Aller directement au contenu

Femmes autochtones disparues ou assassinées : Et si on s’intéressait à nous quand nous sommes vivantes?

Réflexion sur les disparitions et assassinats de femmes autochtones

Date de publication :

Auteur路e :

Récemment, le meurtre de Tina Fontaine, une Ojibwée de 15 ans dont le corps a été retrouvé enveloppé dans un sac dans la rivière Rouge à Winnipeg, en août, a relancé le débat sur la nécessité de tenir une commission d’enquête publique et indépendante sur le phénomène des femmes autochtones disparues ou assassinées. L’importance d’établir un plan d’action national pour combattre la violence envers les femmes autochtones a aussi été soulignée. Ce débat a eu droit à une bonne visibilité dans les médias traditionnels et sociaux, où on a dénoncé l’apathie politique du gouvernement fédéral, qui persiste à refuser la tenue d’une enquête. Alors que les voix exigeant une enquête se font de plus en plus nombreuses, des vigiles ont eu lieu partout au Canada le 4 octobre dernier en mémoire des femmes autochtones disparues ou assassinées, dont dans une vingtaine de villes au Québec, à la suite d’un appel à la mobilisation lancé par la Marche mondiale des femmes au Québec et Femmes Autochtones du Québec. Rappelons qu’il y a eu environ 1 200 cas de femmes autochtones disparues ou assassinées au Canada dans les 30 dernières années. Proportionnellement, cela représenterait environ 35 000 Canadiennes ou 8 250 Québécoises. J’ose croire qu’un tel décompte déclencherait un émoi national.

Le meurtre de Tina Fontaine, une Ojibwée de 15 ans dont le corps a été retrouvé enveloppé dans un sac dans la rivière Rouge à Winnipeg, en août, a relancé le débat sur la nécessité de tenir une commission d’enquête publique et indépendante sur le phénomène des femmes autochtones disparues ou assassinées.

Certains ont manifesté leur doute face à la nécessité d’une commission d’enquête, affirmant que cela empêcherait de passer rapidement à l’action. Je suis plutôt de l’avis de la militante et blogueuse métisse Chelsea Vowel, qui a dénoncé la dichotomie entourant le débat « enquête versus plan d’action », alors que ce sont à nos yeux deux mesures nécessaires et complémentaires. Ce faux débat est le reflet de la mentalité de certains pans de la société dominante qui ne réalisent pas que les traumatismes de la colonisation affectent encore les communautés autochtones au pays, et croient que les problèmes sociaux qu’elles vivent ont plutôt des causes internes et culturelles. Pourtant, pour passer à l’action efficacement, nous avons besoin d’une reconnaissance collective de cet héritage colonial, afin que nous puissions collectivement enrayer ses répercussions.

Une commission d’enquête publique et indépendante serait une étape essentielle qui permettrait d’examiner et d’exposer les causes systémiques derrière le phénomène des femmes autochtones disparues ou assassinées. Ce serait notamment l’occasion de rassembler les recherches universitaires et les initiatives communautaires portant sur différents angles de cette question, et de rendre justice aux proches et aux communautés des victimes, marquées pour le reste de leur vie.

J’aimerais souligner l’importance de l’indépendance de ce processus et de l’implication des peuples autochtones dans celui-ci, puisque nous vivons sous le règne d’un gouvernement dont le chef refuse de reconnaître que la surreprésentation des femmes autochtones parmi les disparitions et les meurtres au Canada relève d’un phénomène sociologique, affirmant que ce n’est qu’une simple série de crimes. Nous vivons aussi dans une société où le racisme est institutionnalisé : à preuve, les cas de mauvais traitements et d’abus de policiers à l’encontre de femmes et de filles autochtones qui ont été rapportés par l’organisation Human Rights Watch. Tant que ces enjeux de discrimination systémique ne seront pas reconnus, nous ne pourrons établir des mesures adéquates dans le cadre d’un plan d’action national visant à s’attaquer à la violence envers les femmes autochtones.

