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Harcèlement de rue : le fléau de la violence ordinaire

Les Françaises : très nombreuses à vivre quotidiennement du harcèlement de rue.

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Insultes, gestes déplacés, propositions sexuelles… En France, l’espace public est pavé d’une sournoise violence envers les femmes. Si certaines semblent résignées, les féministes dénoncent l’ampleur du phénomène et tâchent de trouver des solutions.

Il y a plusieurs mois, dans le métro parisien, un homme s’est approché de Claire et lui a léché la joue. Pétrifiée, la jeune femme n’a pas osé bouger. Dans la capitale comme dans de nombreuses villes de France, ces traumatismes silencieux, ces agressions qui ne disent pas leur nom sont monnaie courante. Les femmes qui vont travailler, faire leurs courses ou qui sortent avec des amis s’y exposent, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. « Depuis, je n’écoute même plus les commentaires graveleux de certains hommes, je ne suis même plus choquée par leurs gestes obscènes. C’est devenu tristement banal, se désole Claire, infographiste de 30 ans qui vit en région parisienne. J’ai l’impression que pour beaucoup de gens, il s’agit d’une forme de compliment. Répliquer, se défendre est perçu comme une insulte, comme si l’on prenait mal un mot gentil. C’est vraiment le monde à l’envers! »

Photographie de Maureen Wingrove.
« On culpabilise beaucoup les femmes en faisant croire que celles qui se font harceler dans la rue sont des provocatrices, qu’elles l’ont bien cherché. »
 — Maureen Wingrove, auteure de la bande dessinée féministe Stop Harcèlement de rue

Le harcèlement de rue place donc celles qui le subissent dans une position doublement inconfortable : elles doivent subir ces remarques sans avoir le droit de s’en plaindre. « On m’a déjà dit qu’il n’y avait pas mort d’homme, que de me faire des avances sexuelles à 15 h dans une rue passante était juste une manière de me dire que j’étais jolie. Le plus grave, c’est que ce sont parfois les femmes elles-mêmes qui minimisent la portée de ces remarques sexistes », s’indigne Maureen Wingrove, auteure de la bande dessinée féministe Stop Harcèlement de rue.

La faute des femmes?

À la banalisation du phénomène s’ajouterait une forme d’intériorisation de la part de certaines femmes. Pour elles, il semble que le harcèlement de rue ne puisse pas être considéré comme un véritable fléau, dans la même catégorie que le viol ou la violence conjugale. « Nous avons mené une enquête pour mettre en lumière cette dépréciation, explique Rima El Badia, du collectif Osez le féminisme!. Nous avons demandé aux femmes si elles se sentaient victimes d’agressions dans le métro. La grande majorité a répondu non, mais quand on leur demande si elles ont déjà subi des sifflements, des attouchements ou des regards déplacés, on atteint un taux de 97 %. Cela montre que les femmes elles-mêmes ne perçoivent pas le harcèlement de rue comme une réelle violence. »

Photographie de Rima El Badia.
«  Nous avons demandé aux femmes si elles se sentaient victimes d’agressions dans le métro. La grande majorité a répondu non, mais quand on leur demande si elles ont déjà subi des sifflements, des attouchements ou des regards déplacés, on atteint un taux de 97 %.  »
 — Rima El Badia, du collectif Osez le féminisme!

Et ce n’est pas tout : elles sont souvent rendues responsables des remarques sexistes à leur égard. « On culpabilise beaucoup les femmes en faisant croire que celles qui se font harceler dans la rue sont des provocatrices, qu’elles l’ont bien cherché », lance Maureen Wingrove. Conséquence, elles sont de plus en plus nombreuses à faire profil bas. « Je réfléchis toujours à ma tenue avant de sortir, détaille Claire. Ma priorité n’est plus d’être jolie, mais d’être le plus passe-partout possible. Dans les transports, je baisse les yeux de peur de déclencher une nouvelle scène. »

La peur comme stimulant

Dans son documentaire Femme de la rue (2012), l’étudiante belge Sofie Peeters met au jour ces mécanismes. À son passage, sifflets et insultes sont légion dans les rues de Bruxelles. Le manque de réaction de la jeune femme semble encourager certains hommes à aller toujours plus loin. « Ce genre de situation peut rapidement dégénérer. La peur agit comme un stimulant sur certains hommes. Ils savent que la plupart des femmes n’oseront pas répliquer par crainte de la violence physique », s’insurge Axelle, 28 ans, agente immobilière à Lyon.

