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Pauline Marois : autopsie d’une défaite

Le Québec : pas prêt pour Pauline Marois ou pas prêt pour une femme à sa tête?

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Élections provinciales d’avril 2014. Après avoir appris qu’elle était battue dans son comté, Pauline Marois a tardé à s’adresser aux Québécois. L’ex-première ministre péquiste devait d’abord encaisser le choc : elle savait peut-être que la victoire n’était pas acquise, mais elle ne s’attendait certainement pas à une telle déroute. Son mandat n’aura duré que 18 mois. Comment expliquer un revers aussi cuisant? Le sexisme a-t-il joué un rôle dans la défaite de la première femme à la tête du Québec? Nous avons posé la question à quelques observatrices de la scène politique et de l’avancement des femmes.

Photographie de Francine Pelletier.
« Une fois arrivée au pouvoir, elle a tourné le dos à l’environnement, a effectué un virage vers la droite et a endossé l’indéfendable Charte des valeurs… »—Francine Pelletier, blogueuse et chroniqueuse au Devoir

Francine Pelletier, blogueuse et chroniqueuse au Devoir, a été attristée de la fin de parcours de Pauline Marois. Comme femme et féministe, elle avait de grandes attentes. « Mme Marois avait dirigé tous les ministères clés et mis en place les politiques les plus progressistes que le Québec ait connues, hormis celles de Jean Lesage, dit-elle. Mais une fois arrivée au pouvoir, elle a tourné le dos à l’environnement, a effectué un virage vers la droite et a endossé l’indéfendable Charte des valeurs… »

Mireille Lalancette, professeure en communication sociale à l’Université du Québec à Trois-Rivières, a étudié l’image médiatique des politiciennes canadiennes, dont celle de Pauline Marois. Elle souligne que nos attentes sont souvent différentes envers les femmes au pouvoir. « On imagine souvent qu’elles prôneront une certaine solidarité sociale ou se situeront plus à gauche sur l’échiquier politique. Or, une politicienne peut aussi s’avérer une dame de béton, un qualificatif que l’on a attribué àMmeMarois lorsqu’elle tenait bon malgré les attaques. »

Photographie de Mireille Lalancette.
« On imagine souvent qu’elles prôneront une certaine solidarité sociale ou se situeront plus à gauche sur l’échiquier politique. Or, une politicienne peut aussi s’avérer une dame de béton. » — Mireille Lalancette, professeure en communication sociale à l’Université du Québec à Trois-Rivières

Tous les observateurs s’entendent cependant sur un point : l’ex-première ministre a été mal conseillée. « Elle a aussi manqué de flair politique, ajoute Mireille Lalancette. C’est triste d’avoir fait tout ce chemin pour ne finalement pas comprendre que certaines parties de son programme rebutaient les électeurs. »

Les revers de l’image

Bien avant les élections, on sentait que le contact entre la chef du Parti québécois et l’électorat connaissait des ratés. « Pauline ne passe pas », entendait-on dans les médias. Dans les blogues, on remettait en cause son authenticité, sa franchise. « On avait l’impression qu’elle lisait des cartons, qu’on lui soufflait la réponse, que ses propos ne venaient pas du cœur », note Francine Pelletier.

Évidemment, tous les politiciens ne sont pas doués pour la communication. « Au début, elle manquait de spontanéité, probablement parce qu’elle était trop “briefée” », relate Guylaine Martel, chercheuse et professeure en sociolinguistique à l’Université Laval. Elle a fini par acquérir une certaine aisance, mais n’est jamais devenue une chef charismatique. » Il faut dire que, pour les politiciennes, la marge de manœuvre est mince. « Elles n’osent pas trop s’affirmer de peur de paraître agressives et elles se blindent pour ne pas avoir l’air émotives. Elles s’autocensurent. »

À l’ère de la personnalisation des personnages publics, les politiciens préfèrent souvent se faire inviter dans les talk-shows plutôt que dans les émissions d’information. « Mais Pauline Marois n’était pas à l’aise dans ce rôle », estime Guylaine Martel. Elle se rappelle une spéciale de fin d’année de Tout le monde en parle où les invités échangeaient des blagues. Pendant que Jean Charest répondait du tac au tac, Pauline Marois répétait, un peu désorientée : « Il n’y a pas moyen d’être sérieux, ici… »

Photographie de Guylaine Martel.
« Elles n’osent pas trop s’affirmer de peur de paraître agressives et elles se blindent pour ne pas avoir l’air émotives. Elles s’autocensurent. » — Guylaine Martel, chercheuse et professeure en sociolinguistique à l’Université Laval

