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Le célibat, ce problème qui n’en est pas un (ou vive le célibat!)

Oui, célibataire; et alors?

Date de publication :

Il y a peu de temps, je suis tombée sur une conférence TED de la psychologue et chercheuse en psychologie sociale Bella DePaulo. La vidéo 1, intitulée What No One Ever Told You About People Who Are Single (« Ce que l’on ne vous a jamais dit à propos des gens célibataires »), m’a fait un bien fou. Pour une rare fois dans ma vie, j’entendais affirmer qu’il n’y a rien de mal (ni d’anormal!) à être célibataire.

La psychologue dit qu’en somme, tout ce qu’on raconte sur les gens célibataires est complètement faux. On nous fait miroiter que les gens mariés ont quelqu’un, « the one! », tandis que les gens célibataires n’ont personne. J’ajouterais qu’il suffit de penser aux histoires pour enfants qu’on a lues et relues. Les beaux personnages gentils finissent toujours par trouver l’élu.e, tandis que les laid.e.s, méchant.e.s, bêtes et bizarres finissent seul.e.s. La réussite et l’accomplissement personnel passent par le couple. On est seul.e? On a un problème. Pourtant, notre époque est celle où de plus en plus de gens font le choix délibéré de rester célibataires 2

Il est vrai que notre société ne valorise pas les célibataires. J’ai beau me creuser la tête, je ne trouve ni institution, ni événement, ni contexte qui célèbre le célibat. Les célibataires constituent au contraire une clientèle cible parfaite… à qui vendre l’idée du couple à tout prix (!). Dans certains milieux de travail, les femmes célibataires ne désirant pas d’enfants peuvent être bien vues, mais parce qu’elles représentent moins de trouble. (Même s’il est discriminatoire de poser des questions, par exemple, sur le désir d’enfants, ça arrive encore 3!) En général, les célibataires semblent provenir d’une planète éloignée, peu défrichée, aux antipodes de celle habitée par le sacro-saint couple.

Selon DePaulo, on considère les célibataires comme des gens seuls, tristes, sans vie sociale, éloignés de leur famille, pas impliqués dans la société. Un portrait peu reluisant. Pourtant, après des années d’études sur le célibat, mais aussi sur le couple, elle a réalisé que ce serait l’inverse. Selon ses recherches *, les célibataires ont plus d’ami.e.s, font plus d’efforts pour rester en contact avec leur famille, échangent avec leurs voisins et contribuent, plus encore que les couples, à la vie sociale et collective de leur ville ou de leur quartier. Grande nouvelle : les couples auraient tendance à être plus isolés et ne sont pas nécessairement plus heureux et épanouis une fois mariés. Au contraire. (Notons qu’en 2014 aux États-Unis, on dénombrait 50,2 % de célibataires 4…)

J’en suis

J’ai passé la plus grande partie de ma vie célibataire. Mes ami.e.s enchaînaient les chums/blondes et entretenaient des relations plus ou moins satisfaisantes, et je restais seule en me trouvant anormale. J’avais envie de cette proximité, de cette connivence, mais je me sentais surtout mise à l’écart, inadéquate, incapable de faire comme tout le monde. Et il n’y avait rien de rassurant à être célibataire. Combien de fois j’ai entendu : « Pourtant, t’es pas laide et t’es intelligente, comment ça se fait? » Je l’ai moi-même répété souvent. Avec mes amies de filles, j’ai longtemps cherché ce qui clochait. On m’a tout diagnostiqué et conseillé, d’un ton inquiet et bienveillant : « Tu devrais te maquiller plus! », « Tu n’as pas l’air ouverte, montre-toi plus disponible! », « Va dans les bars! », « Va sur Tinder! »

J’ai longtemps été le « projet » de mes ami.e.s en couple : on va « matcher » Myriam! Je ne leur en veux pas. Je ne m’en cacherai pas : je me plaignais de mon célibat. Mais leur pulsion venait surtout du côté déstabilisant de me voir célibataire depuis trop longtemps : il fallait donc régler ça. Mon célibat? Pire qu’une ITSS!

Ma famille n’est pas en reste pour régler ce « problème ». Ma mère m’a répété ad nauseam que si j’étais lesbienne, elle serait contente pour moi et l’accepterait. Même si je répétais que je ne l’étais pas, ça revenait sans cesse. Je vous épargne les questions lors des partys de famille, événements que j’évite depuis plusieurs années. Ajoutez au portrait qu’avoir des enfants n’est pas dans mes priorités : je n’aide pas mon cas. C’est dérangeant, un.e célibataire endurci.e. Ça ne correspond à rien de connu, ça ne « fitte » dans aucun moule. Parce qu’il y a une injonction du couple. Il FAUT être en couple. Toute ma vie, on m’a appris qu’être une femme seule, c’est triste, voire pathétique. On doit faire quelque chose, ça urge. Pas pour rien que je suis retournée un nombre incalculable de fois sur des Tinder et cie, à reculons : Vous voyez? J’agis, je me prends en main! Qu’on me foute la paix. C’est soulageant, quelqu’un qui suit la ligne droite de la vie. Métro, boulot, dodo. Mariage, chien, bébé, BBQ, clôture blanche. Difficile de sortir de cette trajectoire normalisée.