Dans le court métrage Majorité opprimée (2010), la réalisatrice Éléonore Pourriat montre quant à elle comment le harceleur poursuit sa victime avant de lui faire subir des attouchements violents, après que celle-ci a osé se défendre. « Les femmes ont aussi le sentiment qu’il est inutile d’attendre un comportement correct des hommes et que c’est à elles de tenir compte des “pulsions irrépressibles” de ces derniers », ajoute Claudine Lienard, coordonnatrice de projet à l’Université des femmes de Bruxelles.

Photographie de Claudine Lienard.
« Les femmes ont aussi le sentiment qu’il est inutile d’attendre un comportement correct des hommes et que c’est à elles de tenir compte des “pulsions irrépressibles” de ces derniers. »
— Claudine Lienard, coordonnatrice de projet à l’Université des femmes de Bruxelles

« La question du harcèlement de rue est fondamentalement féministe, car elle rappelle que les femmes ne font pas ce qu’elles veulent dans l’espace public », souligne Rima El Badia. La sexualisation permanente de la présence de la femme dans la rue touche au droit de chacune de circuler librement. Contraintes de renoncer à investir la rue comme elles le souhaitent par peur, les femmes doivent mettre au point des stratégies d’évitement, des trajectoires de biais. « Les hommes se sentent alors légitimés de rappeler leur place aux femmes, à savoir hors de l’espace public, où ils vivent en occupants, gestionnaires et gardiens », résume Claudine Lienard.

Facebook et Twitter en renfort

Si, dans les grandes villes de France et de Belgique, la situation se dégrade, certains endroits semblent toujours relativement épargnés par cette déferlante de violence presque ordinaire. Au Québec, les femmes sont moins souvent victimes de remarques agressives dans l’espace public. Malgré tout, Sandrine Ricci, doctorante en sociologie à l’UQÀM et coordonnatrice du Réseau québécois en études féministes, appelle à la vigilance : « Il est clair que nous sommes très loin des problèmes européens. Néanmoins, j’observe une émergence progressive du phénomène. Pour y remédier, il est essentiel d’ouvrir le dialogue, notamment sur les réseaux sociaux. C’est un outil de prévention formidable pour lutter contre toutes les formes de sexisme », s’enthousiasme-t-elle.

Photographie de Sandrine Ricci.
« Il est clair que nous sommes très loin des problèmes européens. Néanmoins, j’observe une émergence progressive du phénomène. Pour y remédier, il est essentiel d’ouvrir le dialogue, notamment sur les réseaux sociaux. »
 — Sandrine Ricci, doctorante en sociologie à l’UQÀM et coordonnatrice du Réseau québécois en études féministes

Devenus le vecteur de ce nouveau combat féministe, les réseaux sociaux s’imposent avant tout comme une plateforme de réflexion. Des agressions médiatisées ont fait le buzz, entraînant des réactions particulièrement tranchées. Sur Twitter, les mots-clics #SafeDansLaRue et #HarcèlementDeRue permettent aux femmes de témoigner de leurs expériences. Une pratique essentielle, mais insuffisante pour les féministes, qui tâchent de trouver des solutions concrètes et pérennes.

Serrer la vis

« La lutte contre le harcèlement de rue doit aussi se faire par la loi. C’est à la justice de prendre ses responsabilités et d’imposer des mesures coercitives si la prévention demeure sans effet », affirme Maureen Wingrove. Une démarche déjà adoptée par la Belgique dans la foulée du film de Sofie Peeters : des amendes allant jusqu’à 250 euros peuvent y être remises pour avoir proféré des insultes sexistes, racistes ou homophobes dans la rue.

Des mesures simples pourraient aussi permettre aux femmes de ne plus avoir à s’adapter chaque jour à de potentielles menaces. « Par exemple, les caméras dans les transports! lâche Rima El Badia. Avec l’augmentation du nombre d’actes violents dans le métro, elles devraient être mises à profit; on pourrait ainsi facilement reconnaître les agresseurs. Par ricochet, il y aurait plus de plaintes, donc plus de procès. C’est une question de moyens. »

Prévention, actions en justice et mise en œuvre d’une politique plus soucieuse du droit des femmes… Autant de pistes à explorer pour que le harcèlement sexuel disparaisse pour de bon du quotidien des citadines.