« On avait l’impression qu’elle avait enfilé une camisole de plomb, ajoute Francine Pelletier. Pauline Marois ne voulait pas montrer sa vulnérabilité et cela ne l’a pas servie. Dommage, parce qu’on dit que dans la vie privée, elle est chaleureuse. »

Le poids du sexe

Posons tout de même la question : être une femme lui a-t-il nui? « Tout au long de son mandat, on a lu et entendu des propos sexistes et même carrément grossiers à son endroit, acquiesce Manon Tremblay, professeure de science politique à l’Université d’Ottawa. La sexualité est encore utilisée pour jeter un doute sur les compétences des femmes en politique. » C’est sans compter les commentaires sur son apparence : ses foulards, ses cheveux, ses bijoux… Même sa fortune personnelle a été critiquée. Pourtant, les politiciens multimillionnaires de sexe masculin — qu’on pense à Paul Martin ou à François Legault — ne soulèvent pas un tel tollé.

« Malgré tout, ce n’est pas le sexisme qui a mis fin à sa carrière politique », rétorque Francine Pelletier. La journaliste croit que les Québécois sont plutôt ouverts en matière d’avancement des femmes. À preuve, la soirée en mémoire des victimes de Polytechnique, qui s’est déroulée en décembre dernier sur le belvédère du Mont-Royal. « LorsqueMmeMarois est montée sur scène, elle a reçu une ovation monstre. Malgré sa défaite, on saluait la première femme à avoir été première ministre du Québec et le fait qu’elle a, elle aussi, été victime d’un attentat. »

Mais le Québec était-il prêt à être dirigé par une femme? « Cette question m’agace, répond Manon Tremblay. Les sondages montrent que l’électorat ne discrimine ni positivement ni négativement les femmes. Tout dépend de la façon dont les faiseurs d’image orientent l’opinion publique. »

Chose certaine, la débâcle deMmeMarois ne va pas faciliter les choses pour celles qui suivront. Par exemple, Martine Ouellet est la seule femme parmi les six candidats dans la course au leadership du PQ. Et, déplore Manon Tremblay, la représentation féminine n’est pas à l’ordre du jour de tous les partis.

Infériorité numérique

Entre février et novembre 2013, six femmes occupaient les fonctions de premier ministre au Canada; aujourd’hui, il n’en reste que deux. Les femmes qui réussissent à se faire élire sont-elles trop vulnérables pour demeurer en place? « Non, répond la journaliste politique Chantal Hébert, spécialiste de la scène politique fédérale. N’oublions pas que Christy Clark, Alison Redford et Kathleen Wynne ont dirigé des gouvernements majoritaires. Celles qui ont perdu leur poste ont échoué, tout simplement. Les femmes ont un droit égal au succès, mais aussi à l’échec. »

Pourtant, Pauline Marois a déjà évoqué le double standard qui existe à l’égard des politiciennes. La première ministre de la Colombie-Britannique, Christy Clark, affirmait en décembre dernier que le NPD a tendance à la sous-estimer parce qu’elle est une femme. Sur Facebook, Kathleen Wynne, la première ministre de l’Ontario, a écopé de commentaires sexistes de la part de deux candidats libéraux. Et Alison Redford, première ministre de l’Alberta, s’est fait traiter de dame « pas gentille » par un de ses députés démissionnaires!

La professeure et chercheuse Manon Tremblay regrette que les femmes soient encore si peu nombreuses en politique. « En 1985, lorsque j’ai commencé à m’intéresser au sujet, j’étais certaine qu’on atteindrait la parité rapidement. Trente ans plus tard, on est encore loin du compte. »

Un rapport publié par le Directeur général des élections du Québec en octobre dernier lui donne raison. Entre 2003 et 2012, la représentation des femmes n’a augmenté que de 2,4 %. Aux élections générales du 4 septembre 2012, elles ne comptaient que pour 28,4 % des candidatures totales, alors qu’elles représentent la moitié de l’électorat. Solutions? Selon le Directeur général, les partis politiques devraient élaborer des stratégies favorisant les candidatures féminines et s’assurer que les femmes ne soient pas reléguées dans des circonscriptions où elles ont peu de chances de gagner. « Mais pour arriver à une meilleure représentation des femmes, il faudra aussi changer les partis de l’intérieur », conclut la professeure Mireille Lalancette.