Avec le recul, j’ai fini par réaliser qu’il y a un double standard. Mes amis masculins célibataires sont trop hot, au-dessus de leurs affaires et « prennent le temps de choisir ». Mes amies ne « pognent » pas, doivent fournir plus d’efforts et agir vite pour mettre un terme à ce célibat honni. Une femme célibataire, ça cache quelque chose. Ça a certainement des plans machiavéliques ou c’est sûrement une maudite folle. Si elle a des chats (j’en ai trois), c’est foutu, ironise la journaliste Nadia Daam dans le magazine Slate 5 : « La femme célibataire est plainte et encouragée à faire quelque chose pour en sortir, comme si le célibat était une anomalie, un accident de parcours ou une période de chômage amoureux qui pourrait s’éterniser jusqu’à la mort si l’on n’y prend pas garde. Si elle couche de temps en temps avec des inconnus, elle est désespérée. Si elle prend un chat, c’est qu’elle a définitivement lâché l’affaire. »

Choisir le célibat : un défi

Avec cette pression indue, ce n’est que récemment que j’ai réalisé ceci : j’aime ma vie de célibataire. Je n’envie pas les contraintes auxquelles les couples qui m’entourent se plient. Je vous entends déjà : Ça nous apprend à faire des concessions, à piler sur notre ego et à faire de nous de meilleures personnes! Je répondrai qu’à moins de n’avoir strictement aucun lien social et de vivre en ermite, tout.e célibataire fait face à des interactions sociales qui demandent autant, sinon plus d’acrobaties interpersonnelles (pensons aux nombreuses justifications à offrir ou aux jugements auxquels il faut faire face en restant poli.e, sinon c’est qu’on est frustré.e d’être seul.e.!). On ne vit pas dans une bulle, hors du monde : on est juste célibataires.

Je vous vois venir : Le couple c’est pas facile, mais au moins on n’est pas seul.e.! Je ne suis pas seule. Les célibataires que je connais non plus. Je choisis maintenant de ne pas être en couple, mais seule? Non. Rarement ai-je été en contact avec autant de personnes merveilleuses que maintenant. J’ai été seule, ça oui. On n’est jamais aussi esseulé.e que dans un couple qu’on fait durer « pour ne pas être seul.e ». La solitude, ça s’impose, mais ça se choisit, aussi.

C’est tout récent pour moi d’avoir enfin réussi à me détacher suffisamment de la pression sociale pour dire que j’aime ma vie, telle qu’elle est. Bien sûr, il m’arrive de penser que ce serait agréable d’avoir quelqu’un, mais pas à n’importe quel prix. Il y a une grande différence entre avoir envie de quelqu’un dans sa vie et en avoir besoin. J’ai rarement été aussi épanouie et fière de ce que je suis que maintenant. Autant par rapport à mon corps, à ma sexualité, à mes amitiés, à mon travail, à mes projets, à mon train de vie, à mes activités, à mon retour aux études, etc. Même s’il demeure que je suis cent fois plus susceptible de devenir une folle aux chats que les hommes célibataires que je connais qui, supposément, vieilliront comme du bon vin, élégants, même dans leur solitude amoureuse. Soit. J’ai décidé que je vivrais bien avec ça et que je serais fière de ce choix. Et que j’arrêterais de faire rimer célibataire avec seule, pathétique, incomplète, triste, désespérée, anormale, etc.

Parce que ça n’a strictement rien à voir.

* Tiré de cet extrait : « The first story we are told repeatedly is this: Married people have someone. They have THE one. Single people have no one. But when psychologists actually started studying the real life of single people, they found something entirely different! It’s the single people who have more friends. It’s the single people who are doing more than married people to stay in touch with their siblings. It’s the single people who are more often tending to their parents, exchanging out with their neighbors, contributing to the life of their towns and cities. In contrast, when people move in together or get married, they tend to get more insular. And they tend to do that even if they don’t have kids, so don’t blame it on the kids. »

  1. Youtube (Site en anglais)
  2. ABC News (Site en anglais)
  3. Radio-Canada
  4. theguardian (Site en anglais)
  5. magazine Slate

Myriam Daguzan Bernier est autrice de Tout nu! Le dictionnaire bienveillant de la sexualité (Éditions Cardinal, ), créatrice du blogue La tête dans le cul, collaboratrice à Moteur de recherche sur ICI Radio-Canada Première et journaliste indépendante. Elle est également formatrice et spécialiste Web et médias sociaux à l’INIS (Institut national de l’image et du son). Actuellement aux études à temps plein en sexologie à l’Université du Québec à Montréal, elle prévoit devenir, dans un avenir rapproché, une sexologue misant sur une approche humaine, féministe et inclusive.