En plus de la commission d’enquête, un plan d’action est nécessaire. Et il faut l’élaborer et le mettre en œuvre conjointement avec les peuples autochtones dès le départ. Parce qu’en plus de rendre justice aux tragédies qui ont eu lieu, il serait peut-être temps de s’intéresser au sort des femmes autochtones quand elles sont vivantes. Revenons au cas de Tina Fontaine : sous la garde des services sociaux manitobains, l’adolescente avait fugué de son foyer d’accueil. Selon une étude menée en 2004 par Cindy Blackstock, dans l’ensemble du Canada, il y aurait près de trois fois plus d’enfants autochtones confiés aux services d’aide à l’enfance que d’enfants autochtones qui ont fréquenté les pensionnats autochtones au plus fort de la période de ce régime dans les années 1940.* De plus, les policiers ainsi que les services sociaux et de santé ont fait preuve d’un grave manque de vigilance envers son cas. Il est donc important de reconnaître les conditions défavorables dans lesquelles Tina Fontaine vivait avant qu’on la retrouve assassinée.

Ce ne sont que des exemples parmi d’autres des discriminations auxquelles font face les femmes et filles autochtones au Canada. Elles font partie du groupe le plus marginalisé au pays en ce qui concerne les conditions de vie. Les lois paternalistes du gouvernement fédéral envers les peuples autochtones, telle la Loi sur les Indiens, font en sorte que les femmes autochtones sont doublement discriminées — pour le fait d’être autochtones et pour le fait d’être femmes. La Loi sur les Indiens a été instaurée en 1876 par le gouvernement canadien dans le but d’assimiler les Autochtones. Elle touche de multiples aspects de leur vie, notamment le statut « indien » en définissant qui est « Indien » et qui ne l’est pas selon des critères racistes et sexistes. Jusqu’en 1985, un homme autochtone transmettait son statut « indien » à son épouse, même si cette dernière était non-autochtone, alors qu’une femme autochtone perdait automatiquement son statut légal quand elle épousait un non-autochtone. Suite à la mobilisation de femmes autochtones qui ont dénoncé les discriminations sexistes de la Loi sur les Indiens, le gouvernement du Canada y a apporté des modifications en 1985 et en 2011. Toutefois, des discriminations demeurent et l’héritage patrilinéaire de cette loi continue de désavantager les femmes autochtones.

De plus, le sous-financement chronique des services en milieu autochtone, que ce soit les écoles, les services sociaux ou les ressources d’aide, contribue à approfondir ces inégalités. Pensons seulement aux maisons d’hébergement pour femmes autochtones en difficultés au Québec, qui sont de 31 % sous-financées comparativement aux autres maisons d’hébergement pour femmes dans le reste de la province.

Si nous voulons que le nombre de femmes autochtones disparues ou assassinées cesse d’augmenter, nous devons mettre en œuvre des mesures adéquates qui permettront d’assurer aux femmes et aux filles autochtones une vie décente, sans discrimination. Oui, rendons hommage et justice aux nombreuses victimes de ces tragédies, mais n’attendons pas que les femmes autochtones soient portées disparues ou assassinées pour s’intéresser à elles. Soyons à leur écoute et tenons compte de leurs préoccupations et de leurs recommandations alors qu’elles sont vivantes, afin de revaloriser leur pouvoir dans une perspective de décolonisation.

  • *Du début des années 1830 jusqu’à 1996, des milliers d’enfants autochtones au Canada ont été forcés de fréquenter les pensionnats autochtones dont l’objectif avoué était de les assimiler à la société canadienne. Il y a eu de nombreux cas de maltraitance physique, sexuelle et émotionnelle et les traumatismes intergénérationnels sont font encore ressentir à ce jour.

Plan d’action controversé

Le 15 septembre dernier, le gouvernement fédéral présentait son Plan d’action pour contrer la violence familiale et les crimes violents à l’endroit des femmes et des filles autochtones. Celui-ci prévoit entre autres « l’élaboration d’un plus grand nombre de plans de sécurité communautaire tant dans les réserves qu’à l’extérieur de celles-ci, tout en s’assurant que les familles reçoivent le soutien nécessaire pour avoir accès au système judiciaire et le comprendre ». Malgré un investissement de 25 millions de dollars sur cinq ans, ce plan d’action est jugé insatisfaisant par plusieurs communautés et intervenants. Ses détracteurs lui reprochent de ne pas avoir été élaboré de concert avec les peuples autochtones, de ne pas s’attarder aux racines profondes de la discrimination systémique et d’esquiver la tenue d’une enquête nationale. Le gouvernement de Stephen Harper nie toujours le caractère sociologique du problème de la violence envers les femmes autochtones.