sobre et minutieuse; rares sont ses décisions, et même ses dissidences, qui prêtent le flanc à la controverse.

Femme et latina : une entrave à son travail?

Ironiquement, ses détracteurs conservateurs mettent en doute, depuis le début de sa carrière dans la magistrature, sa capacité à rendre des décisions impartiales. Au moment de sa nomination à la Cour suprême, on répétait que la juge risquait d’être « aveuglée » par son expérience comme minorité et comme femme. Une affirmation qui n’est pas dénuée de racisme et d’infantilisation. Pourquoi une juge latina ayant connu la pauvreté serait-elle moins à même de transcender son identité qu’un homme blanc issu d’un milieu privilégié, comme le sont la majorité des juges américains?

Il est vrai que Sonia Sotomayor établit un lien clair entre son sexe, son origine ethnique et la façon dont elle rend des décisions. Elle n’est d’ailleurs pas la seule juge « pionnière » à avoir cette conscience de l’impact de l’identité des juges sur les décisions rendues. La juge Bertha Wilson, première femme à siéger à la Cour suprême du Canada, le relevait déjà en 1990 dans un discours devenu célèbre, intitulé « Les femmes juges feront-elles une différence? ». Elle y expliquait notamment que le juge, quoi qu’on dise, n’échappe jamais à sa posture subjective. Or cela ne doit pas être vu comme une entrave à la faculté de juger correctement. Il faut simplement l’admettre, puis reconnaître qu’il est fondamental de promouvoir la diversité au sein de la magistrature.

Pour Sonia Sotomayor, l’expérience des femmes et des personnes issues des minorités façonne le regard que ces individus posent sur le monde et les événements. En 2001, elle affirmait au sujet de son travail de juge : « Je pense qu’on peut dire qu’une femme latina intelligente, forte de toute la richesse de son expérience, a plus de chances de rendre une bonne décision qu’un homme blanc n’ayant pas fait les mêmes expériences. »

La discrimination comme cheval de bataille

Sa sensibilité aux discriminations que vivent les personnes vulnérables et issues des minorités est visible dans sa contribution à la jurisprudence. En 2014, elle est dissidente dans une affaire portant sur l’abolition des politiques d’admission « sensibles à l’origine ethnique » à l’université. Elle insiste pour lire sa décision sur le banc – une procédure dont les juges usent avec parcimonie pour éviter que le tribunal paraisse trop divisé. Elle y dénonce les politiques « aveugles à l’origine ethnique », écrivant que « [l]a question raciale est importante […] parce que les minorités traînent avec elles une longue histoire d’oppression. La seule méthode pour combattre la discrimination fondée sur l’origine ethnique est de parler franchement de ces discriminations, et d’appliquer la Constitution avec les yeux grands ouverts sur les effets néfastes de plusieurs siècles de discrimination raciale*».

En 2016, elle réitère son engagement à lutter contre les discriminations en rendant une dissidence magistrale dans l’affaire Utah c. Strieff, portant sur le profilage policier. Elle cite les écrivains James Baldwin et Ta-Nehisi Coates, ainsi que l’historien W. E. B. Du Bois, et affirme que les États-Unis sont en passe de devenir un « État carcéral », et que ce sont les personnes issues des minorités qui en font les frais. Selon elle, la démocratie américaine serait viciée par les soupçons qui planent sur les citoyens racisés, par le profilage ainsi que par la criminalisation de portions ciblées de la population.

C’était pourtant avant Trump et les dérives qu’on connaît. Aujourd’hui, ces mots résonnent d’autant plus fort. Heureusement, comme le disait chez nous l’honorable Claire L’Heureux-Dubé, les dissidences sont souvent la voix de l’avenir…

* Schuette v. Coalition to Defend Affirmative Action 512 U.S. (2014)